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dimanche 28 septembre 2014

Les enfants de pauvres sont-ils tous des fainéants ?

EMMANUEL DAVIDENKOFF DIRECTEUR DE LA RÉDACTION DE L'ETUDIANTFRANÇOIS TADDEI BIOLOGISTE, FONDATEU DE L’ASSOCIATION PARIS-MONTAGNE ET CHRISTOPHE PARIS DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’ASSOCIATION DE LA FONDATION ÉTUDIANTE POUR LA VILLE (AFEV)

A défaut de nous confronter au réel, nous entretenons des mythes. Ainsi, certains persistent à affirmer que, sous sa forme actuelle, l’école française, ciment de l’égalité républicaine, peut donner sa chance à tous les élèves et favoriser l’ascension sociale au mérite. Hélas, l’étude Pisa 2012 le rappelait, le système éducatif français est, de l’OCDE, celui qui renforce le plus les inégalités sociales. Champion du monde des inégalités face à la réussite scolaire pour le pays de Jaurès ; insupportable distorsion entre les paroles et les faits. Ce déni de réalité freine l’évolution nécessaire de notre système, fait peser l’échec scolaire sur l’unique responsabilité individuelle et favorise le développement de stratégies familiales pour sortir gagnant de la grande compétition scolaire. Dans le fond de l’air, la question de l’effort revient comme un leitmotiv, sous-entendant que les enfants de maintenant seraient moins méritants qu’avant. Alors, si l’échec est d’abord ce manque d’effort déployé par un individu, posons la question : «Les enfants de pauvres sont-ils fainéants ?». Si oui, alors ils n’ont que ce qu’ils méritent. Sinon, il est scandaleux et injuste qu’ils soient les premières victimes de la production d’échec scolaire massif de notre système éducatif.
En réalité, les difficultés scolaires sont le fruit du croisement entre la situation individuelle de l’élève, le contexte social ou familial, et le fonctionnement de l’école. C’est donc, bien, sur ces trois leviers qu’il faut agir. Pour appréhender la réalité vécue par nombre d’enfants de milieu populaire, représentons-nous le parcours type d’un des 150 000 jeunes qui quittent chaque année le système scolaire sans diplôme. Arrivé en dernière année de maternelle, il a moins profité des apports de l’école que ceux qui sont dans un bain culturel favorable (1) et se retrouve au moment de l’apprentissage de la lecture en CP face à un mur. 90% des élèves en difficulté en 6e l’étaient déjà au CP. Il suit avec difficulté sa scolarité en école primaire, intériorisant à chaque zéro pointé le fait qu’il est nul. Dans un collège pensé comme un petit lycée au climat scolaire très dur (2), il commence à décrocher ou subit son orientation vers le lycée professionnel. Là, soit il décroche au bout de la première année, soit il se reconstruit scolairement et obtient son bac pro. Mais, à défaut de trouver une place en BTS, pris d’assaut par les lycéens de filière générale, il échoue à la fac (3) ou tenter de trouver un travail en mesurant à chaque étape de son parcours professionnel le poids du diplôme en France… "Viendra la poursuite d’études supérieures ou l’entrée dans le monde du travail où il mesurera, à chaque étape de son parcours professionnel, le poids du diplôme en France..." Que peut-on y faire ? Les pistes d’amélioration existent et en réalité font, pour beaucoup d’entre elles, consensus d’autant qu’elles ont fait leurs preuves dans d’autres pays. Mais, ici, réformer l’école n’est pas simple, c’est un euphémisme. Les derniers mois l’ont encore prouvé.

