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mercredi 15 décembre 2010

apcars

Le psychiatre Daniel Zagury dénonce “la stigmatisation démagogique” de la récidive
Article de Patricia Jolly,
paru le 10/12/10 sur lemonde.fr

Le procès de Thierry Devé-Oglou - accusé du meurtre d’Anne-Lorraine Schmitt en 2007 et déjà condamné pour un viol remontant à 1995 - relance le débat sur la récidive des délinquants sexuels, et sur la fiabilité des expertises psychiatriques déterminant leur “dangerosité”.

Daniel Zagury, expert psychiatre près la cour d’appel de Paris, souligne que cette dangerosité est “une notion prospective, statistique, probabiliste dont la certitude est exclue , et que si le psychiatre a sa place dans l’évaluation de la dangerosité, il n’en a pas l’exclusivité”.

“Il ne s’agit plus pour le psychiatre de diagnostiquer et traiter une maladie, rappelle-t-il, mais de pronostiquer que le sujet est porteur - ou non - de facteurs de risque.” Et cette opération n’est pas aisée. “Car le coupable de la récidive devient l’expert psychiatre, ou d’autres acteurs de la chaîne pénale auxquels on reproche d’avoir fait une mauvaise évaluation”, déplore le docteur Zagury.

“Cette stigmatisation démagogique est contre-productive, estime-t-il, car elle terrorise les acteurs de la chaîne pénale tout en offrant aux pervers une incitation à la récidive, puisqu’ils n’en sont plus tenus pour responsables.”

Le risque zéro est une quête “illusoire car inhumaine”, selon le docteur Zagury, qui dénonce “l’utilisation de ces drames humains à des fins politiques et électoralistes”.

Diminuer encore ce phénomène de récidive lui semble cependant possible. “La balle est dans le camp des politiques, assure-t-il. Ils doivent contribuer à mettre en place une chaîne d’interventions rationnelles, et adopter - comme c’est le cas au Québec - le même discours que tous les autres acteurs de cette chaîne sur l’efficacité de la libération conditionnelle et de l’encadrement par rapport à la récidive.”

Il s’agit notamment, selon le docteur Zagury, de se dégager de l’obsession des soins et des traitements, pour favoriser “un contrôle bienveillant mais ferme, à base d’accompagnement thérapeutique et de balisage du parcours”.

“La rencontre avec l’agent de probation et d’insertion ou le travailleur social est tout aussi utile que le soutien thérapeutique, conclut le docteur Zagury. Car ce qui pousse le délinquant sexuel à la récidive le plus souvent n’est pas une pulsion, mais un sentiment d’isolement et d’abandon.”



dimanche 12 décembre 2010

Olivier Labouret : Le fichage des patients (et autres déviants... ) en psychiatrie
17 novembre 2010

QUAND LE CONTRÔLE PERD LE CONTRÔLE

On ne peut aborder la problématique du fichage en psychiatrie, sans la replacer dans la logique à l’œuvre dans l’ensemble de la société française – sinon mondiale – aujourd’hui, où de nouvelles technologies de contrôle social se développent, au risque, paradoxalement, d’échapper à tout contrôle citoyen. Le fait est que le fichage aujourd’hui se généralise et s’accélère dans tous les domaines Comment, et pourquoi ?
- On peut distinguer quatre grands domaines, dont la psychiatrie est à l’intersection : fichage policier, des pauvres, des autres populations à problèmes, des malades.
- On va voir que l’évolution du fichage présente trois caractéristiques : il devient prédictif, il s’opère sous le couvert de la lutte contre la fraude, il tend à l’interconnexion.
- Il obéit à une finalité, une intentionnalité. Théorie paranoïaque du complot ? Non : la paranoïa est du côté des ficheurs, pas des fichés ou des lanceurs d’alerte ! Le fichage est l’instrument d’une politique bien déterminée, le symptôme de la fuite en avant d’un système économique qui cherche, par ce moyen technique parmi d’autres, à se perpétuer coûte que coûte. Nous essaierons de comprendre de quelle politique, de quel système il s’agit...

LES QUATRE GRANDS DOMAINES DU FICHAGE

1. Policier


Plus de vingt lois sécuritaires votées en dix ans, et plus de soixante fichiers de police ayant cours aujourd’hui !

Ainsi les fichiers de police PASP [2] et EASP [3] décrétés par le ministre de l’intérieur à la fin de 2009 :
- au mépris de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), « autorité indépendante » dont les membres sont nommés par l’État, la présidence assurée par un sénateur de droite, et les avis, même mollement protestataires, non pris en compte (comme dans la loi HADOPI [4] - au mépris du Parlement (projet de loi Bénisti-Batho sur le contrôle des fichiers de police) ;
- au mépris de l’opinion publique (forte mobilisation du Collectif « Non à EDVIGE [5] »).

Le fichage policier prédictif se généralise c’est la simple intention ou suspicion de commettre un délit qui est visée, et non plus le délit lui-même. On touche là à la dimension magique, au rôle de prophétie auto-réalisatrice du mythe sécuritaire :
- fichier PASP encore, lois « Estrosi » sur les bandes organisées, de rétention de sûreté, FNAEG [6] ;
- propositions insistantes des députés UMP Bénisti (fichage de l’ADN à la naissance) et Lefebvre (qui a remis au goût du jour le dépistage des troubles du comportement à trois ans) : propositions extrêmes mais banalisées dénotant l’évidente tentation eugénique du pouvoir politique en place ;
- loi LOPPSI [7] qui autorise l’espionnage de toutes les communications électroniques par la police (après les publicitaires).

2. Socio-économique


Au prétexte de « lutter contre la fraude » (alors que la fraude aux prestations sociales est dérisoire par rapport à la fraude fiscale), se met en place un fichage généralisé des pauvres :
- fichier RNCPS [8] prévu dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006, créé par décret le 16 décembre 2009, et qui a reçu le prix Orwell aux BBA [9] 2009 (distinction parodique attribuée par des organisations internationales de défense des droits de l’Homme) : interconnexion massive des organismes sociaux à l’aide du NIR [10] ;
- fichier @RSA [11] : interconnexion de la caisse d’allocations familiales avec pôle-emploi et le conseil général ;
- projet d’interconnexion de ces fichiers avec l’administration fiscale, et de « fichier des fichiers » (Warsmann, autre député UMP) : interconnexion de toutes les administrations entre elles (collectivités locales et organismes sociaux...) — et pourquoi pas demain, l’ensemble des données de santé et la police ?

3. Autres populations à problèmes ciblées jeunes, étrangers...

- interconnexion largement illégale des fichiers de l’Éducation nationale (Base élèves, Sconet [12] avec mairies, services sociaux, pôle-emploi... et préfectures dans le cadre de la loi de prévention de la délinquance (LPD) et de la politique d’expulsion des étrangers en situation irrégulière ;
- et même fichage de ceux qui s’opposent au fichage ! (fichier MOSART [13] des enseignants-désobéisseurs qui refusent de renseigner les évaluations de CM2 ou la Base élèves).

4. Le fichage s’aggrave également dans le champ de la médecine, en opposition directe avec la déontologie

- fichage de chaque médecin dans le RPPS [14] : création d’un traitement de données à caractère personnel (décret du 6 février 2009), pour une meilleure « traçabilité »  [15] et sécurité de l’offre de soins ;
- lutte contre la fraude aux indemnités journalières (particulièrement évocatrice de l’idéologie sous-jacente au fichage) : si les arrêts de travail augmentent, ce n’est pas parce que le monde du travail managérial néolibéral devient de plus en plus précarisant, stressant, dépressogène voire suicidogène, mais c’est parce que la fraude individuelle augmente avec la complaisance des médecins. Pour y mettre bon ordre, on a désoi niais recours au contrôle patronal des arrêts de travail, à leur télétransmission à la caisse primaire d’assurance maladie, au fichage et aux sanctions pour les trop gros prescripteurs (pénalités financières envisagées depuis 2009)...
- attaques de plus en plus systématiques contre le secret médical : transmission de données concernant la santé dans le fichier RSA, la loi Boutin sur le logement, la réforme du régime des tutelles... évitée pour le moment dans la LPD et le projet de loi pénitentiaire ;
- attaques contre le secret médical également en psychiatrie : diffusion informatique nationale des avis de recherche des « fugueurs », contrôle renforcé des sorties des patients hospitalisés sous contrainte (circulaire du 11 janvier 2010) et du suivi des patients faisant l’objet d’une condamnation pour infraction à caractère sexuel. Réforme imminente de la loi de 1990, élargissant le champ des soins sous contrainte administrative et annonçant le retour du grand renfermement... à domicile !
- Il faut savoir que si la LPD a entériné la notion de secret professionnel partagé, le secret médical reste lui inaliénable et s’impose à tout soignant en psychiatrie (article 4 du Code de déontologie).
- attaques contre l’indépendance des médecins (cf. articles 5 et 95 du Code de déontologie) : loi HPST [16] instaurant un hôpital-entreprise dirigé par un seul patron, management par objectifs des pôles, contractualisation comportant un intéressement à l’activité. Incitation systématique à « faire du chiffre » : rentrer des données et ficher davantage.
- relance du Dossier Médical Personnel (DMP) [17], promu par le Conseil National de l’Ordre des médecins (CNOM) et un Groupement d’intérêt public (GIP-DMP), à travers une rhétorique auto-persuasive portant sur la « confiance » des patients et des médecins, sur une « évolution inéluctable » permettant des « opportunités industrielles créatrices de valeur », malgré les réserves de la CNIL (« la sécurité n’est pas satisfaisante ») [18] : cette usine à gaz est un exemple typique de la fuite en avant technoéconomique du complexe médico-industriel.

Bref, trois caractéristiques à l’extension du fichage actuellement dans tous les domaines : prédire tous types de troubles pour les tuer dans l’œuf, culpabiliser et sanctionner les fraudeurs potentiels, interconnecter les fichiers entre eux. Cette triple tendance marque bien une intentionnalité, une volonté politique d’utiliser les nouvelles technologies dans un but normatif et sécuritaire, d’exclure toute forme de déviance et de renforcer la conformité comportementale à la norme socio-économique [19].

