L'amour ardente de liberté
13 Novembre 2009
Par Antonella Santacroce
Edition : Contes de la folie ordinaire
« Sur la terre torturée un appel immémorial reste suspendu entre terre et ciel. Nous percevons quelque chose de son oscillation, mais lui ne parvient pas à se faire entendre distinctement par nous [...] Cet appel et d'autres appels qui lui font écho nous semblent vagues, confus, diffus. Ils se caractérisent pourtant par une indomptable rigueur. »
(Kostas Axelos)
C'est un sentiment de nature éthique qui me pousse à tracer les lignes qui vont suivre, car moi aussi, par le passé, j'ai « sombré dans la folie », comme l'on dit. Et pas que ça.
Moi aussi j'ai été hospitalisée contre ma volonté, et je me suis refusée d'une façon têtue aux « soins », m'obstinant (oui) à ne pas vouloir avaler ces médicaments qu'on me proposait. Moi aussi, je me suis violemment révoltée, et j'ai voulu m'enfuir –dans un état d'extrême souffrance et, en même temps, d'insoutenable panique. Et je me suis enfuie, et à plusieurs reprises, de ces lieux où je me sentais enfermée, et où l'on entendait résonner l'écho d'horribles trousseaux de clefs sécuritaires, les réalisant, ces fuites, avec une astuce et une adresse qui me stupéfient encore aujourd'hui, lorsque j'y songe, et qui m'étaient dictées par le désespoir. M'enfouir, oui, hors, loin de toutes ces enceintes, de tous ces grillages, ce qui m'aurait à coup sûr valu, à présent, par la force de ces nouvelles lois, une hospitalisation d'office décrétée par le Préfet, l'inscription dans un fichier, l'isolement, sans doute, et j'en passe...
Et pourtant... Pourtant le premier « délire » que j'abritai dans le creux de mon cœur, au beau milieu de ma première jeunesse, ne fut (comme le dirait Nerval) qu'un « rêve » rêvé les yeux grand ouverts, baignant tout entier dans une « douceur » aux couleurs à jamais ludiques et enfantines, et incessamment escorté et nourri d'une multitude de songes –assurément donquichottesques–, tout comme de vivantes présences littéraires. Une sorte de « quête d'amour », qui fit culbuter de fond en comble, le renversant d'un ironique revers de la main, le vif sentiment d'injustice ressenti par le dramatique choc dont j'avais été l'objet, ainsi que par l'insoutenable hypocrisie catholique qui m'entourait, et le manque de liberté cuisant, qui étaient le lot des jeunes filles, et des femmes, qui vivaient alors dans le Sud de l'Italie.
Néanmoins, j'estime que je cheminai à la rencontre de la « folie » également à cause de mon extrême solitude existentielle, de la haute idée que je me faisais de la parole écrite, et d'une également extrême naïveté, éprise d'absolu. Car la folie est tissée également de cela : du refus des valeurs (des non-valeurs?) qui vous côtoient, et qu'on voudrait vous imposer, mais que vous –sciemment ou inconsciemment– n'acceptez pas d'endosser, vous révoltant. Et lorsque l'on dit « délire » –à mes yeux d'aujourd'hui– l'on dit souvent et de même « tentative éperdue d'ouverture au monde et à la vie », à savoir, tentative désespérée d' « auto-guérison ».
Je luttai de toutes mes forces, pour tenter de garder ma « raison », pour tenter d'échapper douloureusement à sa déperdition, que je sentais approcher doucement, et à pas de loups, de moi, de ma psyché et qui, à mes yeux d'alors (et pas qu'aux miens) apparaissait (se montrait?) sous les traits hideux d'une chute impardonnable dans les abîmes méprisables et honteux de la Déraison.
Ce dur « combat » se déroula en moi, jusqu'au jour où, s'ouvrant grand enfin dans mon cœur, un passage que je dirais lumineux (il n'y a pas d'autres paroles pour le définir), de la plaie vivante qu'on m'avait infligée, jaillit une perception, et même une vision du réel (fantasque et dérisoire au regard d'autrui), mais comblée d'imaginaire (à mon propre regard), et qui me poussa à tout abandonner derrière moi, afin de la poursuivre, ma quête.
C'est ainsi que, d'un pas heureux et décidé, je partis dans l'errance, à l'aventure, cheminant inlassablement par rues, ruelles et places de cette ville où j'habitais à l'époque, et que je haïssais par son provincialisme petit-bourgeois, croyant déceler et (surtout !) reconnaître, les « signes mystérieux » qui ne pouvaient ne pas me conduire au lieu –gardé secret comme dans un jeu d'enfants– où se tenait l'objet de ma passion, afin de se soustraire à nos communs ennemis : les fascistes. En quête de la vie donc, car, la vie, je l'ai toujours vivement aimée.
