La grande écrivaine (1908-1986) entre dans « La Pléiade » avec ses livres autobiographiques. La romancière Camille Laurens y voit l’auteure du « Deuxième Sexe » fidèle à la littérature – et à Sartre.
LE MONDE DES LIVRES | | Par Camille Laurens (écrivaine)
Mémoires I et II, de Simone de Beauvoir, édité sous la direction de Jean-Louis Jeannelle et Eliane Lecarne-Tabone, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1584 p. et 1696 p. sous coffret.
« Dissiper les mystifications, dire la vérité, c’est l’un des buts que j’ai le plus obstinément poursuivis à travers mes livres. » Sans doute cette phrase, extraite de Tout compte fait,s’applique-t-elle bien au cycle mémoriel que Simone de Beauvoir a mené durant vingt-cinq ans, ressaisissant, entre 1956 et 1981, à la fois presque toute sa vie – elle était née en 1908, morte en 1986 – et une période historique riche en événements majeurs. Dans ce genre si particulier des Mémoires, qui imbrique l’intime et l’Histoire, et par lequel elle entre dans « La Pléiade », Beauvoir envisage sa vie comme « une expérience exemplaire où se refléterait le monde entier ». Elle revient à plusieurs reprises sur son exigence de transparence et d’authenticité.
Portraits tendres ou acérés
Pour autant, à quelle vérité sa mémoire, au fil des ans, s’est-elle d’abord attachée ? Qu’est-ce qui mérite d’être raconté ? Les événements, qu’elle en soit observatrice ou actrice, la maladie, la mort même sont décrits avec la minutie d’un greffier et un positivisme factuel sans faille, parfois pénible, notamment dans La Cérémonie des adieux, chronique des dernières années de Sartre. Les autres, plus ou moins proches, font l’objet de portraits tendres ou acérés. Son projet de se « jeter toute crue dans un livre », en revanche, rencontre des obstacles et le récit de soi, auto-analyse extraordinairement lucide mais jamais totalement libre, reste entravé par de multiples réserves, omissions, discrétions, recompositions.