Les hommes coupent trois fois plus la parole aux femmes que l’inverse, selon les études. CHLOE POIZAT
Sur le plateau, le tailleur rouge de Sylvia Pinel tranche avec les costumes gris de ses voisins. En ce jour de débat, la seule femme de la primaire à gauche évoque les leçons politiques de François Mitterrand quand David Pujadas lui pose une question sur le dépassement des clivages traditionnels.
La candidate reprend la parole. « Ecoutez, c’est… », commence-t-elle. Une voix s’élève à sa droite : sans lui jeter un regard, Jean-Luc Bennahmias répond à sa place. « C’est l’un des ratés du premier gouvernement Hollande de ne pas avoir permis à François Bayrou d’être élu », explique-t-il avec assurance.
La caméra est tournée vers le visage de Jean-Luc Bennahmias mais on entend au loin un rire un peu crispé. « Jean-Luc, Jean-Luc, lance Sylvia Pinel en faisant un signe de la main. Je vois que la parité, même sur ce plateau, est difficile… C’est assez désagréable… »
La candidate tente de reprendre le fil de ses idées mais elle a perdu pied. « Il est… C’est… Je ne me souviens même plus de la question », ajoute-t-elle, un brin agacée. En ce 19 janvier, Sylvia Pinel vient de faire l’expérience d’un phénomène que toutes les femmes connaissent, même si elles en ignorent le nom : le manterrupting.
Le mot apparaît au début de l’année 2015, sous la plume de Jessica Bennett, une chroniqueuse pour le New York Times et le magazine Time. Dans un article intitulé « How not to be “manterrupted” in meetings » (« comment ne pas être interrompue par un homme en réunion »), elle raconte, études à l’appui, les étonnantes vicissitudes qui accompagnent la prise de parole des femmes. « Mes amies ont un terme pour ça : le manterrupting [contraction de man et interrupting] », conclut Jessica Bennett. Depuis, le mot s’est peu à peu imposé dans les débats sur le sexisme ordinaire.