"Shop-Lifter Detected" (1787), d’après John Collett (1725-1780).
Photo Lewis Walpole Library. Yale University
L’historienne Ariane Fennetaux nous dévoile la vie des femmes à travers la poche détachable. Souvent cachée sous les jupes, elle était bien plus qu’un accessoire de mode, à une époque où la gent féminine n’avait pas le droit à la propriété.
Qui se souvient que pendant plus de deux cents ans, les femmes ont porté des poches détachables ? De larges bourses de tissu qu’elles attachaient à leur ceinture et cachaient sous leur jupe - car elles n’avaient pas, contrairement aux hommes, de poches intégrées à leur vêtement ? Les observateurs avertis les auront peut-être repérées sur certains tableaux du XVIIIe, ou dans un roman où une femme se plaindra de s’être fait «voler sa poche». C’est le travail de longue haleine de la chercheuse Barbara Burman et de l’historienne Ariane Fennetaux qui vient mettre au jour cet objet oublié dans un très bel ouvrage illustré de langue anglaise, The Pocket, dont l’ambition est d’écrire une «histoire cachée des femmes» par l’entremise de cet artefact. Dès la fin du XVIIe siècle, la poche détachable aura en effet offert à des femmes de toutes classes sociales un début d’autonomie par la mobilité et aura été d’une grande stabilité d’utilisation, quand bien même, au mitan du XIXe siècle, un discours publicitaire les enjoint d’adopter le réticule. Pratique vestimentaire qui échappe donc au système de la mode, la poche (et son contenu) est le moyen d’accéder à des usages féminins dont aucun écrit ne recense l’existence, et de croiser histoire industrielle, histoire de la consommation et études de genre. Car l’inégalité dans le vêtement, au XIXe siècle comme aujourd’hui, a fait de la poche un enjeu politique. Etudiant correspondances et inventaires, épluchant archives judiciaires (mine d’or, qui recense le contenu de poches perdues ou volées), les chercheuses se sont livrées à une passionnante enquête, circonscrite au territoire anglais, dont on espère qu’un éditeur français s’emparera au plus vite. Ariane Fennetaux, maître de conférences à l’université Paris-Diderot et spécialiste du vêtement, revient sur la genèse de son ouvrage.