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Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

jeudi 18 août 2016

L’homme qui cherchait le silence

LE MONDE | Par Nicolas Celnik
Depuis trente-cinq ans que Gordon Hempton parcourt le monde, micro à la main, enrichissant sa bibliothèque de milliers d’heures de « sons de la vie », il n’a pu répertorier qu’une cinquantaine de zones à l’abri des nuisances sonores humaines. Lorsque ce bioacousticien américain part en quête de silence, il ne cherche pas l’absence de bruit – chimère s’il en est – mais pense plutôt à quelque chose qui s’écoute, tout ce qui compose la biophonie (le son des êtres vivants) et la géophonie (le son des éléments naturels tels que le vent ou l’eau).
Fondateur et vice-président de One Square Inch of Silence (quelques centimètres carrés de silence), il milite pour la protection des espaces sonores, qui sont de plus en plus affectés par l’anthropophonie (sons d’origine humaine). « Si rien n’est fait pour préserver et protéger ces zones, écrit-il sur le site de la fondation, le silence risque de disparaître dans les dix prochaines années. »
Cinquantaine de zones de silence
Si le projet est poétique, la méthode pour déterminer une zone de silence, elle, est scientifique. A l’aube, quand la biophonie bat son plein, un sujet dont l’ouïe a été préalablement testée – celle de Gordon est altérée – doit pouvoir n’entendre aucun bruit anthropique durant quinze minutes consécutives. Si des ondes d’une fréquence percevable par l’ouïe humaine sont repérées par le sonomètre au moins tous les quarts d’heure, la zone n’est pas considérée comme silencieuse. Notre oreille peut déceler des sons provenant de plus d’une vingtaine de kilomètres, et un simple bruit d’avion suffirait à rompre la quiétude du moment – la sélection est donc drastique.

La radicalisation n’est pas une maladie mentale mais un mode de pensée!

TUNISIE 15.07.2016


La radicalisation n’est pas une maladie mentale mais un mode de pensée!
Tunis, Sousse, Paris, Bruxelles, Istanbul, Nice: le terrorisme islamiste se propage au quatres points cardinaux, à la vitesse du son, tel un cancer qui se métastase, franchissant à chaque fois un nouveau cap dans l'horreur, parvenant à prendre en défaut la vigilance des forces de sécurité. L'humanité tout entière semble tétanisée face une situation inédite dont même les scénaristes de films d'épouvante d'Hollywood n'ont jamais imaginée. Que peut-on faire face à des monstres qui sont prêts à tout. Que peut-on faire pour enrayer le fléau. D'abord prendre conscience de sa gravité. C'est fait. Mais aussi l'analyser. Ce n'est pas encore la cas. Le terrorisme islamiste reste un phénomène sous analysé. 
Cette lacune, le congrès de l’une des plus vieilles associations de psychiatres de France, le Congrès de psychiatrie et de neurologie de langue française (Cpnlf), qui s’est tenu début juin à Toulouse a tenté de lors de sa 114e session annuelle tenu début juin, de combler.


De notre envoyé spécial - Dans cet espace francophone, une question était dans tous les esprits, actualité terroriste oblige : la radicalisation est-elle une maladie mentale?
Différents experts, venant principalement du Maghreb et de France, ont essayé, chacun à partir de son expérience propre, de répondre à cette délicate question.
Il fut d’abord souligné que le terme en lui-même est assez nouveau dans son acception actuelle. Les médias avaient utilisé bien d’autres noms pour décrire la question : intégrisme, fanatisme, extrémisme, etc.
L’anthropologue franco-iranien serait celui qui a ancré l’utilisation du terme aux dépens des autres lors de la publication de son livre en 2014 intitulé La Radicalisation, Ed. Sciences de l’Homme. Il définit la radicalisation comme un «processus par lequel un individu ou un groupe adopte une forme violente d’action, directement liée à une idéologie extrémiste à contenu politique, social ou religieux qui conteste l’ordre établi sur le plan politique, social ou culturel».

