ENQUÊTE C’est une tradition largement répandue dans la communauté afro-américaine : éduquer ses enfants aux risques encourus par le simple fait d’être noir. Une « conversation » relancée par le mouvement Black Lives Matter.
Joseph K. West n’aurait jamais imaginé que son rôle de parent l’amènerait un jour à visionner, avec ses trois adolescents, les images de l’agonie de George Floyd sous le genou d’un policier blanc à Minneapolis. Il y a une quinzaine de jours, cet avocat de Washington s’y est pourtant résolu, tristement convaincu qu’il devait, une fois encore, mener avec ses enfants « the talk », cette discussion rituelle qu’ont toutes les familles afro-américaines sur les dangers encourus par le simple fait d’être noir aux Etats-Unis.
« “The talk”, c’est ce que nous faisons depuis des générations pour garder nos jeunes en vie, résume le quinquagénaire. Nous informons nos fils que même la plus banale interaction, notamment avec des fonctionnaires chargés de les protéger et de les servir, peut se révéler fatale. » Un euphémisme pour prévenir la jeunesse noire américaine des effets toujours vivaces du racisme au sein d’une partie de la société et dans les forces de l’ordre.
En ces temps de protestations massives contre les violences policières, cette « conversation » a pris un écho particulier. Une succession d’affaires tragiques, ces dernières semaines, l’a rendue plus urgente encore qu’à l’accoutumée. Le meurtre, en Georgie, d’un joggeur noir pris en chasse par des citoyens blancs, la vidéo d’un homme noir venu observer les oiseaux et pris à partie par une femme blanche à Central Park, le jugeant « menaçant », puis la mort en direct de George Floyd, le 25 mai, ont forcé Joseph K. West à aborder frontalement le sujet « plusieurs fois en quelques semaines ».
« Je voulais que mes enfants, qui vivent dans un milieu multiracial, comprennent que, pour certains Blancs, la vie des Noirs n’a pas de valeur, même lorsque l’on s’efforce de désamorcer la situation. On l’a bien vu dans le cas de George Floyd : il est resté poli jusqu’au moment de sa mort. » Depuis le meurtre du joggeur, deux des enfants West, férus d’athlétisme, hésitent à courir dans la rue.