par Virginie Bloch-Lainé publié le 21 juillet 2023
Dès l’enfance la question se pose, marguerite à la main : faut-il aimer un peu, beaucoup, passionnément, à la folie ? A partir de quand l’attachement se fait-il violence, au point de dominer la raison et de prendre possession de nous ? Synonyme d’addiction ou d’élan irrésistible, de souffrances voire d’abus, la passion a mauvaise presse. Fascination pour le crime, fan attitude, passion en philosophie ou littérature, échauffé par l’été, Libé se met dans la tête de philosophes, d’écrivains ou d’aficionados pour explorer ce désir humain, trop humain pour être vaincu si facilement.
De façon presque unanime, les philosophes condamnent le désir amoureux et se montrent plus sévères encore envers la passion, en laquelle ils voient un jeu de dupes et une promesse de malheur. Si un philosophe contemporain, Paul Audi, pense l’amour comme «la priorité absolue», ce qui nous humanise (le Pas gagné de l’amour, Galilée, 2016), les autres sont prévenus contre ce sentiment et en appellent à la lucidité de celui chez qui il se présente. Ainsi selon Arthur Schopenhauer, le désir nous destine à être perpétuellement insatisfaits. L’auteur du Monde comme volonté et représentationaccuse Eros d’exercer une tyrannie sur nos vies : l’amour «acquiert une influence néfaste sur les affaires les plus importantes, interrompt à toute heure les occupations les plus sérieuses, jette parfois pour quelque temps le trouble dans les plus grands cerveaux, ne craint pas d’intervenir avec sa pacotille dans les tractations des hommes d’Etat et les recherches des savants et de les perturber […]». Professeure de philosophie dans un lycée marseillais, Marianne Chaillan, dans A la folie, passionnément (éditions des Equateurs) prend elle aussi le parti du désir amoureux. Elle défend sa nécessité et ses bénéfices contre les romanciers et les philosophes qui cherchent à rabattre notre joie.