La sociologue Colette Bec revient sur l’histoire de la « Sécu », à l’occasion de la sortie du documentaire « La Sociale » dans lequel elle apporte son éclairage.
LE MONDE | | Propos recueillis par Adrien Pécout
Gilles Perret avait consacré deux de ses précédents documentaires au programme du Conseil national de la résistance (Walter, retour en résistance, en 2009,et Les jours heureux, en 2013). Toujours dans cette même veine – historique et militante –, le réalisateur signe à présent La Sociale, en salles depuis le 9 novembre. Le film revient sur les 70 ans de la Sécurité sociale, née en 1945 puis développée sous l’impulsion du ministre communiste Ambroise Croizat. Avant de subir un « effritement de ses principes fondateurs », selon Colette Bec, professeure émérite de sociologie à l’université Paris-5 Descartes, spécialiste de la question, qui apporte son éclairage dans le documentaire.
Quelle est la principale différence entre la Sécurité sociale telle qu’elle existe en 2016 et celle de 1945 ?
Les différences sont nombreuses, mais il y en a une qui me paraît essentielle : on constate un effritement des principes fondateurs depuis la fin des années 1960. Le déficit, dont on parle beaucoup ces temps-ci, et quasiment devenu un marronnier depuis des années. Il était déjà à l’origine de la réforme de 1967. Cette réforme est, selon moi, la première pierre d’une approche essentiellement comptable, qui va peu à peu reléguer au second rang les finalités politiques et sociales de la Sécurité sociale.
A partir de ce moment-là, on débattra de moins en moins de la place de la Sécurité sociale dans la société, plutôt de sa place dans l’économie. C’est le thème omniprésent du « trou » de la Sécurité sociale et la substitution significative du terme « charges » à celui de « cotisations ». Cette logique n’a fait que s’amplifier depuis. Elle a contribué à déstabiliser et à délégitimer les deux piliers de l’Etat social que sont le droit du travail et le système de Sécurité sociale.