Roubaix : Quand le vélo apaise les pathologies mentales

03/02/2014

Par Xavier Silly

Depuis presque un an, un « atelier thérapeutique » de réparation de vélos s’est installé à Roubaix, initié par l’Établissement public de santé mental de la ville. Un projet pour socialiser ceux qui sont parfois évincés par la société.

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Depuis presque un an, l’Établissement public de santé mentale de Roubaix est à la tête d’un « atelier thérapeutique » de réparation de cycles en tout genre. Une activité manuelle, pour permettre aux malades de se confronter au réel, de se resocialiser.

Un établi, des élévateurs pour mettre les vélos à hauteur d’homme. Des tournevis… L’atelier de réparation de vélos de l’établissement de santé mentale a tout le nécessaire pour venir en aide à ceux qui ne peuvent plus se servir correctement de ce précieux moyen de locomotion. Pour faire vivre ces ateliers, ils sont trois, parfois quatre, à se réunir chaque jour, avec leur savoir-faire, et leur passion pour les courses cyclistes.

Changer l’image

des malades

Il s’agit de Serge Dierkens, l’infirmier qui a instauré l’activité à l’EPSM, et des patients pris en charge par la structure. Eux sont là pour bénéficier d’un soutien et les aider à se former au métier de technicien dans le domaine. «  Nous sommes, à Roubaix, précurseurs dans la mise en place d’ateliers thérapeutiques pour les patients souffrants de troubles mentaux  », souligne Serge Dierkens, infirmier initiateur de l’atelier vélo. «  Il y a l’atelier bois et l’atelier peinture  », poursuit Erika Schroder, cadre supérieur de santé à l’EPSM.

Tout a commencé il y a quelques années, lorsque l’infirmier, passionné de vélo, a mis en place des rendez-vous. «  On a fait des événements, comme le Tour de France en VTT, en amateur… ou la ronde des rois  » C’est au fil de ces sorties que l’idée de réparer les machines a germé. L’atelier vélo rendrait les patients mieux dans leur peau. «  Ils ont un contact avec la terre, c’est un outil qu’on doit maîtriser pour l’utiliser, affirme Serge Dierkens.ça les amène à rencontrer des gens, ça crée aussi des liens, tout comme les sorties à vélo que l’on organise. ».

L’offre du centre peut paraître surprenante pour les gens. «  La société porte un regard assez craintif sur les personnes victimes de pathologies mentales, confie l’infirmier. C’est d’ailleurs cette distance qui aggrave les pathologies parfois, car les personnes atteintes ont tendances à se renfermer. »

Pourtant, comme il peut en témoigner, «  en les côtoyant on se rend compte de leur potentiel. » À l’atelier vélo par exemple, les trois stagiaires ne font pas que réparer. Ils sont aussi en mesure d’apporter des conseils aux clients, lorsqu’ils ont un problème… «  C’est pour nous aussi, un moyen de leur apporter une formation, car s’ils sont là c’est qu’ils ont voulu nous rejoindre. » Avec leurs compétences, il se pourrait que ces techniciens rejoignent un jour des entreprises comme Décathlon ou des structures associatives. En attendant, ils souhaitent davantage se faire connaître.

L’innovation roubaisienne pour les victimes de troubles mentaux

Erika Schröder, cadre supérieure à l’Établissement public de santé mentale de Roubaix, veut que le regard de la société change sur les malades atteints de maladies psychiatriques. «  Ça fait 35 ans que je travaille en psychiatrie et j’entends différentes choses qui relèvent de l’imaginaire sur ce que sont les maladies de ce genre  ». Pour elle, les patients dont elle s’occupe restent pour la grande majorité totalement aptes à vivre une vie «  normale  », en complète adéquation avec la société actuelle.

Elle met en avant l’innovation thérapeutique qui existe à Roubaix, pour mieux les insérer. «  Nous voyons les résultats en termes de bien-être avec l’atelier menuiserie, l’atelier peinture, et aujourd’hui avec l’atelier vélo, souligne-t-elle. Il faut parler des initiatives comme la nôtre, comme celles qui se font ailleurs. » Mais ce dernier projet d’insertion est loin d’être le seul. Bien avant lui, Erika Schröder a été la première en France à lancer la radio les Z’Entonnoirs, diffusée via les stations Radio Campus, Radio Boomerang, ou la RCV. «  C’est une émission où les malades peuvent parler et libérer la parole. C’est quelque chose de tellement bénéfique pour eux de s’exprimer et de créer un lien avec les gens normaux.  »

D’autres actions novatrices dans le traitement des troubles psychiques figurent aussi à Roubaix, comme l’antenne de réécoute des suicidants. «  C’est là aussi quelque chose qu’on ne trouve pas ailleurs puisque c’est un suivi très rapide, après une tentative du patient, à distance, pour ne pas le médicaliser.  »

D’ailleurs, Erika Schröder aime à le rappeler : l’hospitalisation des personnes portant un trouble mental n’est que de 20 % en France.

Preuve qu’il y a une majorité de malades qui peuvent s’insérer.

Grâce aux ateliers vélos,«j’ai retrouvé goût à la vie»

Au 43 rue de Saint-Amand, à Roubaix, ils sont trois patients passionnés par le cyclisme, en charge de réparer les vélos et de conseiller les clients. Parmi eux, Willy, 36 ans et Jean-Philippe, 51 ans. Pour le premier, la pratique du vélo et son insertion dans l’atelier a été salvateur. «  J’étais un peu enfermé. Depuis que j’ai découvert le vélo, et que je travaille à l’atelier, j’ai repris goût à la vie, dit-il. J’ai aussi acheté un vélo de course, je roule tous les dimanches. Maintenant je veux travailler dans ce milieu.  » Le ressentit de Willy va de paire avec celui de Jean-Pierre. «  Devenir un professionnel du vélo, ça me rend fier, lance-t-il. Que ce soit les réparer ou réussir à faire 50 kilomètres, c’est une sensation unique.  »

Ce que les deux stagiaires préfèrent, que ce soit sur les routes, ou dans le garage, « ce sont les moments où on se promène, car on peut parler  », comme le souligne Willy. Et Jean-Pierre d’ajouter : «  ce sont des moments de convivialité.  » Habillés de leur blouse, à l’atelier de Roubaix, les stagiaires ont déjà remis à neuf un bon nombre de ces deux-roues. «  Je viens du lundi au vendredi, assure-t-il. Sauf le jeudi. On a réussi à avoir tous les outils pour travailler  » confirment Jean-Pierre et Willy, lorsque Serge Dierkens, l’infirmier en charge de l’atelier présente le local. Autre bonne nouvelle : les deux patients de l’EPSM se sont tellement investis dans cette discipline qu’ils ont pris ensemble la décision d’arrêter de fumer. Un choix que les équipes de santé saluent. «  Car c’est assez commun que les malades en psychiatrie fument », explique Erika Schröder, la cadre supérieure de santé à l’EPSM. Les deux stagiaires de l’atelier voudraient pourtant réussir à trouver du travail dans le domaine pour pouvoir retrouver une activité professionnelle. En tout cas, comme Serge Dierkens le souligne, «  Si on ne peut pas leur fournir de diplôme, ils ont toutes les capacités pour ça…  »