Cie Influenscènes
Théâtre du Lierre, Paris
http://www.letheatredulierre.com/commande/
Publié par Laurent Schteiner dans Théâtre le 11 jan 2010
Le souffle de l'histoire
Alain Didier-Weill, médecin psychiatre et membre de l’École freudienne de Paris, a écrit pour le théâtre la rencontre imaginaire entre Adolf Hitler et Sigmund Freud à Vienne en 1913. C’est avec talent que Jean-Luc Paliès a mis en scène cette fresque qui retrace cette époque trouble d’avant guerre au théâtre du Lierre.
Un jeune homme vit pauvrement au cœur de la capitale austro-hongroise où il étudie le dessin à l’école des Beaux Arts de Vienne. Fêtant son vingtième anniversaire, Adolf fait la connaissance d’un héritier de l’aristocratie viennoise, prénommé Hugo. Celui-ci, foncièrement antisémite, se lie d’amitié avec Adolf. Hugo est confié par sa famille aux bons soins du professeur Freud afin de résoudre la pathologie qui le ronge. La rencontre de ces deux jeunes gens va sceller leurs futurs destins. De 1909 à 1913, Adolf, assailli par ses névroses grandissantes, va créer sa propre doctrine antisémite qui le conduira à quitter Vienne et devenir le monstre abject que le monde reconnaitra vingt ans plus tard. Toute la société viennoise défile sous nos yeux de Gustav Jung à Gustav Klimt. Des salons aristocrates aux asiles de sans-abri et aux réunions politiques, nous fréquentons ces lieux où Adolf se forge sa personnalité où sa folie grandit en même temps que ses accès colériques.
crédit photo Patrick Lauret
La Vienne de 1913 sous nos yeux
Jean-Luc Paliès a conçu une mise en scène très originale et très riche qui maintient le spectateur en haleine tout au long de la pièce. En effet, sa mise en scène tient d’une mise en place spatiale où les comédiens prennent place derrière des pupitres. Réunis, au sein d’un chœur d’orchestre imaginaire, les comédiens vont incarner pas moins de vingt-cinq personnages. La présence d’une narratrice, côté cour, intervient pour replacer les dates, les époques, les lieux et les événements. Ce qui permet au public de ressentir toute cette atmosphère de la Vienne de l’époque. Un musicien sur verre assure une musique originale qui permet de jouer sur diverses tonalités des plus légères aux plus inquiétantes. Deux chanteuses lyriques complètent le tableau en fond de scène par des morceaux choisis. Jean-Luc Paliès a réussi le tour de force de véhiculer en une heure quarante les mouvements d’idées et artistiques, les milieux sociaux, et les peurs de cette société viennoise. Outre les pupitres, la présence d’un banc servant tour à tour d’asile pour Adolf ou d’exutoire à sa propre folie, donne ce caractère si particulier à cette scénographie.
crédit photo Patrick Lauret
Une interprétation jubilatoire
La force de cette pièce réside notamment sur l’interprétation brillante de ces artistes. Certains interprètes se détachent grâce à leur implication magnifique dans leur personnage, tel le trio composé de Jean-Luc Paliès (Freud), Miguel-Ange Sarmiento (Adolf Hitler) et Philippe Beheydt (Hugo). Le jeu sobre des comédiens donne une puissance à un texte très bien écrit renforçant d’autant le sujet. Le public est saisi d’effroi lorsqu’Adolf décide de partir pour l’Allemagne en laissant les spectateurs médusés après une énième colère marquée par le coup d’un gendarme frappé au sol. Et c’est avec une musique lancinante et inquiétante que le public se retrouve plongé dans le noir. Si la richesse du théâtre se nourrit de la Création, celle-ci s’appelait, samedi dernier, Vienne 1913 !
Auteur : Alain Didier-Weill
Artistes : Miguel-Ange Sarmiento, Philippe Beheydt, Jean-Luc Paliès, Bagheera Poulin, Stéphanie Boré ou Isabelle Starkier, Katia Dimitrova ou Claudine Fiévet, Alain Guillo - Mezzos|Sopranos (en alternance) Magali Paliès, Estelle Boin, Séverine Étienne, Maquaire Geneviève Bottau - Musique sur verre : Jean-Claude Chapuis
Metteur en scène : Jean-Luc Paliès