Société
02/09/2010
Une prison pour repousser les murs de la folie
Reportage
Menacée de fermeture, la centrale de Château-Thierry est citée en exemple pour son travail avec des détenus difficiles, dont plus de 80% sont psychotiques.
Par SONYA FAURE Envoyée spéciale à Château-Thierry
Le détenu ramasse son corps, les coudes contre les flancs, puis le détend d’un coup. «On est en train de faire du ski», explique un surveillant. Le prisonnier est sur le plateau d’une console Wii et à l’écran, un personnage s’envole d’un tremplin. A la maison centrale de Château-Thierry, dans l’Aisne, plus de 80 % des détenus sont psychotiques. Condamnés à de longues peines, ils passent quelques mois, parfois plusieurs années, dans l’établissement. «Le but est de les adapter à la vie carcérale», explique Marie Lafont, la directrice adjointe, au secrétaire d’Etat à la Justice, Jean-Marie Bockel, venu visiter Château-Thierry. «Nous tentons de trouver une prise pour les sociabiliser : une activité Wii pour les uns, un atelier de création artistique ou un travail pour d’autres.» Ici, les détenus appellent les surveillants par leur prénom, parfois les tutoient. C’est un symbole que tout le monde évoque : les uns et les autres se serrent la main pour se saluer.
«Vétusté». Mais Château-Thierry est une vieille prison. Les cellules mesurent 6 m2 - moins que le minimum fixé à 7 m2 par le comité pour la prévention de la torture. Un audit est en cours, qui dira si Château-Thierry peut être rénové ou s’il doit être fermé. «La spécificité de l’établissement n’est pas remise en cause, argumente le porte-parole de la chancellerie, Guillaume Didier. Mais on ne peut pas blâmer à longueur d’articles la vétusté des prisons et reprocher au gouvernement d’étudier l’éventuelle fermeture de celles qui sont concernées.»
«La spécificité de Château-Thierry n’est pas compatible avec les prisons modernes où le surveillant est dans un poste avec barreaudage et répond au détenu par interphone», s’inquiète Renald Champrenaut, du syndicat Ufap. Un collègue de FO poursuit : «Ici, on n’a pas de mirador et ça ne nous manque pas.»
Car Château-Thierry est une anomalie pénitentiaire. Un petit établissement - la centrale accueille une soixantaine de détenus - qui s’est organisé empiriquement. «Une structure hors normes», ont écrit les sénateurs (1), sur laquelle l’administration communique peu. La bâtisse a été construite en 1850, intégrée à la ville. Cent ans plus tard, face à la hausse des malades mentaux en prison, Château-Thierry est chargé de soulager les établissements traditionnels et d’accueillir les détenus incapables de s’intégrer à un régime de détention classique - «fauteurs de troubles» ou victimes de violence. «Château-Thierry s’occupe de détenus que nous, nous ne pouvons gérer que par la force», témoigne Cédric Deprez, surveillant lillois. «On n’est pas meilleurs qu’ailleurs, reprend Renald Champrenaut. Mais on est plus nombreux.» 55 surveillants pour la centrale et le centre de détention d’une trentaine de places. «A la moindre alarme, nous sommes immédiatement trois surveillants à discuter avec le détenu : ça évite que la situation dérape.» Les nouveaux surveillants, souvent volontaires, sont pris en charge par des tuteurs pour «éviter le choc de la nouvelle tête» aux détenus.
Échange.«Quand les détenus arrivent, ils ne savent plus attendre, ne savent plus formuler une demande. On leur apprend à avoir une hygiène corporelle, à savoir téléphoner, à reprendre contact avec leur famille», racontent les surveillants. Les automutilations sont fréquentes mais les suicides et les agressions sur le personnel, rares. «Nous ne sommes pourtant pas dotés de haute technologie, dit Renald Champrenaut. Pas d’interphone dans les cellules, mais des surveillants qui n’hésitent pas à remplir le cahier d’observation plusieurs fois par jour et à transmettre leurs inquiétudes au service médical.» Chaque semaine, pénitentiaires et médecins se réunissent : «C’est un échange, les surveillants font des stages dans une unité de soin intensif psychiatrique et les personnels sont formés à intervenir en prison», dit Gilles Uzzan, psychiatre du pôle santé de Château-Thierry. En 2007, une étude des services de santé a contraint à renforcer le personnel médical, bien supérieur à celui d’une prison classique (un psychiatre à temps plein, un poste et demi de psychologues, sept infirmiers, un généraliste à mi-temps…)
«Ce n’est plus vraiment une prison, risque un surveillant, c’est plutôt un truc de soins…» Cette ambiguïté fait dire à certains médecins que Château-Thierry est un «sous-hôpital». Le rapport sénatorial souligne que «l’organisation des soins ne semble pas à la mesure des besoins […]. L’offre de soins rencontre les limites inhérentes au système carcéral et à l’ancienneté de l’infrastructure.» Stéphanie Djian, de l’Observatoire international des prisons, soulève un «autre problème» : «Plus il y aura des structures spécialisées et plus on enfermera des malades mentaux, qui n’ont rien à faire en prison. On présente Château-Thierry comme un modèle car surveillants et détenus boivent des cafés. En creux, cela montre surtout le manque d’humanisation des prisons classiques.» Cet été, les détenus ont redécouvert les grandes tablées avec «l’atelier barbecue». L’un d’eux a dit : «ça me renvoie vingt-quatre ans en arrière.» A l’époque, il était libre.
(1) Rapport d’information «Prison et troubles mentaux», mai 2010.
