Stéphane Bourgoin 4 octobre 2014
Actualité criminologie
" Luka Rocco Magnotta,
32 ans, a reçu un diagnostic de schizophrénie paranoïde à l'adolescence, a tué
et dépecé un étudiant chinois en 2012. Pascal Morin, 35 ans, schizophrène, a
tué sa mère et ses deux nièces de 8 et 11 ans, lui aussi en 2012. Marc Laliberté,
36 ans, très profondément dépressif, apparemment au point de ne «plus voir
clair», a tué ses trois enfants en 2008 après un pacte de suicide avec sa
conjointe, Cathie Gauthier. À en juger par les affaires d'homicides les plus
médiatisées des dernières années, cela semble clair : il faut être «maboule»
pour tuer son prochain. Quiconque ayant deux cents de santé d'esprit est à
l'abri de tout ça, n'est-ce pas? Or sans être faux, c'est seulement vrai en
partie - et le reste de la vérité est un brin dérangeant.
«En fait, les théories
qui expliquent l'homicide par la santé mentale sont souvent porteuses de faux
messages. Mais le grand public a besoin de croire qu'il faut qu'on soit
différent pour tuer. Parce que, autrement, le monde serait invivable, on aurait
tout le temps peur. Il faut qu'on puisse se convaincre soi-même que ça ne peut
arriver que chez les autres. Et c'est une fausse vérité, parce que l'endroit
qui est le plus dangereux, c'est la famille. C'est là, avec les réseaux
criminalisés, qu'on a le plus de risque [...] de se faire tuer», observe la
criminologue de l'Université Laval Catherine Rossi.
Bien que les experts ne
soient pas tous d'accord, les statistiques lui donnent a priori raison :
environ 1 meurtre sur 10 - entre 5 et 20 %, selon les sources - est perpétré
par un agresseur qui a un problème de santé mentale, comme la schizophrénie. Il
y en a, donc, mais cela laisse quand même autour de 90 % des homicides qui ne
sont pas commis par des gens qui sont «atteints». Et la question que cela
soulève n'est pas particulièrement agréable : est-ce qu'un tueur potentiel
sommeille en chacun de nous? Et si oui, qu'est-ce qui le fait sortir?
Pour Mme Rossi, la
réponse est plutôt oui, mais il faut que plusieurs conditions soient réunies.
La plupart des meurtres sont commis sous le coup de l'impulsion, dans un état
de crise, de rage ou de panique intense, mais l'issue de cette crise varie
selon le contexte. «Prenez quelqu'un qui serait profondément schizophrène, mais
donnez-lui une famille aimante, des amis, une maison sécuritaire, pas d'alcool
ni de drogue, et d'un autre côté prenez le personnage le plus gentil de la
Terre, mettez-lui deux fusils dans le placard, faite-lui consommer de l'alcool
et de la drogue et énervez-le, poussez-le à bout, et ça va donner les résultats
attendus : ce n'est probablement pas le schizophrène qui va passer à l'acte en
premier», dit-elle.
D'ailleurs, les dernières
données de Statistique Canada montrent que pas moins de 75 % des meurtres commis
au Canada en 2012 sont l'oeuvre d'agresseurs qui étaient sous l'effet de
l'alcool ou d'autres substances. Trois sur quatre...
D'autres facteurs
immédiats, en particulier la présence de tiers lors de l'agression, peuvent
aussi faire une énorme différence. «C'est probablement le facteur de protection
numéro 1. Par exemple, au moment où le père secoue son bébé, si la mère est là
pour intervenir, on vient de sauver une vie.»
Sans aller aussi loin, le
psychologue de l'Institut universitaire en santé mentale de Québec Marc-André
Lamontagne abonde essentiellement dans le même sens - d'autant plus que,
dit-il, la recherche en neurologie n'a jusqu'à maintenant pas trouvé de
caractéristiques propres au cerveau des meurtriers.
«Il y a peut-être des
gens qui ont plus de propension à tuer, mais il y a quand même beaucoup de gens
qui peuvent commettre un meurtre. Récemment, si on prend des cas médiatisés, il
y a des gens qui ont fait carrière dans le domaine de la justice, qui ont une
très forte scolarité. [...] L'idée que n'importe qui peut se transformer en
meurtrier est caricaturale, mais oui... Ça prend un contexte particulier, ça
prend un développement [beaucoup de criminels, violents ou non, ont eu des
enfances marquées par divers sévices, NDLR], et si on ajoute beaucoup de
facteurs, alors ça peut effectivement arriver à beaucoup de gens», dit-il.
Désaccord
Mais cela reste des
statistiques. On connaît bien des cas de gens qui y cadrent mal, qui avaient
tout pour réussir - ou, du moins, ne pas devenir assassin - et qui ont très mal
fini. Un des cas les plus tristement célèbres est celui d'Eric Harris, celui
qui a tué 13 personnes avec un complice à l'école secondaire de Columbine, en
1999. Il venait pourtant d'une bonne famille du Kansas, aimante et structurante
(encore qu'il était victime d'intimidation). Il n'en est pas moins devenu,
littéralement, un psychopathe.
En outre, tous les
experts ne partagent pas l'opinion de Mme Rossi et de M. Lamontagne. Professeur
à l'Université du Québec à Trois-Rivières et rattaché à l'Institut Pinel,
Christian Joyal se fait une spécialité de scanner le cerveau de patients
violents. Il convient que les troubles de santé mentale sévères (soit ceux qui
implique une perte de contact avec la réalité : schizophrénie, trouble
bipolaire et dépression majeure) ne comptent que pour une petite minorité des
meurtres, mais pour les autres, il est formel : «Il y a plein de troubles
mentaux chez les meurtriers, my God qu'il y en a. Par exemple, tous les
troubles de personnalité, l'antisocial, le borderline, etc. Si on prend des
meurtriers et qu'on leur passe des tests neuropsychologiques et psychologiques,
est-ce qu'on va dire qu'ils sont sains? Non. Il y en a qui le sont, mais pas
beaucoup. Faut pas être équilibré pour tuer quelqu'un.»
Dans l'ensemble, dit-il,
les gens qui commettent des meurtres partagent, dans leur grande majorité, une
caractéristique : ils sont impulsifs. À des degrés divers, leur cortex
préfrontal, une partie du cerveau située à l'avant de la tête et qui sert de
«frein» aux pulsions, est moins actif que la moyenne - et il y a des liens à
faire ici avec l'alcool, qui désinhibe.
Mais en soi, cela ne
suffit pas à faire des meurtriers, reconnaît M. Joyal. «Il y a des dirigeants
d'entreprises qui sont impulsifs, qui vont prendre des décisions sur des coups
de tête, mais qui ne sont pas violents. Il y a des impulsifs qui, même une fois
désinhibés par l'alcool, ne seront pas violents, mais vont te dire : "T'es
mon meilleur ami, je vais t'aimer toute ma vie." [...] Ceux qui deviennent
violents, c'est toujours la même histoire, un passé défavorisé, une enfance
difficile, pas d'emploi, alcoolisme, etc.»