« Il y a un terrain favorable à la formation des intentions meurtrières »

LE MONDE
Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS, Sciences Po et à l’université de Grenoble-Alpes, a réalisé une vaste étude sur les rapports entre des collègiens et les institutions publiques.
Que désigne la pré-radicalisation et pourquoi vous y être intéressé ?
La pré-radicalisation précède l’intention de passer à l’acte. La radicalisation est la phase qui suit et se traduit par un passage à l’acte, ce qui suppose de la logistique et des complices, ce dont mon étude ne traite pas. La grande question est de savoir si les itinéraires des jeunes qui passent à l’acte sont des itinéraires individuels. Je voulais prendre le contre-pied de la théorie du « loup solitaire » et savoir s’il y a quelque chose dans la société qui prépare les jeunes à accepter un message radical. Quand un jeune regarde une vidéo de Daech sur Internet, qu’est-ce qui fait qu’il est séduit ? Mes analyses s’appuient sur une étude réalisée par le CNRS, avec l’appui de l’Agence nationale de recherche, le Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégique, et avec le soutien de l’éducation nationale, auprès de 9 200 adolescents français, dans les Bouches-du-Rhône, de mars à juin 2015. Notre échantillon est issu d’un tirage aléatoire.
Au-delà de la face immergée de l’iceberg, on s’aperçoit qu’il y a des clivages socio-économiques et religieux. A Nice, pour Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, son interprétation de sa religion n’est pas connue. Ceci me pousse à douter de la « radicalisation éclair », une expression qui traduit chez les autorités qu’elles n’ont rien vu venir. Il y a un terrain favorable à la formation des intentions meurtrières.

Le virage ambulatoire, pour l’autisme aussi

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | Par Gérard Bapt (Député PS de la Haute-Garonne, rapporteur du budget de la Sécurité sociale), Florent Chapel (Porte-parole d'Autistes sans frontières) ...

«  En 2014, des chercheurs de l’université de Californie à Davis ont constaté que le risque d’autisme augmentait pour une femme enceinte en fonction du degré d’exposition aux pesticides.  »
«  En 2014, des chercheurs de l’université de Californie à Davis ont constaté que le risque d’autisme augmentait pour une femme enceinte en fonction du degré d’exposition aux pesticides.  » SERGEI SUPINSKY / AFP

Les troubles autistiques touchent près de 600 000 personnes en France, et concernent désormais une naissance sur cent, ce qui correspond à 8 000 nouveaux cas par an. Mais la situation des familles est particulièrement critique. La qualité de la prise en charge est même qualifiée par l’ensemble des observateurs de désastreuse.
Aux Etats-Unis, alors que ces pathologies semblaient encore exceptionnelles il y a quelques décennies (1 enfant sur 2 500 en 1970 puis sur 500 en 2000), l’estimation du Centre pour le contrôle et la prévention des maladies est désormais de 1 enfant sur 45. L’ONU affirme d’ailleurs que, parmi tous les troubles graves de développement, l’autisme est celui qui connaît la plus ­rapide expansion dans le monde et que cette épidémie va bousculer nos systèmes de ­protection sociale.
Ces chiffres alarmants doivent, en France aussi, inquiéter et mobiliser fortement les pouvoirs publics. Or le problème reste sous-estimé et notre pays accuse toujours un retard de trente ans par rapport aux autres pays développés. Ainsi, 90 % des adultes ne disposant pas de prise en charge spécialisée sont relégués dans des structures inadaptées, des milliers vivent chez leurs parents, sans qu’une étude épidémiologique permette de chiffrer précisément cette réalité très douloureuse et destructrice.

Une séance d'art-thérapie avec les malades psychiatriques de Casablanca

 MAROC  |  Par  

ARTTHERAPIE
PSYCHIATRIE – "Ce qui est plus triste qu’une œuvre inachevée, c’est une œuvre jamais commencée". Inscrite sur une carte collée au mur de l’atelier d’art-thérapie du centre psychiatrique de l’hôpital Ibn Rochd de Casablanca, cette citation pourrait être le crédo de Boushra Benyezza.
Psychothérapeute et artiste, elle a lancé bénévolement, il y a cinq ans, le premier atelier d’art-thérapie du Maroc, avec la certitude que l’enfermement ou les traitements médicamenteux ne peuvent pas être l’unique remède pour soigner les schizophrènes, dépressifs, toxicomanes ou bipolaires, mais que l’art et la création en général peuvent, aussi, pousser les patients vers la voie de la guérison.
Il est un peu plus de onze heures, ce vendredi, quand elle nous ouvre les portes de l’unique hôpital psychiatrique de Casablanca, qui dispose d’une centaine de lits seulement (pour une ville qui compte plus de 4 millions d’habitants) et quelques pièces d’isolement dans lesquelles sont enfermés les patients les plus dangereux ou les suicidaires. "Ils ont juste droit à des couvertures auxquelles on retire les bords pour éviter qu’ils ne les déchirent et tentent de se tuer avec", nous explique Boushra Benyezza. Derrière la minuscule fenêtre d'un isoloir, un patient nous observe, le regard vitreux. Le décor est planté.

