LE MONDE IDEES | | Propos recueillis par Antoine Flandrin
Karen Akoka, sociologue, est maître de conférences en science politique à l’université Paris-Ouest-Nanterre, et chercheuse à l’Institut des sciences sociales du politique.
Selon vous, il n’y a pas de « crise des réfugiés », pas plus qu’il n’y a de « crise des migrants ». Pourquoi ?
Ces expressions sous-entendent que nous assistons à une augmentation exponentielle du nombre d’étrangers arrivant en Europe, qui mettrait en danger nos systèmes socio-économiques. Or, ce n’est pas le cas. Un million d’étrangers sont arrivés clandestinement en 2015 dans l’Union européenne, ce qui correspond à 0,2 % de sa population. L’Europe a au contraire besoin d’un apport migratoire pour préserver son équilibre démographique et garder une proportion d’actifs raisonnable par rapport aux inactifs. La France se porte un peu mieux que certains de ses voisins, mais elle a tout de même besoin de faire venir de nouveaux actifs si elle veut pouvoir financer les retraites des plus âgés ou l’éducation des plus jeunes.
Contrairement à une idée ancrée, l’arrivée de migrants n’est donc pas un fardeau. Il n’y a pas de corrélation avérée entre chômage et migrations. Bien souvent, les migrants représentent même une contribution économique non négligeable. Parler de « crise migratoire » est d’autant plus indécent que l’on connaît le coût humain de cette tragédie : on a franchi, début juin, le cap des 10 000 morts en Méditerranée depuis 2014. On laisse les exilés s’entasser au Liban, en Turquie ou en Jordanie, alors que ce phénomène constitue une bombe à retardement, source de potentiels conflits et de déséquilibres géopolitiques graves.
L’UE dépense des sommes extraordinaires en centres de rétention, en retours forcés en avion, en développement de technologies pour sécuriser ses frontières : elle ferait mieux d’investir dans des dispositifs qui permettraient de mieux accueillir ces migrants et qui, à long terme, bénéficieraient à tout le monde.