Se dessine bien là un projet de société paranoïaque de contrôle biopolitique et panoptique, de sélection eugénique (décrit par Deleuze, Foucault, Orwell, Huxley...) : il s’agit non seulement d’écarter les mauvais éléments improductifs, mais de ficher chacun d’entre nous, pour dissuader toute défaillance, « programmer l’efficience » (Castel), conditionner l’amélioration des performances individuelles, conformément aux valeurs supérieures du profit et de la concurrence. Le fichage informatique est mis au service du mythe évolutionniste de l’homme post-moderne, le travailleur et consommateur parfaitement adaptable, égoïste et servile réclamé par la productivité industrielle de la mondialisation néolibérale... Nombre d’auteurs ont fait ce lien entre nouvelles technologies, économie capitaliste et idéologie sécuritaire : Laïc Wacquant, Naomi Klein, Mathieu Rigouste, Mireille Delmas-Marty... Et Alain Baguer, président du groupe de contrôle des fichiers de police et de gendarmerie créé par le ministère de l’Intérieur, et dirigeant d’une entreprise privée de conseil en sécurité !

La psychiatrie est le domaine par excellence où s’exerce ce traitement symbolique de la défaillance et de la déviance, que la métaphore neuro-scientiste prétend inscrire jusque dans nos gènes, rassurant la masse des normopathes sur sa bonne santé mentale, par là mise à l’écart du fou désigné comme dangereux. Bien naïf qui Penserait que ce domaine puisse dès lors échapper à l’intention d’étendre le réseau du contrôle policier à l’intérieur même du cerveau de chacun d’entre nous !

FICHAGE DES FOUS, FOUS DU FICHAGE


En Psychiatrie, en effet, le fichage des patients et des soignants progresse également. Il faut distinguer deux aspects :

Recueil d’Informations Médicalisées en Psychiatrie (RIMP) obligatoire depuis le ler janvier 2007 : « afin de procéder à l’analyse médico-économique de l’activité de soins », vingt-sept données sont renseignées, dont le diagnostic CIM-10 [20] et le mode d’hospitalisation [21]. Le RIMP permettra une tarification à l’activité, principale composante de la Valorisation de l’activité en psychiatrie (VAP), dont la mise en place est sans cesse retardée (la date-butoir du ler janvier 2009 étant passée, on parle maintenant de 2012). Ces données constituent un vaste fichier nominatif, elles sont conservées au Service d’information médicale (SIM) et transmises tous les trois mois à l’Agence de traitement de l’information hospitalière (ATIH), alors anonymisées. Le RIMP, en attendant la VAP, sert déjà, abusivement puisque ce n’est pas sa finalité, à dresser une comptabilité analytique des actes effectués dans chaque établissement psychiatrique. Le médecin responsable du SIM est le garant de la confidentialité et de l’anonymat des données qu’il recueille et transmet (article R6113-5 du Code de la santé publique — CSP).

Dossier Patient Informatisé (DPI), qui comprend tout ou partie des données du RIMP, auxquelles s’ajoute le dossier médical personnel (observations des soignants, courriers médicaux, résultats d’analyses biologiques, traitements médicamenteux, etc.). Les informations constituant ce dossier ne doivent être transmissibles qu’aux personnes susceptibles de prendre en charge le patient, et renseignées par elles : chaque soignant a son code, et théoriquement n’a le droit d’accéder qu’aux dossiers des patients dont il s’occupe. Lui seul en effet, par le bon usage qu’il en fait, peut garantir la confidentialité des données dont il a connaissance, qu’il enregistre et dont il est responsable (charte d’utilisation du logiciel, dont on va reparler). La finalité affichée du DPI est de favoriser la transmission (instantanée) des informations et la « traçabilité » exigée par la Haute autorité de santé (HAS) [22] pour diminuer le risque d’erreurs — ou plutôt en retrouver les auteurs [23].

Le fichage en psychiatrie est donc une réalité, ainsi que le risque de trahir la confidentialité des données personnelles concernant chaque patient : rien n’interdit en effet techniquement la transmission des données du DPI ou du RIMP à un tiers ou leur interconnexion avec d’autres fichiers, par exemple policiers ou financiers. Les seules barrières sont réglementaires (décret de confidentialité du 15 mai 2007), déontologiques (secret professionnel et médical, « garantie » apportée par le médecin SIM dans le CSP) et légales (« chaque personne a droit au respect de sa vie privée » : article 9 du Code civil repris dans l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme). Ce « risque d’atteinte aux libertés individuelles au profit de certains organismes, notamment administratifs, financiers ou assurantiels », ces dangers d’interconnexion et de subtilisation ont été pointés par le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) dans son avis n° 104 du 29 mai 2008 applicable « point par point » à la psychiatrie [24]. Il a valu au RIMP un « césar de la surveillance » aux BBA en mars 2009. Le même risque d’interconnexion a été dénoncé par la Commission des droits de l’Homme de l’Organisation des Nations unies pour le fichier Base élèves, sans que le gouvernement en tienne compte... De fait, des affaires de piratage à grande échelle de données confidentielles ont éclaté un peu partout dans le monde (Virginie, Allemagne, Norvège...) [25].

Pour autant, l’informatisation des données personnelles avance au pas de charge en psychiatrie, avec une emprise croissante du SIM sur le corps médical :

- caractère obligatoire de l’informatisation, en dépit de l’avis du CCNE qui préconisait une démarche volontaire : RIMP depuis le ler janvier 2007, diagnostic CIM-10, ordonnance informatisée (OI) dont la mise en place ne souffre aucun retard ni débat (en cas d’erreur ou d’incident, la mauvaise volonté humaine est toujours mise en cause, jamais la technique ! Et pendant que l’OI se déploie, les soignants se détournent d’autres préoccupations autrement plus gênantes...) ;

- identito-vigilance : dans le but de supprimer les erreurs perturbant une bonne facturation, se sont mises en place dans les établissements des « cellules d’identito-vigilance », sur le modèle de l’hémato-vigilance. À croire que l’identité (comme la viande bovine ?) ça doit être saignant. Les documents officiels [26] emploient une rhétorique inquiétante de contrôle omnipotent des identités, là encore teintée d’eugénisme : il s’agit textuellement de « gérer, contrôler, créer des identités » — et même de « lancer des opérations d’épuration massive », comme si la détermination numérique de l’identité prenait désormais le pas sur l’identité réelle du patient, et que celui qui ne peut être soigné pouvait désormais être nié dans son identité même, sinon éliminé !

- carte d’alias : c’est une mauvaise réponse à la non-prise en compte du droit d’opposition. C’est la possibilité pour le patient qui souhaite conserver l’anonymat, d’être enregistré sous une fausse identité (d’après le SIM de notre établissement qui l’a mise en place, son usage doit rester exceptionnel : toxicomanes – réminiscence de la loi de 1970, familles du personnel, personnalités... C’est le SIM qui procède à la création d’une anagramme à partir du vrai nom, qui reste par ailleurs lisible sur le logiciel de facturation. Le nom du patient reste donc accessible et ses données personnelles sont quand même enregistrées). Tous les logiciels ne permettent pas cette possibilité. En tout cas, aucune information claire n’est apportée au patient, et il n’existe pas de réglementation connue !

- charte d’utilisation du DPI, telle que la charte Cortexte, réglementant l’accès au DPI [27]  : « Il est interdit de consulter des dossiers de patients dont on n’a pas la charge (...) Chaque utilisateur est responsable du respect du secret professionnel sous l’autorité de l’encadrement. Le SIM réalisera a posteriori un contrôle mensuel des dossiers consultés sur trente professionnels tirés au sort (toutes fonctions confondues) (...) Toute intrusion injustifiée sera portée à la connaissance de son chef de service qui jugera de la suite à donner ». On voit le caractère artisanal, bricolé des contrôles de confidentialité, l’absence de tout réel garde-fou technique à un accès abusif, ce qui permet d’accréditer que la confidentialité ne peut être véritablement garantie.

En l’absence d’une finalité clairement déterminée (illégale si l’on se réfère à l’article 6 de la loi n° 78-17 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés du 6 janvier 1978 modifiée), la VAP étant sans cesse retardée et pas forcément réalisable, l’objectif de cette informatisation galopante apparaît manifestement économique et sécuritaire :

- utilisation détournée par les directions hospitalières de la comptabilité analytique, pour évaluer arbitrairement l’activité des unités, voire de chaque membre du personnel et ajuster les moyens alloués (officiellement « Cortexte n’est pas fait pour évaluer une charge de travail », mais pourtant on assiste bien à une « redéfinition des effectifs structure par structure en fonction de l’activité constatée » [28]. Le RIMP est ainsi utilisé de façon déloyale pour mettre en concurrence les soignants et les services entre eux, laissant planer une menace sur ceux qui travaillent le moins, les plus mauvais, et encourager les autres à travailler plus...

- inadéquation de cette comptabilité analytique avec les activités de soins ambulatoires, qui, par définition, ne « rentrent pas dans les cases » : par exemple, les activités ergothérapiques ne sont pas prises en compte, car font doublon avec les autres prises en charge ; les temps de réunions, d’accompagnement, de négociations ou d’échanges informels sont sous-évalués quand ils ne comptent pas pour rien... Plus largement, l’activité réelle des centres médico-psychologiques (CMP) devrait se compter en négatif car elle s’effectue en filigrane, reste sous- jacente, là où le recueil des actes ne retient que la partie émergée de l’iceberg. Au fond, c’est la philosophie-même des soins de prévention qui échappe à toute comptabilité « positiviste » : par définition, en termes de prévention, le travail effectué c’est tout le travail qu’on permet de ne pas faire. Mieux on travaille, moins on voit le patient : en forçant à peine le trait, en psychiatrie, mieux on travaille, moins on travaille !

- déploiement de l’informatique présenté systématiquement lors des échanges (collèges du SIAM localement, et sur le plan national, rhétorique du CNOM, du GIP-DMP et de la HAS à travers les procédures de certification...) comme une évidence, une modernisation incontournable et représentant un marché porteur, permettant accélération, sécurisation et traçabilité de la transmission des informations (cela dénote l’idéologie néolibérale comportementaliste de la « responsabilisation des acteurs » et de l’amélioration continue de la qualité et de la performance, repérée par exemple par Jean-Pierre Le Goff)...