L'Igas refuse la modulation du remboursement selon le degré d'observance du patient


HOSPIMEDIA 
L'inspection générale des Affaires sociales préconise le développement du télésuivi-accompagnement pour améliorer l'observance des traitements. Un nouveau dispositif qui nécessite un cadre règlementaire. Les inspecteurs de l'administration s'opposent aussi fermement à un remboursement modulé selon l'observance du traitement.

L'Inspection générale des Affaires sociales (Igas) s'attaque à un problème aussi vieux que la médecine. "La médecine doit savoir que les patients mentent souvent lorsqu'ils disent suivre leur traitement", prévient Hippocrate, cité par Claire Compagnon et Alain Lopez, inspecteurs à l'Igas, dans leur rapport intituléPertinence et efficacité des outils de politique publique visant à favoriser l'observance. Dans celui-ci, ils égrènent dix-sept recommandations pour améliorer l'adhésion aux traitements des patients.

[Luxemburgensia] Docteur, aidez-moi !

26/07/16






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Déjà pour le père fondateur de la psychiatrie, Sigmund Freud, l’exercice était assez exceptionnel. Le seul ouvrage politique que nous lui connaissons, est une psychopathologie du président américain Woodrow Wilson (en exercice à la fin de la Première Guerre mondiale, au moment où le monde démocratique et pacifiste s’apprêtait à constituer la Société des Nations [SdN]). Paul Rauchs vient de remettre ses réflexions sur le métier : Maux dits d’Yvan. Encore! Psychopathologie de la vie politique (ISBN 978-999599-493-8). Il s’agit d’un nouveau recueil de ses chroniques parues dans l’hebdomadaire Lëtzebuerger Land .

Pour des esprits rationalistes et sécularisés, tout fou de dieu est un fou tout court

LE MONDE Par Jean Birnbaum
Dès le lendemain du massacre qu’il a perpétré à Nice le 14 juillet, Mohamed Lahouaiej Bouhlel a été décrit comme une personnalité fragile, dépressive, aux tendances psychotiques. Le tueur présentait notamment « des problèmes avec son corps », a témoigné un psychiatre tunisien naguère consulté par le jeune homme.
« C’est l’acte d’un fou », a résumé l’une de ses voisines au Monde. Depuis lors, beaucoup ont posé la question : même si le carnage de Nice a été prémédité, peut-on vraiment parler d’entreprise terroriste à propos d’un homme qui n’avait pas toute sa raison ?

L’inactivité au travail, une forme de résistance au manque de sens professionnel ou à une frustration

LE MONDE  | Par Margherita Nasi
Dans son roman Le Roi pâle, David Foster Wallace met en scène un employé d’un centre de traitement de déclarations fiscales qui meurt à son poste de travail. Il y restera plusieurs jours avant qu’on s’aperçoive de son décès. Cette satire critiquant la futilité d’un travail monotone et déshumanisant est d’autant plus inquiétante qu’il ne s’agit pas vraiment d’une satire. En 2004, un employé du bureau des impôts en Finlande est mort de la même façon. Il aura fallu deux jours aux cent employés qui travaillaient à son étage pour s’en apercevoir.

Dans « Le Roi pâle » (éd. Au Diable Vauvert), David Foster Wallace critique la futilité d’un travail monotone et déshumanisant.
Dans « Le Roi pâle » (éd. Au Diable Vauvert), David Foster Wallace critique la futilité d’un travail monotone et déshumanisant.

