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Dessin Sylvie Serprix
Dans une société mue par l’urgence et hantée par la perte de temps, la psychanalyste et philosophe réhabilite ce ralentissement qui dérègle la course folle contre la montre dont nous sommes les victimes consentantes. Le retard, dit-elle, pousse à l’action, et permet de garder sa singularité face à des impératifs temporels qui nous échappent.
Nous le ressentons, nous l’éprouvons sans cesse : l’impression de manquer de temps n’a jamais été aussi partagée alors que jamais les moyens techniques nous ont autant permis d’en gagner. C’est l’un des paradoxes de la société moderne analysée par le sociologue Hartmut Rosa : l’accélération des communications produit une «famine temporelle». Des rendez-vous professionnels aux activités de loisirs, tout est devenu affaire de timing, rendant notre rapport au temps et à sa perte toujours plus obsessionnel. Cette «crise du présent» dont parlait Hannah Arendt dépasse de loin les conditions matérielles des individus, elle n’épargne ni les corps ni les psychismes. Elle produit du stress et des maladies chroniques. Même lorsqu’on a du temps, on cherche à le «tuer», relève Hélène L’Heuillet, philosophe et psychanalyste (photo DR), qui publie Eloge du retard (Albin Michel). «Nous sommes des victimes consentantes d’une course folle destinée à gagner du temps», écrit la maîtresse de conférences à l’université Paris-Sorbonne et auteure de plusieurs ouvrages sur les relations humaines et les formes contemporaines de la violence - Tu haïras ton prochain comme toi-même (Albin Michel, 2017) et Du voisinage (Albin Michel, 2016). Face à la transformation effrénée des rythmes sociaux, le retard est un contre-pied jubilatoire, explique la philosophe. Il est une «résistance» à la «société accélérée», prédatrice du moindre de nos plis intérieurs et qu’il faudrait rentabiliser. Mieux encore, le retard, dit-elle, pourrait aider à agir… au bon moment !