- En définitive, l’informatisation des données personnelles en psychiatrie vise à assurer une gestion concurrentielle optimale des troubles et des budgets. Il s’agit surtout, comme dans l’Éducation nationale et le travail social, d’habituer les individus, patients comme soignants, à l’évidence normative du fichage, de dresser les consciences et resserrer les rangs derrière la bannière de la mondialisation des échanges... [29]

LA RÉSISTANCE ÉTHIQUE CONTRE LE FICHAGE

Contre ces risques liberticides insidieux mais extrêmement graves, différentes actions de résistance offensive ont été discutées ou menées, sans succès jusqu’à présent :

1. Action dans un petit hôpital spécialisé de province pour faire valoir le droit d’opposition à l’informatisation des données personnelles en psychiatrie, auprès du SIM local et de la CNIL :

- notice d’information distribuée aux patients suivis en consultation dans un CMP (du moins ceux susceptibles de recevoir en toute connaissance de cause cette information), rappelant l’article 38 de la loi n° 78-17 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés du 6 janvier 1978 modifiée : « toute personne a le droit de s’opposer, pour des motifs légitimes, à figurer dans un fichier » [30]. Comme motif légitime, la notice évoque l’avis n° 104 du CCNE sur les risques pour les libertés et la confidentialité, notamment du fait du caractère obligatoire du RIMP et du diagnostic comportementaliste de la CIM-10. La notice se termine par la possibilité de faire valoir ce droit d’opposition auprès de la CNIL et du SIM, par l’intermédiaire de son médecin-psychiatre (qui est aussi, dans ce cas d’espèce, président du comité d’éthique de l’établissement).

- Des demandes individuelles
de droit d’opposition ont ainsi été recueillies (très variées, leur motif légitime n’étant pas toujours explicite) : d’abord quatorze, puis finalement vingt-deux. Elles ont été adressées en juillet 2009 au SIM et à la CNIL, accompagnées d’un courrier de la part du médecin-psychiatre avec un argumentaire plus détaillé.

- Argumentaire (sans revenir sur l’avis du CCNE) :

   * Le diagnostic obligatoire utilisé dans le RIMA est comportementaliste (la CIM-10, classification mondiale de l’OMS « des maladies mentales et des troubles du comportement ») : il s’agit d’une classification réductrice et stigmatisante d’idéologie utilitariste, où la « perturbation du fonctionnement personnel », synonyme de trouble du comportement, est assimilée à une maladie mentale. Cette définition objectiviste du trouble par la déviance à l’égard de la norme socioprofessionnelle est un contresens épistémologique absolu, si l’on se réfère à la définition éthique et systémique de la santé comme liberté et création de valeurs (cf. Georges Canguilhem, Henri Ey, Georges Lantéri-Laura, etc.). Un diagnostic aussi chosifiant ne peut que nuire au patient, et porte fondamentalement atteinte à sa vie privée et au secret médical. Il est d’ailleurs maintenant avéré que ces classifications découpant le vécu en tranches et en chiffres, où la conformité à la norme socio-économique est donc le parangon absolu, mais fallacieux, de la bonne santé psychique, obéissent à des arrière- pensées mercantiles commandées par les intérêts de l’industrie pharmaceutique...
   * L’anonymisation du fichier du RIMA se fait a posteriori et non à la source, hypothéquant d’entrée de jeu la confidentialité [31]. Il n’y a pas d’autre garde-fou technique à la divulgation des données personnelles concernant les patients (comme on l’a vu, le médecin SIM est le seul garant de la confidentialité, sans parler des contrôles aléatoires « bricolés » du respect de la confidentialité pour les soignants accédant au DAI...).
   * La finalité de la VAMP, médico-économique, reste en réalité indéterminée, hypothétique, marchande et non soignante, contraire à l’article 6 de la loi sus-citée. Cette finalité est d’ailleurs déjà dévoyée par l’usage de la comptabilité analytique à des fins d’évaluation concurrentielle de la charge de travail des unités et des soignants [32]
   * Le droit à l’information des patients sur leurs droits (droits d’opposition, mais aussi d’accès et de rectification, et droit à l’oubli) est le plus souvent indigent (en dépit de l’arrêté du 15 avril 2008 sur le contenu du livret d’accueil).
   * En conclusion : la défense des droits des patients (vie privée, secret médical...) est une obligation éthique à laquelle nul praticien ne saurait se soustraire !

- Depuis plus d’un an, la CNIL n’a toujours pas répondu, malgré de nombreuses relances... Silence éloquent, qui montre que cette commission, en dépit de sa dénomination, a depuis longtemps choisi l’informatique contre la liberté !

- La DHOS [33] a répondu tardivement à un courrier de la direction de l’hôpital, qui l’interrogeait sur le bien-fondé du droit d’opposition des patients : réponse maniant des tautologies et incantations auto-convaincantes, et se terminant par des menaces (rappel des sanctions disciplinaires et financières auxquelles s’exposent les praticiens qui refusent de renseigner leur activité !). Cette réponse dénie tout droit d’opposition, mais il faut — comme souvent — lire entre les lignes pour déceler une faiblesse dans l’argumentation : pour que les patients n’aient pas de motif légitime de s’opposer, malgré tout, la DHOS avoue que l’établissement doit attester « qu’il met en œuvre toutes les mesures de nature à assurer la confidentialité des données traitées ». Est-ce le cas, si l’on se réfère à la charte Cortexte, ainsi qu’au caractère nominatif injustifié du fichier du RIMA ?

- Enfin, réponse écrite « à côté » du SIM à chaque patient (il ne dit rien quant à la légitimité du droit d’opposition, mais fait part du courrier de la DHOS et brandit l’agrément de la CNIL comme une preuve absolue d’innocuité).

Et maintenant ?
Ces réponses dilatoires incitent à apporter une nouvelle information contradictoire aux patients, et entamer une nouvelle démarche collective auprès du SIM et de la CNIL. En argumentant les motifs légitimes de s’opposer à l’informatisation des données personnelles, par l’avis du CCNE, et en mettant l’accent sur l’impossibilité technique de garantir la confidentialité. Mais aussi en rappelant le Code pénal (articles 226-18 et 226-18-1) : «  le fait de procéder à un traitement de données à caractère personnel concernant une personne physique malgré l’opposition de cette personne » sinon « le fait de collecter des données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal [34] ou illicite », est passible de cinq ans de prison et de 300 000 euros d’amende. En cas de réponse à nouveau négative, ou d’absence de réponse, une action en justice apparaît en effet comme le seul recours restant...

2. Autres actions menées

- mobilisation locale : il s’agit sans relâche d’informer le corps médical et les autres soignants, et de tenter de les faire agir... Dans notre établissement, cela passe notamment par des courriers et des discussions, une action déterminée au sein du Comité d’éthique, du Conseil de pôle, du collège du SIM, de la Commission médicale d’établissement... Cette action reste éprouvante, car elle se heurte à la propagande technocratique et au management par l’intimidation et le discrédit.

- mobilisation nationale : par des articles de presse, des textes à diffuser auprès des réseaux syndicaux et associatifs, ainsi qu’une première journée contre le fichage en psychiatrie organisée le 29 mai 2010 par l’association DELIS-Santé Mentale Rhône-Alpes [35]. Un certain nombre de collectifs soignants sont engagés dans la résistance à l’informatisation des données personnelles en psychiatrie, sur lesquels se greffent des individuels dispersés sur l’ensemble du territoire national.

- boycott du diagnostic CIM-10 (grève du codage).
Appel national lancé à deux occasions : en janvier 2007, par les quatre syndicats de psychiatres d’exercice public, en raison de l’absence de visibilité médico-économique du recueil ; durant le premier trimestre 2009, par l’ensemble des médecins hospitaliers menés par le Mouvement de Défense de l’Hôpital Public, pour empêcher la promulgation de la loi HAST. Ces deux mouvements ont été très peu suivis, devant la menace d’une restriction budgétaire... Actuellement, le boycott se poursuit de façon très dispersée et marginale dans les hôpitaux psychiatriques : il consiste soit en un refus pur et simple de renseigner le diagnostic, soit à rentrer un diagnostic non discriminant pour ne pas « pénaliser » l’activité (F99.9 : trouble mental sans précision ; et/ou Z00.4 : examen psychiatrique général). Ce boycott expose à quatre ordres de menaces : verbale (« sabotage », menaces de dénonciation au ministère...), disciplinaire (pour non-respect des obligations de service), budgétaire (restriction des moyens si l’activité n’est pas rentrée correctement : menace absurde car la VAP n’existe pas, mais néanmoins efficace !) et maintenant salariale (article L6113-7 de la loi HAST, menaçant les praticiens qui ne transmettent pas « les données médicales nécessaires à l’analyse de l’activité et à la facturation de celle-ci » d’une retenue sur leur rémunération). L’exemple de la désobéissance dans l’Éducation nationale nous montre que cette dernière menace sera certainement appliquée, mais sans entraîner forcément de conséquences sérieuses : système de caisse de solidarité, sanctions non confirmées par le tribunal administratif...

- action auprès du CNOM au début de 2009, sans réponse satisfaisante.

3. Projets d’actions

- généraliser l’usage de la carte d’alias ;
- après le CCNE, saisir la Commission des droits de l’Homme de l’ONU ;
- recenser toutes les « affaires », les situations illégales dans lesquelles la confidentialité des données informatiques n’a pas été respectée [36]
- constituer un réseau d’assistance juridique ;
- fédérer un Collectif National de Résistance à l’Informatisation des Données Personnelles en Psychiatrie (CNR-IDPPSY), sur le modèle du CNRBE [37] dans l’éducation nationale [38]

CONCLUSION

L’informatisation des données personnelles en psychiatrie soulève des problèmes très complexes, voire insolubles, d’ordre légal, déontologique, éthique, épistémologique... et technique. La confidentialité est un impératif pour éviter le risque effectif de fichage, mais c’est un impératif impossible à réaliser ! (Elle est mise en avant par les textes ou les instances réglementaires, mais sans aucune crédibilité technique : manifestement pour mieux « faire passer la pilule » de l’extension du marché lucratif de l’informatique et de la « sécurité »).

Nous sommes – encore – dans un État de droit. C’est donc sur le terrain de la loi et de la déontologie qu’il faut rester vigilants et contre-attaquer : Code civil, Code de la santé publique, loi Informatique et Libertés, Code pénal, secret et indépendance du médecin...

Une action judiciaire est en effet possible si l’atteinte à la vie privée (à la confidentialité) est prouvée, voire si le droit d’opposition n’est pas pris en compte... Si un haker pouvait pirater un SIM, en toute confidentialité, et le faire savoir ! Porter une affaire exemplaire en justice serait en tout cas l’occasion de démontrer que le fichage est d’ores et déjà une dangereuse réalité ...

La défense des droits de nos patients est un impératif éthique : aucun médecin ne peut accepter de participer à une entreprise de fichage qui visera, tôt ou tard, à les sélectionner. Au nom de quel alibi d’ordre public ou économique la science médicale se ferait-elle le complice de cette résurgence historique tragique de l’eugénisme ?

Nos remerciements à l’association DELIS-Santé Mentale Rhône-Alpes et au Collectif Psyl3, et nos encouragements solidaires à tous les soignants qui résistent pour la défense d’une psychiatrie humaniste.