Acteurs et partenaires de l’école, tout aussi conscients de nos limites que de notre rôle, nous ne voulons pas nous résigner et sommes, plus que jamais, décidés à agir. Dans un contexte pour le moins complexe, il nous semble que deux pistes doivent être privilégiées. La première est politique : convaincre encore et toujours de la nécessité de réformer notre système. La médiatisation des 150 000 jeunes quittant le système scolaire sans qualification et la prise en compte de cette réalité par le personnel politique ont été de ce point de vue une première victoire. Au-delà des réformes déjà engagées, deux questions nous apparaissent urgentes dans une perspective de lutte contre les inégalités : la réforme du collège et le soutien à la fonction parentale. Le collège, car on sait que ces difficultés s’accroissent dans les territoires les plus fragiles, entraînant un système scolaire à deux vitesses, en fonction du lieu de scolarisation. Le soutien à la fonction parentale, car dans un contexte social en forte mutation, ce soutien aux familles populaires dans leur mission éducative et dans leur lien à l’école doit constituer un acte fondateur d’une nouvelle approche des inégalités. La deuxième est pragmatique.
Nous ne croyons plus à l’illusion d’un «grand soir», décidé par le haut, applicable partout, tout de suite et pour tous. Aussi, devons-nous agir, localement, plus et mieux. Ainsi, de nombreuses équipes enseignantes et de structures associatives collaborent déjà et avec succès ; la révolution numérique facilite des enseignements plus individualisés et adaptés au niveau de chaque enfant ; la décentralisation a permis de mieux adapter l’éducation aux réalités locales. Toutes ces évolutions contribuent, à leur niveau, à créer un mouvement de transformation profond de notre système éducatif. Chacune participe à l’ouverture de l’école à son territoire, à démocratiser la culture, à aider les enfants les plus fragiles, à renforcer le lien avec les familles. Alors, identifions ces actions, évaluons-les, pour réussir le défi de l’essaimage.
Cette dynamique de l’innovation doit trouver écho dans le fonctionnement même de l’école. Le premier budget de l’Etat ne s’est jamais vraiment donné les moyens de disposer d’un vrai budget de Recherche et Développement et de former en continu ses personnels aux changements de la société. Dans un monde qui change toujours plus vite, c’est une aberration toujours plus criante que d’autres ont su corriger. Les enseignants sont des professionnels de grande valeur formés à bac + 5, alors passons d’une culture du contrôle et de l’isolement à celle basée sur la coopération et la confiance ; donnons-leur les moyens de faire réussir les élèves, tous les élèves. Les pays qui ont pu le faire, ont su, face aux difficultés d’apprentissage, ne pas renvoyer l’élève à ses origines sociales ou à sa situation personnelle, mais mettre l’enseignant en posture de chercheur de solutions pouvant s’appuyer sur la qualité de sa formation initiale et continue, sur un réseau de pairs, sur leurs innovations et sur les résultats de la recherche.
Nous en appelons donc à tous les acteurs qui innovent, qui ne se résignent pas, à faire alliance, quel que soit leur secteur, à mettre en synergie leurs actions, à faire cause commune, à mettre en «open source» leur méthodologie pour que les succès des uns bénéficient à tous, à créer, en quelque sorte, des écosystèmes coopératifs d’apprentissages et d’innovations pédagogiques contre les inégalités scolaires. Réformer n’est pas simple dans une société qui doute. Prenons conscience des difficultés et des atouts de notre école, prenons chacun notre part de responsabilité, sans catastrophisme, avec détermination et, surtout, projetons-nous positivement en profitant des évolutions du monde et des opportunités qu’elles nous ouvrent. Refaisons de l’école notre bien commun le plus précieux.
(1) Selon Terra Nova, à 4 ans, un enfant pauvre a entendu 30 millions de mots de moins qu’un enfant issu d’un milieu favorisé. Cf. LA LUTTE CONTRE LES INÉGALITÉS COMMENCE DANS LES CRÈCHES, octobre 2013.
(2) Baromètre 2013 du rapport à l’école des enfants de quartiers populaires, Trajectoires-Réflex, Afev.
(3) Moins de 1% de réussite en 1ere année de fac pour ceux issus d’un lycée professionnel.

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