Or, dans ce « délire » qui me conduisait (qui me guidait?), dans mon délire, plus exactement encore dans cette vision autre d'êtres et de choses qui surgit en moi à ce moment, je croyais fermement que, afin de redresser les graves injustices ainsi que les blessures, les incompréhensions que j'endurais au quotidien, en tant que femme, afin de remettre événements et valeurs éthiques à la place qui leurs revenait de droit, mes Amis Antifascistes « masqués » sous d'autres traits (et qu'il fallait donc « déceler », pour ne pas tomber dans les troublantes pièges ourdies par nos communs Ennemis), m'aideraient à apercevoir la route qu'il fallait suivre, pour persister dans le droit chemin d'une haute Ethique. Tout comme pour pouvoir changer de fond en comble la société, la vie, sur la planète entière. Cela, précisément grâce à cette formidable aventure qui nous guidait, nous engageant tous.
Je sais bien que tout ça (cette histoire d'Amis et d'Ennemis à majuscule, j'entends), peut résonner comme du « déjà su », les « phantasmes » propres aux délires, décrits dans les volumineux ouvrages du Savoir médical, ne se différenciant pas trop entre eux.
Mais si je me suis douloureusement attelée à conter ce qui fut à la base, aux fondements même de ma « folie » (je préfère l'appeler ainsi), c'est parce que j'entends les exprimer, et je les exprime en tant que Sujet. En tant que Sujet –premier et véritable– de ces fondements, qui sont (comme l'ont dit tant de poètes et de savants, et comme l'ont exprimés, dans leurs œuvres déchirantes, tant de musiciens), si proches du « rêve », et, par conséquent, aussi du « cauchemar ».
Or, ce « songe » qui avait éclos dans mon cœur, bien que nourri d'une véritableinnocence, aurait pu me traîner –à l'époque, et dans les lieux où il se déroula– vers une réalité bien plus tragique, si je n'avais pas été aidée. Car, dans ces années-là, empiraient encore –en Italie– les articles de loi du Code Pénal dit Rocco (revu sous Mussolini dans les années 30), et qui imposaient –si on vous découvrait à errer délirant dans les rues– une hospitalisation d'office, effectuée par la police, c'est-à-dire un « placement » (comme l'on dit encore de nos jours) dans l'un de ces hôpitaux publics dont l'horreur nous a été dévoilée par Basaglia, pour vous y emmurer à vie.
De plus, vous jugeant assez aisément –dans ces années-là– absolument « inapte à entendre et à vouloir », et (par conséquence?) « dangereux pour [vous]-même, et pour les autres », on pouvait également vous retirer tous droits civiques, ou –dans certains cas– vous obliger à apposer l'empreinte de votre pouce ou de votre index (je ne sais plus), sur vos papiers, ce qui était le signe distinctif de votre folie, ou de votre criminalité.
Tout cela, essentiellement à cause de ce crime de Lèse Rationalité, que vous aviez osé commettre, et afin que vous soyez marqué à tout jamais et d'une manière indélébile, de la faute (du « péché »?) d'avoir fait chuter –par votre inconcevable état– dans les dérisoires abîmes de la déchéance, la Supériorité d'une Raison signifiant la descendance divine des humains, et leur existentielle « différence » d'avec les autres vivants sur la planète.
Je pus échapper à ces horreurs parce que, à la périphérie des grandes villes italiennes, se dressaient d'élégants bâtiments, appelés « villas », et qui étaient des cliniques privées censées « soigner » le fou. Cela à des prix exorbitants, jouant la carte du chantage et du désespoir auprès de familles qui, même si elles n'étaient pas très aisées, voulaient garder une lueur d'espoir à leur enfant malheureux.
La clinique où je fus amenée, et qui s'érigeait sur un terrain vague de Rome, était tout entourée de barbelés. Lorsqu'on m'y conduisit, je ne savais pas qu'il s'agissait d'une clinique psychiatrique, ni que les réponses aux questions qu'on me posait, servaient à établir un diagnostic sur mon « cas », comme l'on dit encore de nos jours. C'est pourquoi, au médecin qui m'interrogea en premier, et que je croyais être le traducteur italien de mes bien-aimés « Quatre Quartets » de T.S. Eliot, étant son homonyme, je répondis en toute sincérité, qu'assurément il s'agissait d'une clinique « nazie ».