Notes


[1] Ce texte a été publié dans la Lettre de Psychiatrie française, N° 195, novembre 2010.

Pour joindre Olivier Labouret, du Collectif National de Résistance à l’Informatisation des Données Personnelles en Psychiatrie (CNR-IDPPsy) : o.labouret@ch-gers.fr.

[2] Prévention des atteintes à la sécurité publique.

[3] Enquêtes administratives pour la sécurité publique.

[4] Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet.

[5] Exploitation documentaire et valorisation de l’information générale.

[6] Fichier national automatisé des empreintes génétiques.

[7] Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.

[8] Répertoire national commun de protection sociale.

[9] Big Brother Awards.

[10] Numéro d’inscription au répertoire de l’Insee.

[11] Revenu de solidarité active.

[12] Scolarité sur le Net.

[13] Module de saisie des absences et retenues sur traitement.

[14] Répertoire partagé des professions de santé.

[15] Voici les médecins traités comme les bovins, « tracés » du pâturage jusqu’à notre assiette !

[16] Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.

[17] Et création de l’ASIP (Agence de sécurité de l’information partagée).

[18] Médecins (revue du CNOM) n° 10, mars-avril 2010 ; Le Quotidien du Médecin, 14 avril 2009 et 17 mars 2010.

[19] On retrouve clairement cette tendance dans le rapport Oullier-Sauneron du Centre d’analyse stratégique (mars 2010), commandé par le secrétariat d’État à la prospective et au développement de l’économie numérique, et qui se propose d’appliquer les neurosciences (imagerie cérébrale, sciences comportementales et cognitives...) non seulement dans la prévention en santé publique, mais plus généralement pour influencer les choix des consommateurs et des populations (neuroéconomie, neuromarketing, etc.).

[20] Classification internationale des maladies.

[21] Arrêté du 29 juin 2006. Le nom et le prénom du patient ne font pas expressément partie de ce recueil de données obligatoires, mais sont pourtant systématiquement enregistrés.

[22] Là encore sur le modèle animal, bovin ou pavlovien !

[23] La revue Prescrire a épinglé à de multiples reprises les conflits d’intérêt entre la HAS et l’industrie techno-pharmaceutique.

[24] Réponse de son président, le professeur Grimfeld, à la saisine de l’association « Droits Et Libertés face à l’Informatisation de la Société » (DELIS) (16 décembre 2008).

[25] D’après nos informations, l’anonymisation du RIMP lorsqu’il est transmis à l’ATIH n’est absolument pas garantie, les logiciels de cryptage ayant déjà été percés.

[26] « Quelques recommandations pour la mise en œuvre de l’identito-vigilance dans les établissements de santé », Drs Baudrin et Soler, Commission de coordination régionale des vigilances, DRASS Midi-Pyrénées, juillet 2009.

[27] Exemple local de charte daté de décembre 2006.

[28] Exemples de comptes rendus de réunions d’instances administratives tenues en avril 2009.

[29] Nous ne parlerons pas ici de l’omnipotence, de la déshumanisation que signifie, d’un point de vue symbolique et identitaire, la relation avec l’écran informatique comme miroir narcissique : nous renvoyons aux critiques classiques des technologies de l’information formulées par exemple par Bourdieu, Ramonet, Chomsky, ou encore Biagini et Carnino...

[30] Depuis la modification de la loi en 2004, cet article stipule que le droit d’opposition ne s’applique pas « lorsque le traitement répond à une obligation légale ». Il n’empêche que la légalité du traitement informatique des données personnelles en psychiatrie est contestable sur bien des points, ce qui rend légitime le fait de s’y opposer. Par ailleurs, cette restriction même du droit d’opposition contrevient à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme reprise en préambule dans la constitution de 1958, qui rappelle les droits fondamentaux : « la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ».

[31] Les fichiers du RIMA et du DAI ne sont par ailleurs pas clairement séparés.

[32] Sous cette menace permanente typique du management par objectifs et par le stress, il faut donc justifier de son activité, quitte à la surévaluer, pour voir son poste préservé, au détriment du voisin...

[33] Direction de l’hospitalisation et de l’offre de soins.

[34] C’est particulièrement le cas pour les patients hospitalisés sous contrainte !

[35] Le présent article étant la transcription de la communication introduisant la journée.

[36] Exemples d’affaires récentes :

   * éducateur licencié en 2008 dans les Alpes-Maritimes pour avoir refusé de saisir des données nominatives au conseil général ;
   * saisie de dossiers par le procureur dans des CMA (Saint- Gemmes, Blain) ;
   * tableau Microsoft Excel des enfants déficients scolarisés en maternelle dans le Val d’Oise, accessible en un clic (« enquêteur » de l’URAPEI auprès des enseignants) ;
   * « flicage » informatique des soignants (enquête sur Cortexte, sans objection du SIAM, pour soupçonner et dénoncer l’infirmier, auteur présumé d’un procès verbal pour stationnement illicite — enquête rapidement abandonnée...).

... Chaque établissement doit connaître des affaires de cet ordre !

[37] Collectif National de Résistance à Base élèves.

[38] Le Conseil d’État a statué, le 19 juillet 2010, en annulant l’arrêté ministériel portant création du fichier Base élèves : d’une part, parce que cet arrêté a interdit expressément, illégalement, le droit d’opposition à l’enregistrement de données personnelles dans ce fichier ; d’autre part, en raison de possibilités d’interconnexion non mentionnées à la CNIL. Ce succès, quoique relatif (puisque cette « annulation » ne va demander qu’une régularisation du fichier considéré...), doit nous inciter à approfondir rapidement les possibilités d’action en justice.

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La HAS se penche dangereusement sur … la dangerosité psychiatrique ce jour même.
Par guy Baillon

11 Décembre 2010

Le danger est maximal car la Haute Autorité de la Santé, a l’obligation de donner ce week-end des ‘recommandations’ pour que l’Etat ensuite impose en toute tranquillité à tous les français, à la justice, à la police et à la psychiatrie sa façon de réagir à la dangerosité et de la prévenir!
Mais pour ce faire nous constatons que la HAS fait l’impasse sur 40 ans de pratique de psychiatrie de secteur !

Cela signifie que le travail de 1127 équipes de secteur réalisé depuis 1972 est passé hier aux oubliettes ! Toutes ces équipes ont pourtant quotidiennement travaillé et réussi à désamorcer au quotidien les violences. Il n’en est pas tenu compte !
Ainsi de façon inattendue, sur commande de l’Etat, la HAS par un calme week-end de décembre, a fait plancher vingt experts devant une commission ‘ad hoc’ et un public trié sur le volet sur la ‘dangerosité’ avec la tâche de donner des ‘recommandations’ acérées le soir du 12 !

Le danger est extrême pour la psychiatrie de secteur, car si ces recommandations sont conformes à ce qui s’est passé le 10 décembre (seul jour public) la psychiatrie de secteur va être écartée de toute réflexion sur la violence pour des raisons dites scientifiques, comme nous allons le voir. On a du mal à le croire !

Le matin un travail "épidémiologique" a examiné la littérature … "internationale" portant sur la dangerosité psychiatrique des schizophrènes et des maniaco-dépressifs (ce ciblage est dangereux car il fait croire qu’il y aurait pour eux une spécificité du danger !). Il faut savoir que cette démarche "littéraire" est pour la France un piège car cette littérature n’accepte que des références internationales, et comme la psychiatrie de secteur n’existe qu’en France (les professeurs et chercheurs français s’ils veulent être publiés et être connus ne doivent jamais parler du secteur, et les étrangers encore moins) : donc « exit la psychiatrie de secteur de ce débat » ! Aucun auditeur n’a relevé cette énormité qui marque de son sceau la suite du débat.

Ce n’est que l’après midi qu’ont été entendues deux équipes françaises : -l ’une dont l’activité (remarquable) biaise aussi l’analyse car elle fait face à l’ensemble des urgences de Paris, ainsi les 50 équipes parisiennes font l’économie de la rencontre avec les urgences et avec les familles, elle leur enlève la capacité d’acquérir une compétence pour nouer des liens entre urgence et continuité des soins, - l’autre équipe à partir de sa seule expérience a proposé de réfléchir sur le second facteur causal de la violence : ‘le contexte’ dans lequel vit un malade précis. Question centrale, pourtant ce second facteur avait à peine été énoncé dans l’abondante littérature internationale, centrée sur la recherche d’une objectivité de la dangerosité. - De plus ces deux interventions étaient éclipsées par l’honneur réservé à nos amis canadiens qui on le sait n’ont jamais pu installer le secteur au Canada, et à une excellente prestation française sur la neuro-imagerie confirmant qu’il ne fallait pas compter sur elle pour "visualiser" une éventuelle survenue de violence (ouf).

Au total nous avons, en une journée, été obligés de suivre la "commande de l’Etat" voulant réduire le regard à ce qui cernerait une dimension ‘objective’ de l’appréciation de la dangerosité de ces deux troubles psychiques si violemment ciblés.
Il a été tout de suite critiqué par un acteur de Franche-Comté que la stigmatisation commence à partir du moment où l’on désigne une personne avec ‘une maladie’ (prétendue) au lieu de parler de "personnes présentant des troubles du type schizophrène ou maniaco-dépressif".

La question vaste, complexe, difficile, passionnante du "contexte" qui entraine vers une expression violente l’une de ces personnes n’a été abordée que tardivement et du bout des lèvres, comme très, très secondaire. De plus le contexte ‘immédiat’, c’est-à-dire l’attitude hostile, réticente ou accueillante de l’environnement, qu’il soit relationnel ou soignant, devant une personne en grande difficulté psychique n’a été ni évoqué, ni travaillé.

Il faut souligner que les deux notions fondamentales suivantes ont été abordées par les usagers seuls : - ainsi l’intérêt qu’il y a à parler, non pas de dangerosité, dont on sait qu’elle n’a reçu aucune définition scientifique, mais de « vulnérabilité » (terme associant la défaillance ou fragilité personnelle, avec le rôle évident de l’environnement et du contexte immédiat) ; ce terme a été apporté par la représentante des usagers, Claude Finkelstein ; - et la remarque fondamentale selon laquelle toute réponse donnée à une violence d’un patient trouve toujours son appui le plus fort dans la « proximité » (parce que c’est là que se concentrent la connaissance actuelle et passée de la personne, l’appréciation de ses liens, et l’espoir à venir) ; ce terme a été apporté par le représentant des familles, Jean Canneva.

