Société
La solitude, un mal discret partagé par 4 millions de Français
22/12/2010
Témoignage
Grande cause nationale 2011, la solitude touche un Français sur dix, selon la Fondation de France. Micheline, 65 ans, s'est confiée à Libération.fr.
Par ANGELA BOLIS
«Pouvez-vous imaginer ce que ça fait, de ne voir absolument personne pendant un mois?» Micheline Pierre, 65 ans, semble ne pas y croire elle-même. C’était pendant les grandes vacances. Comme elle se déplace difficilement, elle sort très peu du 12e étage de sa «tour» de Colombes (Hauts-de-Seine). L’épicier, qui envoie d’habitude ses enfants pour lui livrer de la nourriture, était fermé. Pendant trois semaines, elle n’a pas mangé.
Voilà dix ans qu’elle s’est peu à peu laissée envahir par cette solitude. Avant, elle était «très famille», avait un mari, deux enfants, un travail dans un cabinet de notaire. Puis elle a divorcé, a pris sa retraite, ses parents et son frère sont morts, ses enfants sont partis en Ecosse et dans le Sud de la France. Tous ses liens ont fini par s’étioler. «Quand j’ai eu des problèmes d’argent, je suis descendue d’un étage… Mes collègues et mes amis ont lâché le contact.»
Il y a quelques mois, Micheline est passée au JT de TF1. Elle a alors reçu une quinzaine de lettres de ses anciennes relations, qui n’avaient pas donné de nouvelles depuis dix ans. «Comme je suis passée à la télé, ils ont dû penser que j’étais devenue riche, fréquentable… Mais le lendemain, tout redevient aussi vide.»
Le plus insupportable, pour Micheline, est cette indifférence ordinaire qu’elle ressent dans l’ascenseur, dans la rue, dans les commerces. «Quand je sors, les voisins me disent à peine bonjour, pas un sourire. Je prend le taxi, mais ils ne discutent plus, ils écoutent la radio. A la banque, on me demande ma carte d’identité… ou on parle à des machines.»
«L’esprit de Noël»
Lorsqu’elle s’est cassée le bras, elle est restée près de deux heures par terre devant chez elle. Les voisins ont fini par l’entendre et appeler les secours, mais ils ne sont pas monté la voir. «La solitude, il faut vraiment y passer pour comprendre ce que c’est: pas de coup de fil, personne qui sonne à la porte, plus personne qui vous regarde. Je comprend que certains en arrivent au suicide.»
« A Noël, je suis tellement dégoûtée que je me mets dans mon lit, devant la télé. Quand ça ne va vraiment pas, je prends un antidépresseur et je dors, beaucoup.» Depuis dix ans, les fêtes de fin d’année sont particulièrement difficiles à traverser. Pour Micheline, les gens ont perdu «l’esprit de fête de Noël». Elle se souvient de ses réveillons avec toute sa famille et sa belle-famille, parfois même le prêtre, qui venait chez elle en compagnie de vieilles dames seules. Du sapin, de la crèche, de la dinde. «A l’époque, ça aurait été une honte si je n’avais pas invité ma mère à Noël ou si je l’avais mise en maison de retraite. Aujourd’hui, les gens ne peuvent plus se passer de foie gras… Mais de leur famille, si!»
Cette année, les choses ont changé. Ce 24 décembre, Micheline fête le réveillon avec les bénévoles de la société Saint-Vincent de Paul. «Et pas seulement des personnes âgées: il y a des gens de 40, 50 ans qui sont seuls aussi!», s’étonne-t-elle.
L’association porte, avec 24 autres, la «grande cause nationale» de l’année 2011. Son président, Bruno Dardelet, entend «sensibiliser la France à plus de fraternité. Nous avons perdu le lien social. Alors qu’il suffit d’un geste, d’un sourire, de quelques mots pour donner un peu de bien-être à une personne seule.»
La solitude, un mal discret partagé par 4 millions de Français
22/12/2010
Témoignage
Grande cause nationale 2011, la solitude touche un Français sur dix, selon la Fondation de France. Micheline, 65 ans, s'est confiée à Libération.fr.
Par ANGELA BOLIS
«Pouvez-vous imaginer ce que ça fait, de ne voir absolument personne pendant un mois?» Micheline Pierre, 65 ans, semble ne pas y croire elle-même. C’était pendant les grandes vacances. Comme elle se déplace difficilement, elle sort très peu du 12e étage de sa «tour» de Colombes (Hauts-de-Seine). L’épicier, qui envoie d’habitude ses enfants pour lui livrer de la nourriture, était fermé. Pendant trois semaines, elle n’a pas mangé.
Voilà dix ans qu’elle s’est peu à peu laissée envahir par cette solitude. Avant, elle était «très famille», avait un mari, deux enfants, un travail dans un cabinet de notaire. Puis elle a divorcé, a pris sa retraite, ses parents et son frère sont morts, ses enfants sont partis en Ecosse et dans le Sud de la France. Tous ses liens ont fini par s’étioler. «Quand j’ai eu des problèmes d’argent, je suis descendue d’un étage… Mes collègues et mes amis ont lâché le contact.»
Il y a quelques mois, Micheline est passée au JT de TF1. Elle a alors reçu une quinzaine de lettres de ses anciennes relations, qui n’avaient pas donné de nouvelles depuis dix ans. «Comme je suis passée à la télé, ils ont dû penser que j’étais devenue riche, fréquentable… Mais le lendemain, tout redevient aussi vide.»
Le plus insupportable, pour Micheline, est cette indifférence ordinaire qu’elle ressent dans l’ascenseur, dans la rue, dans les commerces. «Quand je sors, les voisins me disent à peine bonjour, pas un sourire. Je prend le taxi, mais ils ne discutent plus, ils écoutent la radio. A la banque, on me demande ma carte d’identité… ou on parle à des machines.»
«L’esprit de Noël»
Lorsqu’elle s’est cassée le bras, elle est restée près de deux heures par terre devant chez elle. Les voisins ont fini par l’entendre et appeler les secours, mais ils ne sont pas monté la voir. «La solitude, il faut vraiment y passer pour comprendre ce que c’est: pas de coup de fil, personne qui sonne à la porte, plus personne qui vous regarde. Je comprend que certains en arrivent au suicide.»
« A Noël, je suis tellement dégoûtée que je me mets dans mon lit, devant la télé. Quand ça ne va vraiment pas, je prends un antidépresseur et je dors, beaucoup.» Depuis dix ans, les fêtes de fin d’année sont particulièrement difficiles à traverser. Pour Micheline, les gens ont perdu «l’esprit de fête de Noël». Elle se souvient de ses réveillons avec toute sa famille et sa belle-famille, parfois même le prêtre, qui venait chez elle en compagnie de vieilles dames seules. Du sapin, de la crèche, de la dinde. «A l’époque, ça aurait été une honte si je n’avais pas invité ma mère à Noël ou si je l’avais mise en maison de retraite. Aujourd’hui, les gens ne peuvent plus se passer de foie gras… Mais de leur famille, si!»
Cette année, les choses ont changé. Ce 24 décembre, Micheline fête le réveillon avec les bénévoles de la société Saint-Vincent de Paul. «Et pas seulement des personnes âgées: il y a des gens de 40, 50 ans qui sont seuls aussi!», s’étonne-t-elle.
L’association porte, avec 24 autres, la «grande cause nationale» de l’année 2011. Son président, Bruno Dardelet, entend «sensibiliser la France à plus de fraternité. Nous avons perdu le lien social. Alors qu’il suffit d’un geste, d’un sourire, de quelques mots pour donner un peu de bien-être à une personne seule.»