Ce fut un étrange bonhomme. Fils d'un cordonnier de Calabre, orphelin de mère à 5 ans, il aurait tout appris en écoutant à la fenêtre de l'école. Moine dominicain mais philosophe sensualiste, ennemi d'Aristote, ami de Galilée, emprisonné, torturé pour hérésie, comploteur, utopiste, Tommaso Campanella (1568-1639), en vingt-trois ans de cellule, eut tout loisir de mettre au point sa fantastique Cité du Soleil. Protégés par sept murs d'enceinte, les Solariens y vivent deux cents ans, l'espèce s'étant nettement améliorée grâce à la science médicale et au strict contrôle, comme chez Platon, des accouplements.
Les trois magistrats assistant le chef suprême du gouvernement se nomment Puissance, Sagesse et Amour. Ce dernier a "pour principale fonction de veiller à tout ce qui regarde la génération et de régler les unions sexuelles de telle sorte qu'il en résulte la plus belle race possible". Les lecteurs de La République, éventuellement ceux de cette modeste série, auront reconnu le projet platonicien : mettre de l'ordre là où la vie réelle est toujours la plus imprévisible et la plus chaotique - au coeur de l'érotisme, des unions, de la procréation. Toutefois, si la mélodie est la même, les arrangements du moine sont inattendus.
Hygiène et papauté sont passées par là : "Les individus appelés à remplir les fonctions génératrices ne peuvent s'y livrer qu'après que la digestion est faite et qu'ils ont offert leurs prières à Dieu." S'invitent aussi, dans cet eugénisme baroque, des dispositifs évoquant les courses de chevaux, voire la corrida sur thème astral : "Le géniteur et la génitrice dorment dans des cellules séparées jusqu'à l'heure fixée pour le rapprochement et à l'instant précis une matrone vient ouvrir les deux portes. L'heure favorable est déterminée par l'astrologue et le médecin."