Par Ondine Millot Publié le 24 octobre 2022
Dans les Deux-Sèvres, les patients du service psychiatrie de l’hôpital de Niort prennent la parole sur l’antenne de cette Web-radio. A travers des lectures, des débats ou en réalisant des reportages, ils renouent avec ces mots qui leur ont souvent fait défaut. Une bulle dans le secteur de la psychiatrie, en grande souffrance.
Il a 14 ans, une bouille ronde encore enfantine, un grand sourire avec des bagues. Autour de lui, les murs du petit local sont recouverts de pochettes de disques multicolores, d’affiches de concert – The Police, ZZ Top, Bob Dylan, Barbara, Iggy Pop, Jacques Dutronc, Amy Winehouse… Des barquettes d’œufs collées au plafond assurent l’isolation phonique.
Lukas (certains patients n’ont pas donné leur nom de famille) met son casque sur les oreilles, approche son visage du micro : « Bonjour et bienvenue dans votre nouvelle émission “C’est très facile 2.0”, une émission de jardinage sur Radio Pinpon. » Pour ce mercredi matin, Lukas a préparé quatre thèmes, « le pommier, le framboisier, le pêcher, le myrtillier », énumère-t-il d’un ton joyeux.
Ses émissions durent trois minutes, pendant lesquelles il distille ses conseils d’horticulture et d’arboriculture. « Ma passion, précise-t-il. Transmise par mon père. » Il a préenregistré les bandes-son chez lui, car il aime « prendre de l’avance ». Penché sur la console de réglages, Eric Lotterie, qui cumule les fonctions de technicien radio et d’infirmier psychiatrique, l’aide à les monter, à les mixer, puis à les mettre en ligne et à les programmer pour diffusion. Devant l’impatience de l’ado, il fait semblant de râler. « Votre génération, avec les réseaux sociaux, vous voulez tout, tout de suite. Moi, petit, je n’avais même pas de téléphone fixe. » Lukas le regarde, hilare : « Tu as connu aussi les pigeons voyageurs et la diligence ? »
Une indispensable soupape
Eric Lotterie, 59 ans, est soignant au pôle psychiatrie de l’hôpital de Niort depuis trente ans. Le 25 septembre 2018, il a lancé Radio Pinpon, webradio thérapeutique animée par des patients. « Une vraie radio de malade ! », clame son slogan. L’idée avait germé trois ans plus tôt dans la tête d’un autre Eric, Eric Bard, lui aussi infirmier psychiatrique à Niort, aujourd’hui à la retraite.
« On n’a pas de grille des programmes fixe. On estime qu’il y a déjà suffisamment de choses qui enferment à l’hôpital. » Eric Lotterie, infirmier psychiatrique
A l’époque, les deux Eric gèrent ensemble La P’tite Cafète, une cafétéria hospitalière où les patients travaillent comme serveurs et à laquelle se greffent des activités sociales (soirées cinéma, repas festifs…). Eric Bard, qui sait que son collègue anime une émission sur une FM associative, lui suggère : pourquoi pas une radio à l’hôpital ?
« On se tirait un peu une balle dans le pied, en faisant ça, sourit Eric Bard rétrospectivement, car on créait une activité supplémentaire sans poste d’infirmier en plus. Mais ce qui marche, en psychiatrie, c’est lorsque le patient est acteur de sa prise en charge, qu’il se l’approprie. Ça a davantage d’impact que si un médecin lui dit : “Tu feras ça de telle heure à telle heure.” Donc il faut qu’il y ait du choix, différentes offres de soins. Or l’hôpital, qui proposait par le passé de nombreux ateliers thérapeutiques, en propose aujourd’hui beaucoup moins. »