Ainsi le drame de cette journée, réside dans le fait qu’aucun intervenant, aucun membre de la Commission "ad hoc" n’a évoqué la réalité : la France a accumulé une expérience "nationale" considérable de pratique de secteur, faite d’écoute de cette vulnérabilité et d’exercice de cette proximité : depuis 1972 dans 1127 équipes de secteur (830 équipes générales, le reste infanto-juvéniles) ; en 40 ans s’y sont succédées 2 à 3 générations de soignants divers qui ont acquis un ‘savoir-faire’ pluridisciplinaire auprès d’un million et demi de patients chaque année : Eh bien leur expérience n’a pas été prise en compte par l’HAS ce premier jour. Ni analysée, ni jaugée, ni approfondie !

De ce fait, dans l’évaluation que cherche à établir l’HAS, les biais sont nombreux, les manques d’analyse auront des conséquences préoccupantes sur les recommandations, en voici quelques uns : (outre le fait que le terme de dangerosité devrait être écarté car sans référence)
- absence d’un bilan historique mesurant l’effet de la pratique de la psychiatrie de secteur sur un pays entier de 65 millions d’habitants, seul exemple au monde (avec la Suisse !) ayant réalisé cette expérience et à même d’en mesurer le résultat, - absence d’une volonté déterminée de tenir compte dès le début des travaux de la seconde composante de la violence et de la vulnérabilité des personnes en souffrance psychique et de l’approfondir : le contexte entourant la survenue d’une violence : il est essentiel de préciser comment chacun d’entre nous réagit devant la folie, en fonction de quels facteurs
- absence d’analyse « qualitative » des actions qui permettent de diminuer ou éviter la violence (il ne suffit pas de comptabiliser les moyens, les soignants, ni les heures passées ; la qualité de la relation construite pour endiguer la violence est essentielle). L’étude de la « qualité relationnelle » qui est établie par un soignant et son équipe dans l’échange avec un patient et sa famille est une donnée "de base" de tout soin, agissant sur l’éventuelle violence. Nous avons tous appris que c’est là que se construit le soin, c’est là que la ‘confiance’, part indispensable du soin s’élabore, c’est là que commence la ‘continuité de l’attention’ portée à l’autre fondant le tissu sur lequel trajectoires de vie et trajectoire de soin  ‘interagissent’ ; n’est-il pas essentiel de s’interroger sur les facteurs qui favorisent cette ‘qualité’ ?
- absence d’évaluation de la violence vécue par tout patient engagé dans sa psychose et confronté aux réactions négatives de son entourage, lui qui pour se sauver de ses angoisses terrifiantes s’est accroché à la bouée d’une vision délirante du monde, sent alors son entourage et ses interlocuteurs hostiles ; il serait indispensable de savoir évaluer sa peur, laquelle à un moment peut se transformer en attitude défensive comprise comme agressive
- absence, un moment plus tard, de l’évaluation de la violence subie par cette même personne lorsqu’il lui est imposé de s’avouer malade ; les autorités parlent de refus de soin ! alors que la personne est dans la méconnaissance de ses troubles et vit cet ‘aveu’ d’être malade comme une perte d’identité profondément douloureuse
- absence d’évaluation de la souffrance des familles, celles-ci selon les dispositions légales actuelles (loi de 1990, et HDT), livrées à elles-mêmes, se sentent comme des accusateurs de leur enfant, ce que celui-ci leur renvoie ; il leur est demandé de commettre un ‘assassinat d’âme’, d’autant plus insupportable que la majorité du temps les équipes ne les éclairent pas ; les familles non reçues par les équipes sont une fois de plus abandonnées
- absence d’évaluation de la douleur des soignants, celles-ci prenant le relais dans ces mesures se sentent elles aussi accusatrices, et sont vécues comme telles par le patient
- absence d’évaluation des effets négatifs de la loi de 1990 sur l’internement, ses objectifs ont été contradictoires à ceux de la psychiatrie de secteur, en effet elle a désinvesti le travail de secteur pour tout concentrer sur la facilité de réaliser des hospitalisations sous contrainte, les directeurs ont fermé des structures de soin de ville pour renforcer les services d’hospitalisation. De ce fait la prévention a été abandonnée et a été favorisée l’arrivée des violences comme preuve justifiant les soins. Le résultat est là : les chiffres des hospitalisations sans consentement ne cessent de croitre depuis 1990
- absence au total d’évaluation de la capacité actuelle de chaque équipe de secteur pour répondre à la violence. Il serait en effet très pervers de ne pas tenir compte du fait qu’aujourd’hui de plus en plus d’équipes ne sont pas en état d’assumer de façon sereine leur travail, en particulier ne réunissent pas les conditions leur permettant d’affronter les violences des patients : - un certain nombre d’équipes n’ont pas assez de psychiatres (voire n’en ont plus !), d’infirmiers, -pas assez de structures de soins en ville, - pas assez de formation permanente, - n’ont pas pu mettre en route une réflexion théorique suffisante, -ni un travail d’accueil suffisant pour se concentrer sur l’objectif essentiel qu’est « la création d’un lien thérapeutique » suffisant et de bonne qualité pour chaque patient de sa file active, -ni une maturité lui permettant d’éviter certaines équipes de fuir vers des demandes inflationnistes de moyens. (Leur faire des recommandations sans réparer d’abord leur dégradation sera source d’escalade de violences, car les équipes seront de moins en moins disponibles),
- absence de toute évaluation de la non-adéquation des évaluations d’activités demandées par le Ministère de la Santé et par l’HAS à la mission de l’équipe de secteur ; il est demandé aux équipes de limiter leur analyse à l’activité hospitalière, alors que leur mission est la continuité des soins ; elles ne sauraient diviser leur activité en soins hospitaliers et autres, chaque soin pour un patient n’a de sens que dans la continuité de ses divers soins
- absence d’évaluation de l’augmentation des plaintes pour violence faites par les équipes soignantes, faisant penser à une recrudescence de violences ; alors que les analyses fines qui ont été faites (par exemple Patrick Chaltiel à l’observatoire de la violence de l’Hôpital de Ville-Evrard entre 1999 et 2003) montrent que ces plaintes plus nombreuses ne sont pas le signe d’un plus de violences, mais d’un désarroi croissant des soignants depuis 1990, en raison -du démantèlement progressif de certaines équipes, -de l’écrasement par des évaluations calquées sur la médecine et les USA, -de l’assassinat médiatique de la psychiatrie par les médias, -de la formation uniquement biologique des nouveaux psychiatres.

N’y a-t-il donc aucune donnée qui puisse être travaillée, hors des interviews directes des 1127 équipes de secteur, sur leur activité depuis 1972 pour près d’un million et demi de patients chaque année ? C’est inexact !
En effet chaque équipe de secteur établit un rapport d’activité annuel, certes avec les critères secs et inadéquats de l’administration, mais accompagné de commentaires de l’équipe : sachez qu’ils n’ont presque jamais été dépouillés : cela fait 1127 x (1972 à 2010 : 38 ans) = 42.828 rapports dans les archives des directions et du Ministère !

De très nombreux écrits cliniques aussi dans les différentes revues et des rapports des associations scientifiques français ont accumulé peu à peu la « Clinique de secteur », c’est  à dire l’observation et l’évolution des troubles des divers patients au regard d’un outil nouveau et n’existant qu’en France : l’attention continue d’une équipe envers les mêmes patients tout au long de leur trajectoires de soin, pendant un à 30 ans.

L’expérience des équipes de secteur, recevant toutes les pathologies, tous les âges est donc considérable. Une recommandation sur l’avenir autour du thème de la violence ne saurait s’en passer. Si l’HAS limite sa réflexion à la donnée surannée de dangerosité, au lieu de la vulnérabilité, et cale son analyse, non sur l’expérience de 40 ans sur tout le pays, mais sur des données bibliographiques internationales (excluant la France en plus !), son avis ne peut qu’aboutir à l’abandon immédiat ou progressif de la politique de secteur. Ses recommandations se voulant ‘objectives’ ne tiendront pas compte de la réalité française et vont accoucher d’une demande de rigidification des processus de soin ; celles-ci auront une signification agressive à l’égard à la fois des patients, des familles et des soignants. Les malades se sentiront enfermés dans une lutte quotidienne pour se défendre contre un monde hostile et ‘inhumain’.

Notre expérience de 30 ans sur le terrain d’une équipe prouve de façon fondamentale que les violences apparaissent dans le champ psychique, pour ces pathologies psychotiques, comme pour les autres d’ailleurs, à chaque fois que la contradiction est trop insupportable entre ce que vit une personne et ce que répond son environnement.

Nous avons appris que la dangerosité (la violence et la vulnérabilité) de la personne est maximale lorsque ses liens avec les autres sont attaqués ou s’effacent.
C’est précisément la force du travail de l’équipe de secteur, une équipe présente dans la Cité, centrée sur la vie de la Cité de veiller à participer à la construction de ces liens.
A chaque fois : - la perception de la vulnérabilité de la personne, le choix de la proximité comme cadre du soin, -une qualité d’écoute et de soin, -la mise en place d’un temps de travail préalable calme avant tout soin, que nous avons appelés ‘pratiques d’accueil’, -une attention simultanée portée aux problématiques physiques, sociales (logement en premier), et relationnelles de la personne, à chaque fois tous ces éléments travaillés vont transformer la violence agressive de la personne en attention à elle-même, puis en attention aux autres, enfin en appétit et désir de soin à chaque fois que nécessaire, dans la mesure où la société ‘de proximité’ se montre elle-même accueillante et ‘humaine’.

Le danger que court la psychiatrie de secteur pendant ce week-end de décembre est maximal.
Certes nous savons que ces travaux se déroulent sous l’impulsion de personnes très averties Jean Louis Senon et Gérard Rossinelli. JL Senon a fait preuve d’une vigilance, d’une rigueur et d’une détermination exceptionnelles, car c’est beaucoup grâce à lui que la campagne de stigmatisation déclenchée en France en décembre 2008 a décru, tellement il a su mettre en évidence que la violence des patients n’était pas plus forte que celle de l’ensemble de la population, et surtout qu’ils étaient bien plus souvent victimes de délits, preuve de leur vulnérabilité, et G Rossinelli praticien infanto-juvénile profondément attaché depuis 30 ans à la mise en évidence des potentialités très fortes de la politique de secteur pour tous les patients.

