Des corps sont conservés dans une chambre froide du CHU de Poitiers, le 17 décembre. Photo Claude Pauquet. VU pour Libération
INTERVIEW
Psychiatre et médecin légiste, Alexia Delbreil passe au crible les homicides conjugaux depuis une dizaine d’années. Elle en tire un schéma récurrent : l’acte impulsif d’un homme en manque d’estime de soi après une rupture.
Elle a entrepris une véritable plongée dans les rouages d’un crime qui progressivement sort de l’ombre. Depuis une dizaine d’années, le docteur Alexia Delbreil, psychiatre et médecin légiste au CHU de Poitiers (Vienne), étudie les homicides conjugaux. Ces crimes, elle les a souvent côtoyés, que ce soit en médecine légale (de la levée du corps à l’autopsie, en passant par la reconstitution) ou en psychiatrie, à travers les expertises réalisées en vue d’un procès. En 2011, la discrète trentenaire leur a même consacré sa thèse. Pour ce faire, avec l’accord du ministère de la Justice, elle a passé au crible les dossiers judiciaires complets de plus d’une cinquantaine de cas d’homicides ou de tentatives du ressort de la cour d’appel de Poitiers, épluchant scrupuleusement enquêtes de personnalité, auditions des auteurs, témoignages de l’entourage et autres expertises. Depuis, elle est devenue l’une des spécialistes françaises les plus reconnues sur le sujet. «Ces histoires se ressemblent, tout en étant singulières», analyse-t-elle depuis son bureau, au deuxième sous-sol de l’hôpital poitevin. Son objectif désormais : mieux prévenir un crime qui a causé la mort de 149 personnes, dont 121 femmes en 2018. En 2019, elles étaient au moins 127 à avoir trouvé la mort dans ces circonstances, selon les données (sûrement partielles, car établies à partie d’une revue de presse) compilées par Libération.
Lors d’un homicide conjugal, les victimes ont-elles systématiquement subi des violences auparavant ?
Pas forcément. On ne trouve pas toujours de trace de violences avant un homicide. Déjà parce qu’assez peu de victimes portent plainte : 17 % dans nos travaux, contre 24 % selon les données du récent rapport de l’Inspection générale de la justice [qui portait sur 88 cas d’homicides conjugaux survenus en 2015 et 2016 et définitivement jugés, ndlr]. Dans les dossiers qu’on a étudiés, les interrogatoires de l’entourage (amis, famille, collègues) peuvent en revanche contenir des descriptions de situations de violences physiques, dans environ 60 % des cas.