Suicide, selon l’emploi
Publié le 21/05/2010
Toutes les catégories professionnelles ne sont pas égales devant le suicide. C’est ce qui ressort d’une étude conduite par des équipes de l’Unité mixte de recherche et de surveillance transport travail environnement* et de l’InVS, qui se sont attachées à décrire, en population active, via deux indicateurs, les tentatives de suicide (TS) au cours de la vie et la mortalité par suicide, selon l’emploi.
La description des TS s’est fondée sur les données du Baromètre Santé 2005 de l’INPES**, enquêtant tous les 5 ans, notamment sur les comportements, attitudes, prises de risque, et l’état de santé de la population vivant en France. La description de la mortalité par suicide avant 65 ans s’est appuyée sur les données du programme COSMOP (Cohorte pour la surveillance de la mortalité par profession) de l’InVS, issues des données de l’échantillon démographique permanent de l’INSEE** et de celles du Cépi-DC de l’INSERM** intéressant les causes médicales de décès.
La description des tentatives de suicide a porté sur 7 389 femmes et 6 264 hommes, actifs occupés, âgés de 18 ans et plus, résidant en France, celle de la mortalité par suicide avant 65 ans, sur 138 194 femmes et 187 938 hommes, nés en France métropolitaine après 1890, déclarés actifs occupés à au moins un des recensements de 1968, 1975, 1982, 1990, et les risques relatifs de décès par suicide ont été estimés selon la dernière catégorie socio-professionnelle ou le dernier secteur d’activité connus.
Tentatives de suicide : les femmes et les ouvriers
Dans la population étudiée (52,5 % d’hommes), où 80 % des sujets, actifs occupés, étaient, quel que soit le sexe, en CDI, la prévalence des TS vie entière déclarées était 2 fois plus forte chez les femmes que chez les hommes (6,9 % vs 3,1 % ; p < 0,001).
En population masculine, la prévalence des TS était plus élevée chez les hommes travaillant à temps partiel que chez ceux à temps plein (6 % vs 2,9 %), plus élevée encore chez ceux travaillant en intérim en comparaison des hommes travaillant en CDI (7,6 % vs 3,1 %).
Chez les salariés, un gradient social est observé : les ouvriers sont les plus touchés par les TS vie entière (3,9 % chez les hommes, 12,5 % chez les femmes), les exploitants agricoles (0,4 % des hommes, 4,1 % des femmes) et les cadres (2,2 % des hommes, 4,2 % des femmes) les moins atteints, l’association entre TS et groupe socio-professionnel n’étant significative que chez les femmes. Au sein des catégories professionnelles aussi, hommes et femmes différaient en terme de TS.
Mortalité par suicide : les hommes, les exploitants agricoles et les ouvriers
Chez les hommes, 1 114 décès par suicide ont été observés pour 3 534 883 personnes-années (taux de décès prématurés par suicide : 0,3 p. 1 000 personnes-années). Les chiffres correspondants, chez les femmes, étaient 268 décès prématurés par suicide pour 2 698 299 personnes-années (0,1 décès p. 1 000 personnes-années).
Les exploitants agricoles, qui étaient apparus les moins atteints par les TS vie entière étaient les plus touchés par les décès par suicide [RR = 3,1 IC à 95 % 2,3-4,2 chez les hommes et 2,2 (1,1-4,5) chez les femmes], en comparaison des cadres.
Chez les salariés, quel que soit le sexe, un gradient social de mortalité par suicide est là encore mis en évidence. Les cadres sont les moins atteints, les ouvriers les plus touchés (RR = 2,6 ; 2,0-3,4 pour les hommes et 1,9 ; 1,0-3,7 pour les femmes), les différences n’atteignant pas la significativité statistique chez les femmes, probablement, selon les auteurs, en raison du faible nombre de décès.
De l’analyse selon le secteur d’activité il ressort, chez les hommes, en comparaison des secteurs non marchands, une surmortalité par suicide significative dans les secteurs de l’agriculture, sylviculture et pêche, des industries agricoles et alimentaires et celles des industries des biens intermédiaires. Chez les femmes, pour cette même comparaison, la surmortalité significative par suicide concerne le secteur des biens d’équipement, puis le secteur agricole.
Les modalités de suicide différaient elles aussi selon le sexe : le suicide par ingestion de substances était plus souvent le fait des femmes, le suicide par pendaison (plus fréquent chez les exploitants agricole), armes à feu (chez les hommes de toutes catégories socio-professionnelles) ou noyade, plus le fait des hommes.
Cette étude, fondée sur des données existantes attire l’attention sur les inégalités devant le suicide et la mortalité par suicide en lien avec l’emploi ; elle appelle l’examen d’autres sources de données et la prise en considération de ses résultats. C Cohidon et coll. notent en outre : « Plus généralement, le déterminant « travail » devrait être pleinement pris en compte dans les plans de prévention proposés par les pouvoirs publics. »
* INRETS (Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité), Université Lyon 1, InVS (Institut de veille sanitaire)
** Cépi-DC : Centre d'épidémiologie sur les causes médicales de décès ; INPES : Institut national de prévention et d’éducation pour la santé ; INSEE : Institut national de la statistique et des études
économiques ; INSERM : Institut national de la santé et de la recherche médicale.
Dr Claudine Goldgewicht
Cohidon C et coll. Suicide et activité professionnelle en France. Rev Epidemiol Santé Publique 2010 ; 58 : 139-50.