ENQUÊTE D’où vient cette étrange réaction stéréotypée, bruyante et convulsive ? Quels sont ses fonctions, ses bienfaits et ses pathologies ? Tour d’horizon des travaux scientifiques portant sur ce pas tout à fait « propre de l’homme ».
Rire au temps du Covid-19 ? Rire pour conjurer l’angoisse ? Les ravages du SARS-CoV-2 ont ravivé ces questions : pourquoi rions-nous ? D’où vient cette étrange réaction stéréotypée qui nous fait montrer les dents, émettre des sons inarticulés, expirer de façon saccadée, le visage saisi de convulsions, le thorax secoué de soubresauts ? Pourquoi cette curieuse vocalisation, cette mimique baroque – entre grimace et arme de séduction ?
« Faire rire, c’est faire oublier. Quel bienfaiteur sur la terre, qu’un distributeur d’oubli ! », s’écrie Hugo (L’Homme qui rit, 1869). La recherche du mot français « blagues », sur Google, a connu un pic entre le 29 mars et le 4 avril 2020, soit peu avant l’acmé du nombre de décès quotidien durant la première vague de Covid-19 en France. Un reflet de l’ennui lié au confinement ? Pas seulement. Qui d’entre nous n’a pas trouvé un certain réconfort dans les dessins d’humour, histoires drôles et vidéos circulant de façon virale sur les réseaux sociaux ? Tel ce (faux) chef d’orchestre qui, tout en dirigeant une musique endiablée, se lave frénétiquement les mains. Le second confinement, malgré la lassitude, n’a pas épuisé ce besoin d’humour.
« Le monde est vieux, dit-on, je le crois ; cependant – Il le faut amuser encor comme un enfant. » Dans Le Pouvoir des fables (1678), La Fontaine confie ce qu’est pour lui une fonction essentielle du rire : offrir, face à l’âpreté du monde, un bref éclair récréatif. Un divertissement, au sens pascalien. Mais le rire a bien d’autres raisons d’être. Rire fédérateur ou séducteur, rire libérateur ou cathartique, rire antalgique ou apaisant, rire réparateur. Mais aussi rire forcé ou nerveux, rire ironique et moqueur, rire insoumis et subversif, rire destructeur parfois. D’emblée apparaît l’ambivalence constitutive du rire, dont témoigne l’étymologie. Pour désigner cette hilarité, le grec utilise deux termes : gêlan (le rire joyeux) et katagelân (le rire agressif ou moqueur). L’hébreu aussi : sâhaq et lâhaq.