L’histoire a attiré l’attention du sociologue suédois Roland Paulsen. Alors qu’on ne fait que parler de l’intensification du travail, de pratiques managériales coercitives, de burn-out et d’excès de stress, comment expliquer l’existence de ce cadavre passant inaperçu pendant quarante-huit heures sur son lieu de travail ?
Paresse ou révolte ?
Le chercheur suédois a son explication : le système capitaliste est bien moins efficace qu’on ne croit. Il suffit de se pencher sur la façon dont les employés occupent leurs heures de travail pour s’en rendre compte. C’est pourquoi dans son ouvrage Empty Labor (Cambridge University Press, 2014), Roland Paulsen s’intéresse à un phénomène étonnant : le travail inoccupé.
Différentes enquêtes suggèrent que les salariés consacrent entre 1,5 heure et 3 heures par jour à des activités autres que le travail : coups de fils, courriels personnels, achats sur Internet, consultation des réseaux sociaux… C’est cette réalité que décortique cet ouvrage nourri d’entretiens avec des employés de secteurs variés, du marketing à la finance, en passant par l’industrie manufacturière ou pharmaceutique. Tous consacrent la moitié de leur temps de travail, voire plus, à des activités qui ne sont pas liées à leur emploi. Pourquoi ? S’agit-il de paresse, de mécontentement, de révolte ?
Se réapproprier le temps
Le chercheur livre son analyse au Monde : dans la plupart des cas, l’inactivité au travail est liée au manque de sens, ou à une frustration à l’égard de l’entreprise ou d’un manageur. « J’ai interrogé des personnes dans le secteur des soins, personne ne néglige l’aide aux patients. En revanche, on évite les tâches administratives. La démarche peut devenir politique : ces employés se réapproprient du temps qu’ils sont obligés de vendre pour avoir une vie décente. C’est une solution individuelle à des problèmes structurels. »

La guerre, c'est nul de toute façon

 

Sur le blog de Luc Perino Épidémies de suicide

En 1774, la publication des « Souffrances du jeune Werther » a provoqué une épidémie de suicide en Allemagne. Cette première observation de contagion suicidaire a été nommée ‘effet Werther’.

Le phénomène de contagion culturelle est connu pour des pathologies comme l’anorexie, plus spécifique à certains environnements culturels ou religieux.
La biomédecine, plus apte à étudier les épidémies virales ou bactériennes, peut cependant expliquer certains des multiples facteurs des épidémies suicidaires.
Après des phases de maturation physique, cognitive et sexuelle, l’adolescence (plus ou moins prolongée), est une phase de vie, propre à sapiens, où domine la maturation sociale. Ce qui explique que les déterminants culturels dominent parfois les déterminants biologiques, jusqu’à mettre la vie en danger. C’est à l’adolescence que se révèlent la plupart des addictions et qu’apparaissent les premiers symptômes de maladies sociales telles que la schizophrénie. En génétique des populations, on nomme ‘effet fondateur’ la fréquence anormalement élevée d’une mutation dans un groupe humain, suite à l’isolement géographique de la population initiale. C’est le cas de la mucoviscidose dans certaines régions du Canada. Sur le versant culturel, le ‘biais de conformité’ est la fréquence élevée d’une conduite par imitation d’un modèle dominant ou très valorisé dans certains groupes sociaux. Ses effets dévastateurs possibles sur toute une société ont été étudiés par le biologiste et géographe Jared Diamond.
Le phénomène de mode et d’imitation a été bien établi dans l’épidémie de suicide de la première génération d’après-guerre en Micronésie : le suicide avait acquis une dimension culturelle chez les jeunes hommes de 15-24 ans.
Le taux de suicide des adolescents augmente de 7% dans la semaine qui suit une information ou un reportage télévisé sur le suicide en général ou celui d’une célébrité. Cependant, il ne faut pas accuser la presse de tous les maux, car dans les vagues locales de suicide par imitation, le cas initial n’avait été relaté dans la presse que dans 25% des études.

« Nos prisons sont des concentrés de misères »

LE MONDE IDEES | Par Thierry Kuhn (président Emmaüs France) et Samuel Gautier (réalisateur du documentaire A l'air libre)

