par Johanna Luyssen publié le 25 décembre 2023
«Althusser trop fort.» Longtemps, ce canular macabre a circulé dans le milieu intellectuel français. Plaisanterie d’initiés, blague de khâgneux, il désigne le cou d’une femme, Hélène Rytmann, étranglée par le philosophe Louis Althusser le 16 novembre 1980 à 7h55 dans leur appartement de fonction de l’Ecole normale supérieure, à Paris. Fait divers total, l’affaire a estourbi la France de l’époque : un philosophe marxiste, prophète en son pays, meurtrier de son épouse, au sein d’une des plus grandes écoles françaises. Mais en dépit de l’avalanche d’articles et de livres parus depuis quarante-trois ans, il a fallu attendre cet automne pour qu’un ouvrage le qualifie de féminicide.
Des circonstances du meurtre, on sait peu de choses. Althusser décrit lui-même l’épisode dans l’Avenir dure longtemps, publié après sa mort en 1990. Il parle de ce dimanche comme d’une «nuit impénétrable», où tout semble s’être déroulé sans lui, dans cet appartement du 45, rue d’Ulm (Ve arrondissement), aux «très vieux rideaux rouge “empire” lacérés par le temps et brûlés par le soleil». «Et soudain, je suis frappé de terreur, écrit-il. Ses yeux sont interminablement fixes et surtout voici qu’un bref bout de langue repose, insolite et paisible, entre ses dents et ses lèvres. […] Je sais que c’est une étranglée. Je me redresse et hurle : “J’ai étranglé Hélène !”»