Mais la commande de l’Etat est tellement forte que le combat va être rude. Il est essentiel que famille, usagers et soignants s’associent aux travaux de cette Commission et construisent une réalité humaine pour rencontrer les éventuelles violences et les transformer en liens humains.


dijOnscOpe

Psychiatrie citoyenne : Quand les patients deviennent soignants...
Émilie Petit

09 déc 10

Lundi 06 et mardi 07 décembre 2010, le gratin du milieu psychiatrique international s’est retrouvé à Besançon (Doubs), pour un débriefing sur la psychiatrie citoyenne, nouvelle forme de soins prodigués aux patients. C’est donc sous la houlette de Marie-Noëlle Besançon, chef de file de ce courant de pensée, que citoyens, malades, étudiants et professionnels de la santé ont réfléchi, ensemble, à l’avenir de cette psychiatrie encore méconnue...

"Il faut faire évoluer les mentalités"

En ce début des périodes de fêtes, Marie-Noëlle Besançon, chef de file du courant psychiatrie citoyenne, est aux anges. Cela fait deux ans qu’elle attend cette conférence, mise en place par ses soins : "La psychiatrie citoyenne permet d’avancer dans le domaine psychiatrique, parfois sclérosé et hermétique à de nouvelles formes de soins, pour des patients instables et fragiles", souligne-t-elle. Une quinzaine d’intervenants se sont donc rejoints à Besançon, dans le Doubs, pour évoquer l’avenir et les avancées dans le domaine de la psychiatrie citoyenne. Le concept ? Créer un espace d’accueil et de vie pour les malades psychiques, au sein duquel ils pourraient vivre normalement et se sociabiliser. Un pari que Marie-Noëlle Besançon a tenté de relever. Voilà en effet 21 ans que la Maison des Sources existe et prospère. Située au cœur de Besançon, en plein centre-ville, cette structure accueille une centaine de personnes, malades, exclues du système social, nécessitant des traitements médicaux suivis.

La psychiatrie citoyenne peut-elle être perçue comme une alternative aux soins en vigueur actuellement ? C’est en tout cas le souhait des psychiatres adeptes de cette nouvelle méthode. Les malades, quels que soient leurs symptômes, vivent ensemble, échangent sur leurs expériences et s’entraident au quotidien. La Maison des Sources est donc perçue par les professionnels, comme un intermédiaire entre les lieux de soins, généralement des Centres hospitaliers spécialisés, et la société, qui les rejette et les isole. Redonner leur dignité aux malades et les réhabiliter socialement : voilà l’ambitieux projet des IAF (du nom de l’association de Marie-Noëlle Besançon "Les Invités au Festin") tels que la Maison des Sources à Besançon.

Les centres de réinsertion : une "première" maison...

Un concept, qui germe un peu partout en France. Depuis quelques années, en parallèle des IAF mis en place notamment à Besançon et Boulogne Billancourt (Hauts-de-Seine), d’autres structures similaires ont fait leur apparition. C’est le cas à Lille, grâce à la volonté d’Alain Moron, président de l’association Fraternative, également présent lors de la conférence sur la psychiatrie citoyenne. Lorsqu’il a découvert le premier ouvrage de Marie-Noëlle Besançon, On dit qu’ils sont fous et je vis avec eux, paru en 2007, Alain Moron a eu une révélation :"Pour la première fois, une personne avançait la possibilité de vivre normalement, ou presque, pour ces personnes en fragilité psychique et en rupture sociale".

Mais lieux de vie et lieux de soins sont-ils compatibles au sein d’un seul et même endroit ? Pour Alain Moron, il est en tous cas évident que les moyens mis en œuvre actuellement pour soigner les malades psychiques ne sont pas suffisamment efficaces. "On peut parfaitement guérir d’une maladie mentale. Le problème actuellement, c’est que l’on considère qu’un malade psychique est dangereux. Les gens ont peur car ils ne comprennent pas ces névroses ou psychoses qui ne sont pas d’origine physique, mais bel et bien psychique".  Et Alain Moron sait de quoi il parle : son fils Guillaume est interné depuis six ans en hôpital psychiatrique. Sa maladie psychique a été diagnostiquée à l’âge de quinze ans ; il a aujourd’hui trente-cinq ans. Alain Moron et sa femme ont donc cherché une alternative à l’internement psychiatrique pour leur fils. Sans succès.

En France et ailleurs : un milieu médical en crise

Côté chiffres, en France, la densité moyenne de psychiatre est de 21,8 médecins pour 100.000 habitants, selon le compte rendu de l’audition des psychiatres du 29 mai 2010 (Lire ici). Un chiffre en baisse par rapport à 2008, reflet d’un milieu en crise. Ce même compte rendu met également en avant les difficultés, dans le milieu hospitalier, d’accueil et de prise en charge des patients. Le manque de psychiatres dans les hôpitaux et l’importance de la vacance des postes, mettent à mal le droit des patients à être soignés. Les places sont donc très chères.

Mais la France n’est pas si mal lotie. Au Bénin, comme en Côte d’Ivoire, les croyances traditionalistes désignent, encore aujourd’hui, les malades psychiques comme possédés ou sorcier. C’est pourquoi la coutume veut qu’ils soient attachés à un morceau de bois, dans le but de les immobiliser pour éviter les "dérapages incontrôlés". Des pratiques contre lesquelles se bat Grégoire Ahongbonon, responsable de réinsertion en Côte-d’Ivoire. Son documentaire, Prisonnier du bois, présenté lors de ces deux jours de conférence à Besançon, a suscité l’émotion. Il a lui-même expérimenté la psychiatrie citoyenne. Dans son centre, ce sont les anciens malades qui prennent en charge les nouveaux résidents. "Trouvez-vous normal que des êtres humains soient traités comme des animaux ?", s’insurge-t-il. René Koch, ancien SDF, a été particulièrement touché par l’humanité de Grégoire envers ses patients. Il est lui-même au service de personnes étant, comme lui auparavant, fragiles psychologiquement : "Cela fait maintenant cinq ans que je travaille dans un centre d’aide pour malades psychiques. Je me sens utile. J’essaye de leur donner beaucoup d’amour. A moi, ça me donne du soleil", explique t-il, le sourire aux lèvres.

Enfin, selon les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il existe près de 600.000 familles touchées par la maladie psychique, en France.  Avec d’ores et déjà trois IAF et plusieurs autres en construction, la recherche concernant la psychiatrie citoyenne continue, et tente d’inclure de manière récurrente la famille du malade dans les programmes de réinsertion. Mais cette méthode, coûteuse et non prise en charge par l’Etat, n’est pour l’instant pas encore reconnue d’utilité publique. Et donc non applicable au sein d’un hôpital...



Tribune Par ANNE COPPEL sociologue

Drogues: consensus sur la dépénalisation


Encore une fois, la France s’enferme dans une conception archaïque de la politique des drogues qui ignore les avancées de l’expertise internationale.

Encore une fois, la France s’enferme dans une conception archaïque de la politique des drogues qui ignore les avancées de l’expertise internationale. Or cette expertise propose désormais une stratégie cohérente et réaliste. Le 26 octobre, à l’ONU, un expert, Anand Grover, a fait cinq recommandations, dont l’adoption des mesures de protection de la santé et la dépénalisation de l’usage et de la détention, validées par des collectifs d’experts internationaux. Lors de la conférence internationale de lutte contre le sida en juillet à Vienne, Michel Kazatchkine, directeur du Fonds mondial de lutte contre le sida, a été très clair : «L’une des priorités pour le monde est de faire cesser les fonds alloués à la soi-disant "guerre contre la drogue" qui s’est révélée être un échec et s’est trop souvent transformée en une guerre contre les usagers… Les fonds publics devraient au contraire fournir à tous ceux et celles qui en ont besoin un accès aux services de réduction des risques

Cette remise en cause de la guerre à la drogue est un tournant majeur. Ces dernières années, les politiques de réduction des risques ont fait la preuve de leur efficacité dans la protection de la santé. En août 2009, ces politiques ont été adoptées par l’ONU, conformément aux recommandations de l’OMS, puis validées en France par l’Inserm. Des synthèses internationales ont démontré que la criminalisation de l’usage et de la détention a des effets dévastateurs sur la santé et la sécurité. Il est également prouvé que la dépénalisation, ou décriminalisation (qui n’implique pas de renoncer à l’interdit) n’augmente ni la consommation ni le trafic de drogue. Par contre, elle permet de surmonter les obstacles créés par la criminalisation dans la protection de la santé, obstacles qui s’accompagnent de graves violations des droits de l’homme.

Car le rapport Grover relève du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Invoquer les droits de l’homme pour justifier la dépénalisation de l’usage, voilà qui en France est impensable, assimilé à la revendication du «droit de se droguer». Le rapport rappelle seulement que tout être humain, fût-il consommateur de drogues, a des droits, dont le droit à la santé. Les recherches démontrent les conséquences catastrophiques des politiques de tolérance zéro qui, aux Etats-Unis, ont abouti à un triplement des incarcérations en vingt-cinq ans. La protection de la santé ne peut être invoquée pour justifier la criminalisation de l’usage : il est prouvé que plus la répression augmente, plus la mortalité augmente.

Si le rapport Grover appelle à une refonte du cadre international, il propose surtout des mesures qui peuvent être mises en œuvre immédiatement. Les experts ne s’aventurent pas à recommander le renoncement pur et simple de la prohibition des drogues. Chacun peut avoir ses convictions et cette mesure radicale n’est pas envisageable dans un avenir proche. Il en est de la politique des drogues comme des paradis fiscaux. Le changement de cadre proposé par les experts se limite à des mesures dont l’efficacité est prouvée en matière de protection de la santé mais, si modeste soit-il, ce changement ouvre de nouvelles perspectives. Un exemple, la lutte contre le trafic. Plutôt que de lutter contre le trafic lui-même qui conduit à un renforcement des organisations clandestines, la répression devrait privilégier les conséquences du trafic telles que la violence, le blanchiment et la corruption.

Ce changement de perspective est ignoré en France où le consensus sur la guerre à la drogue est plus large que jamais. La politique de tolérance zéro a été appliquée aux usagers, délinquants selon la loi, sans que personne ne proteste. L’immobilisme français sur la loi de 1970 a longtemps reposé sur la croyance qu’il y avait «une dépénalisation de fait», que l’interdit avait une fonction purement symbolique, et qu’il n’y avait pas d’usager en prison pour usage. Les statistiques montrent au contraire que la répression a été continue depuis 1970, avec deux fois plus de condamnations pénales de 2002 à 2008. Or, plus la répression progresse, plus elle s’impose à l’opinion comme une évidence. Les Français restent persuadés que la peur du gendarme est la seule protection efficace, mais ils sont également convaincus que la réponse médicale est la meilleure face à l’usage. Il appartient aux experts de santé publique de se faire entendre et aux médias de communiquer l’état du débat au niveau international.