Une nouvelle fois, nos prisons sont au centre des attentions politiques et médiatiques : record absolu du nombre de prisonniers, surpopulation galopante, conditions de détention inhumaines et dégradantes, baisse dramatique du nombre d’aménagements de peine, taux de suicide intra-muros alarmant… Rien que nous n’ignorions déjà. Bien davantage que des lieux privatifs de liberté, nos prisons sont, par leur essence même, des concentrés de misères affectives, sociales, sanitaires ou encore sexuelles. « École du crime » dans la bouche même de surveillants pénitentiaires exténués, institution génératrice de sourdes colères et de frustrations extrêmes, l’institution carcérale échoue lamentablement à remplir les fonctions qui lui sont assignées : protéger la société et réinsérer ceux d’entre nous qui lui sont confiés. « Si la prison était une entreprise, il y a bien longtemps qu’elle aurait fait faillite » énonçait il y a quelques années Patrick Marest, alors délégué général de l’Observatoire international des prisons (OIP). Avec un taux de récidive de plus de 60 %, la prison est en effet loin d’assurer à chacun de nous tranquillité et sécurité.

La secrète invention de l’abstraction par Hilma af Klint

LE MONDE  | Par Emmanuelle Lequeux

Un portrait d’Hilma af Klint réalisé par un photographe anonyme dans les années 1900.
Un portrait d’Hilma af Klint réalisé par un photographe anonyme dans les années 1900.
Hilma af Klint l’avait pressenti : personne ne pourrait, en son temps, comprendre son art. Née en 1862, en Suède, la modeste peintre du ­dimanche s’était donc contentée de dévoiler à ses contemporains d’anodins paysages, de naïfs bouquets, des portraits tout bêtes. Mais dans le secret de son atelier, une révolution se jouait. Aventurière en chambre, Hilma dérogeait à toutes les règles apprises à ­l’Académie royale des beaux-arts de Stockholm, dont elle était sortie en 1887. Elle inventait, tout ­simplement, l’abstraction. Ni plus ni moins.

Le retour en grande pompe des Shadoks

LE MONDE | Par Philippe Dagen (Sète (Hérault), envoyé spécial)

« Ba be bi bo bu » (1993), du collectif Taroop & Glabel.
« Ba be bi bo bu » (1993), du collectif Taroop & Glabel. FRAC LANGUEDOC-ROUSSILLON
Episode connu de l’histoire du journal Le Monde : le 15 mars 1968, Pierre Viansson-Ponté intitule une chronique « La France s’ennuie ». Les « événements » de mai 1968, comme on dit, commencent une semaine plus tard, le 22, à Nanterre, et prennent de l’ampleur à partir du 3 mai, date du premier affrontement entre la police et les étudiants autour de la Sorbonne. Entre ces faits s’en glisse un autre, que ne mentionne pas la chronologie politique. Le 29 avril, à 20 h 30, l’ORTF – la télévision d’Etat, la seule qui existe alors en France –, diffuse le premier épisode d’un étrange dessin animé, les Shadoks. Le créateur, Jacques Rouxel (1931-2004), est membre du « service de recherche » de l’ORTF, que dirige le compositeur Pierre Schaeffer.
Les Shadoks sont des créatures à deux pattes maigres, au corps plus ou moins sphérique et au long bec triangulaire. On dirait que ce sont des oiseaux, s’ils n’étaient incapables de voler et s’ils n’avaient des dents. Leur intelligence est nettement en dessous de la moyenne, leur langue se réduisant à quatre syllabes : « ga », « bu », « zo », « meu ». Leur maître à penser, le professeur Shadoko, est cependant l’inventeur de maximes philosophiques aux conséquences infinies. En voici deux : « Tout avantage a ses inconvénients, et réciproquement » « S’il n’y a pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème. »
Machines célibataires
Cette dernière pourrait être de Marcel Duchamp, lequel meurt le 2 octobre de cette même année 1968 et a donc pu regarder la première série d’épisodes, au nombre de 52. Si tel est le cas, il aura soupçonné que l’activité prin­cipale des Shadoks – fabriquer des pompes et pomper tout le jour, car « Je pompe donc je suis » – n’est pas sans rapport avec les machines célibataires et inutiles qu’il avait lui-même conçues un demi-siècle auparavant.
On ne rappelle là ces quelques éléments qu’afin de permettre à celles et à ceux qui sont nés durant la longue absence des Shadoks, disparus en 1974 et très brièvement réapparus en 2000, de prendre la mesure de leur importance historique et ­culturelle. Une autre façon de l’éprouver est de se rendre au Musée international des arts modestes (MIAM), fondé à Sète (Hérault) par Hervé Di Rosa, où une exposition célèbre ces créatures et leurs inséparables rivaux, les Gibis.