Par Rémi Sussan le 13/06/16
Y aurait-il quelque chose de pourri dans le royaume de la psychologie ? De plus en plus nombreuses, des voix s’élèvent pour remettre en cause la valeur des expérimentations en sciences humaines, ou plus exactement des conclusions qu’on tire de ces expérimentations. Il est vrai qu’il n’est pas facile de travailler sur les humains, ou même avec des rats. La physique quantique a beau être extrêmement compliquée, au moins les particules élémentaires ont-elles la décence de se comporter en suivant des équations bien définies (même si personne ne comprend vraiment ce que signifient ces équations).
La molécule morale, vraiment ?
Un exemple récent de ce genre de problème a été souligné notamment par le
New Scientist et concerne la fameuse “molécule de l’amour”, l’ocytocine. On sait que cette hormone est produite naturellement chez les humains lors de l’orgasme, de l’accouchement, de la lactation. Diverses expériences ont montré qu’elle était censée augmenter la confiance entre les participants d’un groupe. Pour établir l’existence d’un tel effet, on a fait passer -avec succès- aux sujets un “jeu de la confiance”. En voici une des variantes les plus connues : après avoir respiré de l’ocytocine via un spray nasal, on fournit aux sujets une somme d’argent (comme toujours, il existe aussi un groupe placebo), puis on propose à chaque sujet de confier cette somme à un autre membre du groupe. En cas d’acceptation, la somme est triplée. Le sujet récepteur, bénéficiaire de la transaction, pourra alors partager l’argent avec le donateur, mais là encore, seulement, s’il le souhaite. La confiance est donc doublement testée : chez l’éventuel donateur, qui peut toujours refuser cette transaction. Et chez le récipiendaire, qui peut bien entendu choisir de tout garder pour lui. Il existe en psychologie cognitive une infinité de variations autour de ce genre de jeux.
L’ocytocine est vite apparue comme une espèce de remède miracle à nos problèmes de communication, et a même été baptisée la “molécule morale” par le neuroéconomiste Paul Zak, qui est devenu l’évangéliste de ce nouveau traitement, à coup de livres et deconférences Ted.
Un enthousiasme un peu prématuré, peut-être ? Car toutes les expériences n’ont pas donné des résultats positifs. Ainsi, nous explique le New Scientist, une étude effectuée à l’Institut de Technologie de Californie à Pasadena sur les différents travaux effectués avec l’ocytocine est aboutie à la conclusion que l’effet de la molécule sur le comportement se rapprocherait dangereusement de zéro.
La mésaventure arrivée à une équipe de l’université catholique de Louvain, racontée par le
New Scientist et de manière plus complète dans
Vox, nous montre l’étendue du problème.
L’expérience, effectuée en 2010, confirmait largement les effets de l’ocytocine. Dans cette étude, les sujets devaient écrire un texte sur leurs fantasmes sexuels, puis les placer dans une enveloppe, avec la garantie que les chercheurs ne regarderaient pas le contenu de cette dernière. Toutefois, s’ils le souhaitaient, ils pouvaient sceller celle-ci, et même y ajouter du scotch s’il le désiraient. 60 % des participants ayant pris de l’ocytocine négligèrent de fermer leur enveloppe, contre 3 % du groupe placebo. 80 % de ceux-ci scellèrent l’enveloppe, et y ajoutèrent l’adhésif.