02/09/2010
Une prison pour repousser les murs de la folie
Reportage
Menacée de fermeture, la centrale de Château-Thierry est citée en exemple pour son travail avec des détenus difficiles, dont plus de 80% sont psychotiques.
Par SONYA FAURE Envoyée spéciale à Château-Thierry
Le détenu ramasse son corps, les coudes contre les flancs, puis le détend d’un coup. «On est en train de faire du ski», explique un surveillant. Le prisonnier est sur le plateau d’une console Wii et à l’écran, un personnage s’envole d’un tremplin. A la maison centrale de Château-Thierry, dans l’Aisne, plus de 80 % des détenus sont psychotiques. Condamnés à de longues peines, ils passent quelques mois, parfois plusieurs années, dans l’établissement. «Le but est de les adapter à la vie carcérale», explique Marie Lafont, la directrice adjointe, au secrétaire d’Etat à la Justice, Jean-Marie Bockel, venu visiter Château-Thierry. «Nous tentons de trouver une prise pour les sociabiliser : une activité Wii pour les uns, un atelier de création artistique ou un travail pour d’autres.» Ici, les détenus appellent les surveillants par leur prénom, parfois les tutoient. C’est un symbole que tout le monde évoque : les uns et les autres se serrent la main pour se saluer.
«Vétusté». Mais Château-Thierry est une vieille prison. Les cellules mesurent 6 m2 - moins que le minimum fixé à 7 m2 par le comité pour la prévention de la torture. Un audit est en cours, qui dira si Château-Thierry peut être rénové ou s’il doit être fermé. «La spécificité de l’établissement n’est pas remise en cause, argumente le porte-parole de la chancellerie, Guillaume Didier. Mais on ne peut pas blâmer à longueur d’articles la vétusté des prisons et reprocher au gouvernement d’étudier l’éventuelle fermeture de celles qui sont concernées.»
«La spécificité de Château-Thierry n’est pas compatible avec les prisons modernes où le surveillant est dans un poste avec barreaudage et répond au détenu par interphone», s’inquiète Renald Champrenaut, du syndicat Ufap. Un collègue de FO poursuit : «Ici, on n’a pas de mirador et ça ne nous manque pas.»
Car Château-Thierry est une anomalie pénitentiaire. Un petit établissement - la centrale accueille une soixantaine de détenus - qui s’est organisé empiriquement. «Une structure hors normes», ont écrit les sénateurs (1), sur laquelle l’administration communique peu. La bâtisse a été construite en 1850, intégrée à la ville. Cent ans plus tard, face à la hausse des malades mentaux en prison, Château-Thierry est chargé de soulager les établissements traditionnels et d’accueillir les détenus incapables de s’intégrer à un régime de détention classique - «fauteurs de troubles» ou victimes de violence. «Château-Thierry s’occupe de détenus que nous, nous ne pouvons gérer que par la force», témoigne Cédric Deprez, surveillant lillois. «On n’est pas meilleurs qu’ailleurs, reprend Renald Champrenaut. Mais on est plus nombreux.» 55 surveillants pour la centrale et le centre de détention d’une trentaine de places. «A la moindre alarme, nous sommes immédiatement trois surveillants à discuter avec le détenu : ça évite que la situation dérape.» Les nouveaux surveillants, souvent volontaires, sont pris en charge par des tuteurs pour «éviter le choc de la nouvelle tête» aux détenus.
Échange.«Quand les détenus arrivent, ils ne savent plus attendre, ne savent plus formuler une demande. On leur apprend à avoir une hygiène corporelle, à savoir téléphoner, à reprendre contact avec leur famille», racontent les surveillants. Les automutilations sont fréquentes mais les suicides et les agressions sur le personnel, rares. «Nous ne sommes pourtant pas dotés de haute technologie, dit Renald Champrenaut. Pas d’interphone dans les cellules, mais des surveillants qui n’hésitent pas à remplir le cahier d’observation plusieurs fois par jour et à transmettre leurs inquiétudes au service médical.» Chaque semaine, pénitentiaires et médecins se réunissent : «C’est un échange, les surveillants font des stages dans une unité de soin intensif psychiatrique et les personnels sont formés à intervenir en prison», dit Gilles Uzzan, psychiatre du pôle santé de Château-Thierry. En 2007, une étude des services de santé a contraint à renforcer le personnel médical, bien supérieur à celui d’une prison classique (un psychiatre à temps plein, un poste et demi de psychologues, sept infirmiers, un généraliste à mi-temps…)
«Ce n’est plus vraiment une prison, risque un surveillant, c’est plutôt un truc de soins…» Cette ambiguïté fait dire à certains médecins que Château-Thierry est un «sous-hôpital». Le rapport sénatorial souligne que «l’organisation des soins ne semble pas à la mesure des besoins […]. L’offre de soins rencontre les limites inhérentes au système carcéral et à l’ancienneté de l’infrastructure.» Stéphanie Djian, de l’Observatoire international des prisons, soulève un «autre problème» : «Plus il y aura des structures spécialisées et plus on enfermera des malades mentaux, qui n’ont rien à faire en prison. On présente Château-Thierry comme un modèle car surveillants et détenus boivent des cafés. En creux, cela montre surtout le manque d’humanisation des prisons classiques.» Cet été, les détenus ont redécouvert les grandes tablées avec «l’atelier barbecue». L’un d’eux a dit : «ça me renvoie vingt-quatre ans en arrière.» A l’époque, il était libre.
(1) Rapport d’information «Prison et troubles mentaux», mai 2010.
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