Par Cécile Ducourtieux
ENQUÊTE Judy, Veronica, Ann… Ces femmes font partie des quelque 250 000 Anglaises à avoir été séparées de leurs bébés nés hors mariage. Ces abandons, effectués sous la pression intense des institutions et de la société entre les années 1950 et 1980, ont bouleversé leurs vies et, souvent, celles de leurs enfants. Elles réclament aujourd’hui des excuses de leur pays.
1967. Cette année-là, les Beatles chantent All You Need Is Loveet l’avortement vient tout juste d’être légalisé en Angleterre et au Pays de Galles. « C’était l’époque du Swinging London, raconte Judy Baker, une énergique retraitée. J’avais 18 ans, j’ai rencontré le père de ma fille à Chelsea, au cœur de Londres, qui était l’endroit où l’on faisait la fête. Il avait 30 ans, il était très attirant et j’étais naïve. On a entamé une relation sexuelle régulière. » Judy Baker commence à prendre la pilule, disponible dans le pays depuis 1961. Trop tard, elle est déjà enceinte. « Je ne m’en suis pas aperçue tout de suite, parce que j’avais des règles irrégulières et que ma mère ne m’avait jamais rien expliqué sur le fonctionnement du corps féminin. »
La jeune fille est terrifiée, mais elle ne veut pas avorter, et le père de l’enfant est marié. A l’époque, dans ce pays qui entre de plain-pied dans la modernité après les années grises de l’après-guerre, être une « fille-mère » – une femme enceinte sans être mariée – est considéré comme une infamie. Inquiète, Judy Baker rencontre une assistante sociale à l’hôpital, le National Health Service (NHS), système de santé public et gratuit créé juste après guerre. « Elle m’a immédiatement dit : “Vous savez quelle est la solution, n’est-ce pas ? C’est l’adoption.” »