Journée d’étude - Psychanalyse du travail : du symptôme au suicide
ALEPH et CP-ALEPH
ont le plaisir de vous convier à la journée d'étude
Psychanalyse du travail : du symptôme au suicide,
le 8 janvier 2011 (9h - 18 h)

Skema de Lille, avenue Willy Brandt, 59000, Lille, amphi A


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Billet de la rédaction
Décembre 2010

L’écrit décrit les cris

Des « mystères du corps parlant » (thème du dernier rendez-vous de l’Internationale des Forums) à « la parole et l’écrit », qui occupera les Journées nationales, nous pouvons dire que le thème de travail se poursuit, avec, en toile de fond, cette lalangue qui a déposé sur notre corps la trace des effets de jouissance liés à notre prise dans le langage.

Marguerite Duras l’évoquait en d’autres termes. « C’est ça l’écriture. C’est le train de l’écrit qui passe par votre corps. Le traverse. C’est de là qu’on part pour parler de ces émotions difficiles à dire, si étrangères et qui néanmoins, tout à coup s’emparent de vous (1). » Lacan, on s’en souvient, lui rendant hommage (2) en 1965, disait d’elle qu’elle s’avérait savoir sans lui ce qu’il enseignait.

Du cri du corps à la parole signifiante, le passage se fait par cette écriture préalable transmise par la voie/voix de l’Autre, laissant son inscription sur le corps du sujet ; cet Autre toujours là, convoqué derrière la solitude du manque-à-être de tout parlêtre, seul avec sa jouissance, avec son fantasme. C’est cette solitude si précieuse à Marguerite Duras qui lui permet d’écrire, en se soutenant de la voix d’un narrateur s’adressant au lecteur.

Certains écrits, qu’ils soient poétiques ou romanesques, se font le relais de ce dit indicible, touchant de trop près au réel, lorsque la parole ne peut s’énoncer. C’est ainsi que l’évoque Philippe Forest, « le roman répond à l’appel du réel tel que cet appel s’adresse à chacun dans l’expérience de l’“impossible”, dans le déchirement du désir et celui du deuil. Quelque chose arrive alors qui demande à être dit et ne peut l’être que dans la langue du roman car cette langue seule reste fidèle au vertige qui s’ouvre ainsi dans le tissu du sens (3) ».

De l’écrit à la lecture, la voix s’impose, qu’elle soit haute ou intérieure, la sienne ou celle de l’autre, dans un pas de deux ou à trois. C’est à ce thème qu’est consacré ce Mensuel. À votre tour donc, lecteurs, de prêter votre voix aux textes qui vont suivre pour leur donner en écho l’interprétation qui résonnera pour vous, et faire de ce numéro une lettre parvenue à destination.
M. O.

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Le Livres de la Psychanalyse

L’En-Je lacanien n°15 : Rencontre et répétition


Rédacteurs en chef : Michel Bousseyroux, Didier Castanet et Antonio Quinet

Parution : janvier 2010 – Editions Erès : prix : 25 €


La répétition est un concept fondamental de la psychanalyse que Lacan articule, pour la situer par rapport au réel, avec celui de tuché, comme rencontre manquée avec le réel. Qu'il s'agisse de la rencontre avec le réel du père, du sexe, ou de la mort, le névrosé ne rencontre le réel qu'en le ratant. Mais ce ratage peut être parfois occasion à ne pas manquer, kairos, pour se réveiller au réel.

Ont participé à ce numéro : Michel BOUSSEYROUX - Nicole BOUSSEYROUX - Didier CASTANET - Monique DESORMEAUX - Anne-marie DEVAUX - Xavier DOUMEN - Anne JOURDAIN -Marie-jose LATOUR - Serge LAZARO - Dominique MARIN - Progreso MARIN - Anne-marie MOUREY - Albert NGUYEN - Jacqueline PATOUET - Sophie ROLLAND MANAS - Colette SOLER - Pierre SOULAGES - Axel TUFFERY -


Les vocalises de la passion. Psychanalyse de l'opéra
Marie-France Castarde


« Le propre de l'opéra est d'offrir à l'inconscient de chaque auditeur un miroir [...] de ses fantasmes originaires : fantasmes de la naissance et de la mort, de la scène primitive, de la différence des sexes, de la séduction, de la castration. » Déjà auteur de La Voix et ses sortilèges (1987), la psychanalyste Marie-France Castarède évoque au fil de sa démonstration les liens très étroits qui unissent l'opéra - la musique, la voix, les thèmes dramatiques - et les manifestations de notre inconscient.

L'exemple le plus frappant et récurrent concerne la dramaturgie de la plupart des opéras : le désir et son interdiction, puis la transgression, et enfin le châtiment déculpabilisant. Cette construction suit celle de la situation oedipienne, lorsque l'enfant désire inconsciemment le parent de sexe opposé et devient le rival du parent de même sexe. Le thème même de l'opéra reste depuis sa création la passion, qui peut mener à la folie. Et dans l'opéra, tout peut et doit être tenté pour vivre sa passion, et ainsi restaurer le manque de la séparation de la mère et son enfant, « jusqu'à en mourir ».

Ce qui nous transporte dans l'opéra, n'est-ce pas au fond de voir les héros et les héroïnes vivre plus pleinement que tout un chacun leurs passions ? Passion amoureuse, qui ne peut se vivre sereinement, mais est au contraire vouée à une destinée tragique, à cause des obstacles impossibles à surmonter : écarts de milieux ou de conditions sociales (La Bohème, La Traviata), de religions (Norma), d'appartenances ethniques (Madame Butterfly ou Othello), de clans (Roméo et Juliette)... Passion du pouvoir, apanage essentiellement masculin alors que les grandes figures amoureuses sont principalement féminines.

Rapportés aux conceptions freudiennes sur le primat du phallus, le pouvoir ou la puissance sont les traits centraux de la masculinité dans les personnages de Macbeth ou de Boris Godounov (du Russe Modest Moussorgski). Une relecture originale et vivante des grands opéras mais aussi d'oeuvres moins connues du grand public, comme Peter Grimes (1945) de Benjamin Britten.
Gilles Marchand



 

mercredi 8 décembre 2010


Psychiatrie. Prolonger un internement dépendra du juge27 novembre 201027 novembre 2010

L'hospitalisation pour troubles mentaux d'une personne, décidée sans son consentement à la demande d'un tiers, ne pourra plus être prolongée au-delà de quinze jours sans l'intervention d'un juge.

62.155 patients sont actuellement hospitalisés sans leur consentement et à la demande d'un tiers en psychiatrie. La moitié de ces internements, environ 30.000, seront frappés d'illégalité, à compter du 1eraoût 2011. Tel en a décidé, hier, le Conseil constitutionnel. Pour la première fois, les Sages rendaient une décision concernant les droits et libertés des malades mentaux. Et pour la première fois, ils ont censuré un article du Code de la santé publique régissant le maintien de l'internement d'un patient à la demande d'un tiers qui ne prévoit pas l'intervention d'un juge. Jusqu'à présent, la loi permettait deux types d'hospitalisation sous contrainte: l'hospitalisation à la demande d'un tiers (famille, proche...) sur la base d'au moins un certificat médical, et l'hospitalisation d'office ordonnée par le préfet ou le maire en cas de péril imminent. A partir du 1eraoût 2011, un simple certificat médical ne suffira plus pour les cas d'internement sous contrainte à la demande d'un tiers. Après quinze jours d'hospitalisation, seul un juge sera apte à dire si un patient doit rester ou pas en psychiatrie.

Neuf mois pour adopter la loi

Le Conseil s'est basé sur l'article66 de la Constitution qui exige que toute privation de liberté soit placée sous le contrôle de l'autorité judiciaire, «gardienne de la liberté individuelle». Un principe déjà appliqué pour la garde à vue ou la rétention administrative des étrangers. Le Parlement a désormais neuf mois pour voter un texte mettant en œuvre cette décision du Conseil. Autre conséquence : le projet de réforme de la loi concernant les personnes faisant l'objet de soins psychiatriques, examiné en mai en conseil des ministres, qui devra également être adapté. Les sages du Palais-Royal avaient été saisis de ce sujet par une patiente.






 
Le juge, une contrainte constitutionnelle pour l’hospitalisation à la demande d’un tiers

Publié le 30/11/2010     
En vertu de la révision de la constitution de l’été 2009, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) peut être soulevée par tout citoyen à l’occasion d’une procédure judiciaire. Aussi, en septembre dernier, le Conseil constitutionnel a-t-il été invité à se pencher sur la loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux qui précise notamment les conditions de l’hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT).

Abrogation de l’article L 337 du Code de la Santé Publique

Sans tarder, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision ce vendredi 26 novembre. Elle abroge partiellement les dispositions de la loi de 1990. Si les sages ont considéré comme conformes à la constitution les dispositions concernant l’admission à l’hôpital, s’ils ne se sont pas prononcés sur l’hospitalisation d’office qui ne figurait pas dans le champ de la question renvoyée par le Conseil d’Etat, ils ont considérés comme contraires à la constitution (et notamment à son article 66) les modalités de maintien de l’HDT au-delà de quinze jours. Cet article 66 impose en effet que toute privation de liberté soit placée sous le contrôle de l’autorité judiciaire « gardienne de la liberté individuelle ». Or, la prolongation d’une HDT, qui relève d’une privation de liberté, semble s’opposer à ce principe. Aussi, le Conseil constitutionnel exige la suppression de l’article L 337 du Code de la Santé Publique qui dispose : « Dans les trois jours précédant l'expiration des quinze premiers jours de l'hospitalisation, le malade est examiné par un psychiatre de l'établissement d'accueil. Ce dernier établit un certificat médical circonstancié précisant notamment la nature et l'évolution des troubles et indiquant clairement si les conditions de l'hospitalisation sont ou non toujours réunies. Au vu de ce certificat, l'hospitalisation peut être maintenue pour une durée maximale d'un mois ». Pour le Conseil Constitutionnel, il est nécessaire pour garantir le droit des personnes hospitalisées qu’un juge intervienne.

Nouvelle loi avant août 2011

La décision du Conseil Constitutionnel impose au gouvernement de faire adopter d’ici le 1er août 2011 de nouvelles dispositions précisant les conditions de l’intervention du juge. Le Garde des Sceaux, les ministères de l’Intérieur et de la Santé ont confirmé qu’ils allaient s’engager dans ce sens. Une loi sur l’hospitalisation sous contrainte est de fait déjà en préparation.

Exception européenne

Cette position du Conseil Constitutionnel s’aligne sur celle du Commissaire européen aux droits de l’homme qui, dès 2006, après une visite en France avait considéré que « comme toute privation de liberté, l’hospitalisation d’office ou à la demande d’un tiers » ne devrait « être établie que par un juge et non par la seule autorité administrative » à l’exception de situation d’urgences pouvant justifier des décisions provisoires validées par les autorités administratives. A travers ce constat du Commissaire européen était rappelé que dans la plupart des pays européens la question de l’hospitalisation sous contrainte est confiée à un juge.

Un débat attendu de longue date

Ce changement majeur qu’impose le Conseil à la France a suscité des avis nuancés chez les professionnels de santé. Certains ont redouté que l’intervention du juge ne soit vécue par les malades comme une descente aux enfers supplémentaires. L’engorgement des tribunaux et l’absence de compétence des juges en la matière ont également été évoqués. Mais pour beaucoup, cette évolution est positive. « Introduire un arbitre dans la prise en charge est une bonne chose », estime ainsi un psychiatre hospitalier parisien cité par le Figaro. « Cela évitera certains abus et soulagera le médecin d'une lourde responsabilité », ajoute-t-il. De son côté, le Syndicat des psychiatres d’exercice public se félicite de voir enfin ouvert « le débat sur la judiciarisation des soins sans consentement (…) comme nous l’avions réclamé depuis longtemps ».


 La librairie Lipsy, la revue Le Coq-Héron, l'AIHP et les éditions érès
      
vous invitent à une rencontre à propos de

Histoire de la fondation des dispensaires psychanalytiques
             
Le Coq-Héron, 2010, n° 201       
                     
Nicolas Gougoulis (S.P.P.) et Michelle Moreau Ricaud (IVe Groupe OPLF ) animeront le débat,
avec parmi les auteurs présents, Marie-Claude Fusco, Dominique Arnoux,


le samedi 18 décembre 2010 à midi
                       
à la librairie Lipsy,
15 rue Monge 75005 Paris -
Tél. : 01 43 54 71 05
www.lipsy-lib.fr





Ars Industrialis

SOIN ET RELATION
14 rue Malte Brun, Paris 20°
Le samedi 15 janvier 2011 à 14 heures
entrée libre
avec Christian Fauré, Frédéric Worms, Bernard Stiegler

Le soin est au cœur de la nouvelle question économique et industrielle s’il est vrai que, comme l’indiquait l’un de nos séminaires, « économiser signifie prendre soin » http://www.arsindustrialis.org/seminaire-trouver-de-nouvelles-armes-de-p....

La séance précédente d’Ars Industrialis http://www.arsindustrialis.org/techniques-de-soi-enregistrements-des-deb..., préparée par l’atelier Techniques de soi http://www.arsindustrialis.org/atelier-des-techniques-de-soi, a montré qu’il n’est pas possible de questionner le soin – ce que l’on appelé aussi en anglais Care et en allemand die Sorge – en ignorant les pratiques et techniques de soi qui constituent les cultures et les civilisations, notamment celles de l’Antiquité, et qui forment l’horizon de la skholè et de l’otium.

C’est la technicité – et la facticité – de l’existence qui, comme situation d’ambivalence primordiale (celle que narre Hésiode dans la Théogonie quant au rapport des mortels au feu, ainsi que l’analysent Marcel Detienne et Jean-Pierre Vernant dans La cuisine du sacrifice, nef Gallimard 1979), impose de prendre soin (du feu et de ceux qui vivent dans le foyer). Il faut prendre soin, take care, parce que l’existence est « pharmacologique » : constituée par l’ambiguïté des pharmaka qui trament un monde et des relations entre ceux qui n’y vivent que dans cette mesure qui est une démesure (une violence).

Or, le développement contemporain – et fulgurant – des technologies relationnelles constitue un contexte absolument nouveau qui impose d’interroger explicitement la façon dont on peut et dont on doit aujourd’hui penser le rapport entre soin et relation, Donald Winnicott constituant sans doute ici une référence première – où l’objet transitionnel apparaît en outre comme le premier pharmakon.

C’est dans la suite de notre séance du mois de juin, consacrée aux techniques de soi, que nous accueillerons le 2 octobre 2010, à 14 heures, et au théâtre de la Colline, Frédéric Worms, auteur de "Le moment du soin", PUF 2010. La séance sera introduite par Christian Fauré, et conclue par Bernard Stiegler. Marc Crépon y participera comme discutant.

Ainsi préparerons nous la séance du 27 novembre 2010, qui sera elle-même consacrée aux technologies relationnelles, à l’écologie relationnelle et à l’économie relationnelle comme aspects majeurs de la question contemporaine du soin.


Ce qui fait que la vie vaut le peine d'être vécue

Nous vous informons de la sortie du dernier livre de Bernard Stiegler, Ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue - De la pharmacologie aux éd. Flammarion.

"Qu'on l'admette ou qu'on le dénie, chacun sent bien qu'à présent l'avenir de la vie terrestre se trouve mis en jeu dans une urgence inouïe. Et chacun sait que, depuis la séquence historique qui s'est engagée en 2007 et qui paraît avoir déclenché ce qu'on appellerait en physique nucléaire une réaction en chaîne, chaque pas compte et semble se surcharger systématiquement de conséquences très difficilement réversibles - sinon absolument irréversibles.

Cette crise est sans précédent d'abord en cela. Si krisis signifie bien et d'abord décision, elle est critique comme jamais : elle révèle que le destin humain - qui est un destin inéluctablement technique et technologique - est pharmacologique an sens où, en grec, le pharmakon est à la fois le remède et le poison.

Le pharmakon est à la fois ce qui permet de prendre soin et ce dont il faut prendre soin - au sens où il faut y faire attention : c'est une puissance curative dans la mesure et la démesure où c'est une puissance destructrice. Tel est aussi le feu dans la mythologie grecque. Devenu technologie industrielle, le pharmakon est de nos jours hégémoniquement contrôlé par l'économie, c'est à dire par le marketing, et c'est une calamité. Cet état de fait, qui a installé une économie de l'incurie génératrice d'une bêtise systémique, signifie que la question du soin - que l'on appelle aussi le care - est une affaire d'économie politique, et non seulement d'éthique.



« L'hôpital a franchi une étape »

Alain Debetz a quitté la direction du Centre hospitalier des Pyrénées, qu'il avait rejointe deux mois après le double meurtre d'une infirmière et d'une aide-soignante.

Alain Debetz, cadre supérieur de santé, dirige depuis hier deux hôpitaux, à Saintes et à Saint-Jean-d'Angély, et deux maisons de retraite de Charente-Maritime. Un nouveau directeur arrivera au CHP en avril-mai 2011, l'intérim de direction sera assuré par Christophe Gautier, directeur de l'hôpital François-Mitterrand de Pau.

Presque six ans après son arrivée, le 11 février 2005 - deux mois après le double meurtre des soignantes - Alain Debetz quitte un établissement en plein renouveau. Il y a une semaine, la veille de son départ, il inaugurait un hôpital de jour pour adolescents (« Sud Ouest » du 30 novembre).

« Sud Ouest ». Vous quittez l'établissement sur une inauguration, c'est plein de symboles ?

C'est un maillon supplémentaire dans une chaîne de réalisations qui n'a pas cessé depuis mon arrivée, qui s'est faite dans un contexte particulier. Il ne s'est pas passé une année sans un projet que nous n'aurions pu mener sans les collectivités et sans les équipes, c'est indéniable. Pour cela, il faut des gens qui participent et qui proposent. Or les projets proposés étaient toujours mesurés et calibrés.

Cela va continuer ?

Aujourd'hui, nous avons une feuille de route assez bien tracée jusqu'en février 2011. On sait ce qu'il reste à faire. Quand on est arrivé, la feuille était blanche.

Pourquoi ?

Avant le drame, l'hôpital était dans une grande difficulté. Le drame a tout bousculé. Quand je suis arrivé ici, il y avait un grand questionnement sur le sens et sur le devenir.

L'avenir était-il menacé ?

Non, mais sa mission, sa fonction, son assise même, oui. Les relations internes ont été reconstruites. J'ai pu bénéficier d'une excellente entente du corps médical, capable de faire des choix. Il y a un vrai dynamisme médical et les soignants sont de grande qualité. L'Agence régionale de santé considère le CHP comme un établissement tonique, notamment sur la prise en charge ambulatoire, les partenariats.

Le « drame » est-il oublié ?

On ne peut pas oublier, mais l'hôpital a franchi une étape. Nous approchons de la date anniversaire (1) et nous pensons aux victimes, à leur famille, on ne peut pas oublier, mais l'hôpital doit continuer et avancer.

Les annonces sur les mesures de sécurité ont-elles été suivies d'effet ?

Deux vigiles tournent 24 heures/24 dans des véhicules et interviennent sur chaque situation à la demande. Il y a en plus un vigile statique toute la nuit au poste de garde. La présence dans les pavillons a été renforcée. La nuit, nous avons l'effectif nécessaire pour assurer la sécurité des patients. Nous avons en plus une équipe d'intervention de nuit de trois personnes.

Si les réalisations sont un succès, les relations avec les organisations syndicales le sont moins ?

Il y a un vrai dialogue dans l'établissement. Le projet social a été signé en 2006 par l'ensemble des organisations syndicales. Tous les objectifs sont remplis. Certains sont à renforcer.

Les syndicats vous font donc un mauvais procès ?

Il y a, parfois, la volonté de donner l'illusion que tout va mal et de monter en exergue certaines situations. Ce n'est pas parce qu'on gesticule dans la rue qu'on ne s'assoit pas à la table des négociations. Il faut surtout être attentif aux gens qui proposent.

Êtes-vous confiant dans l'avenir de la psychiatrie en France ?

Il faut considérer la psychiatrie comme un domaine médical. Nous avons à traiter des patients, ce ne sont pas des personnes qu'on enferme. On ne s'évade pas d'un hôpital psychiatrique, on peut fuguer, mais la plupart des patients sont consentants. Il faut faire confiance aux professionnels qui sont sérieux, investis, mais je crois que la psychiatrie pourra se maintenir en alliance avec d'autres professionnels et des partenaires. Les alliances permettent de s'adapter et de faire en sorte que l'hôpital ne se referme pas sur lui-même. La période de l'asile est totalement révolue.

(1) Chantal Klimaszewski et Lucette Gariot ont été tuées dans la nuit du 17 au 18 décembre 2004 sur leur lieu de travail par Romain Dupuy.