Je me souviens que –lorsque je prononçai ce mot–, le médecin appuya vite sur une sonnette, la porte s'ouvrit toute grande, et un homme gros et en blouse blanche se précipita à l'intérieur. Je saisis illico le danger qui me guettait et, échappant à la blouse blanche, je me mis à courir hors d'haleine au-delà, hors, de la grille, par une route en pente.
Naturellement, je fus rattrapée, reconduite en clinique, où l'on me fit de force –en s'y mettant à trois– une piqûre. Puis, l'un d'entre eux me prit sur son épaule, et il me descendit –au-delà d'une petite porte dérobée– dans un sous-sol aménagé, qu'on n'aurait jamais soupçonné se nicher dans cette Villa, à l'apparence si paisible, et même accueillante ! Je compris vite que je devais faire semblant de dormir. On m'allongea sur un lit, et tout le monde partit.
Mais lorsque j'entendis la porte se refermer sur leurs pas, j'ouvris les yeux, et vis à côté de mon lit, un autre lit, avec une femme allongée, et, en haut du mur, à droite, une petite fenêtre. Je sautai du lit, montai sur la chaise, ouvris la fenêtre, et regardai dehors. En bas, il y avait une sorte de couloir creusé tout autour des fondements de l'immeuble, et en haut, des barreaux horizontaux, qui empêchaient toute possibilité de fuite.
La soif de liberté et le fait que je me croyais parmi des « nazis », m'amenèrent tout de suite à la conviction qu'il fallait que je me hâte, moi aussi, d'entrer en Résistance. (Mon père –antifasciste– fut recherché par les nazis pour être pendu, et la personne que j'aimais, fut –dans sa première jeunesse– un résistant.) Ce sentiment, cette certitude s'emparant subitement de moi et de mon vouloir, je m'agrippai à ces barreaux, et réussis à me laisser glisser jusqu'en bas, sur le sol du couloir. Mais la personne qui était dans la chambre s'étant mise à crier que je m'enfuyais, au coin du corridor, je me retrouvais face à face de nouveau avec les « blouses blanches », qui m'empoignant violemment, me remontèrent en haut, et m'ayant fait une nouvelle piqûre, me ligotèrent au lit avec des bandes en tissu. Le matin suivant (la folie étant jugée comme quelque chose de « sale »), en ces années encore si prudes –tout au moins dans les Sud de l'Italie– deux infirmiers (deux hommes) me déshabillèrent de force, et également de force, me passèrent sous la douche. Je me débattis violemment, mais vainement.
Au cours de ce « séjour », je fus battue, jetée par terre, frappée à coups de pieds, ligotée... On persistait à me ligoter, même si j'avais découvert qu'à l'aide d'une épingle à cheveux de mon chignon, je pouvais défaire, point par point, la couture de ces bandes en tissu, et –toujours à l'aide de cette épingle à cheveux– j'allais « libérer » aussi les autres « prisonniers » du sous-sol. Une fois, Sara me frappa avec sa bande. Je lui dis (je m'en souviens): « Ce n'est pas grave. Pourvu que tu sois libre. » On ne me laissait monter dans le luxueux rez-de-chaussée, que lorsque j'avais des visites.
Je fis d'autres, nombreuses tentatives de fuite. Une fois je réussis même à enjamber les barbelés, à rejoindre la route, et –sous un soleil accablant– à trouver un arrêt de bus. Une femme du lieu régla mon ticket, et je pus ainsi rejoindre la Stazione Termini, d'où je voulais partir pour me réfugier dans ma bien-aimée, paisible Assise. Mais on me rattrapa. Je ne saurais vraiment pas dire, à présent, comment je réussis à faire tout cela. C'était comme si –dans cette lutte acharnée que je menais pour défendre ma liberté et ma dignité–, je découvrais en moi mille ressources insoupçonnables, insoupçonnées.
Après trois mois (je crois), on me sortit de là, les médecins affirmant qu'on ne pouvait plus rien pour moi. Cette clinique s'appelait « Villa Elisabetta ».
C'est alors que –en désespoir de cause– on voulut m'amener en France, à la Clinique de La Borde où, pour y être admis, il fallait le consentement du « fou », que là-bas on appelait (et l'on appelle) le « pensionnaire ». On me parla alors –avec beaucoup d'adresse– d'un lieu très, très beau. Tout plein d'arbres et de verdure. Je fus illico tout à fait conquise.
Ainsi, lorsqu'on débarqua en Sologne, et que je vis le Château, parmi des arbres qui me parurent immenses, avec une immense pelouse qui s'étendait devant lui, et où se dressait une assez vaste volière pleine d'oiseaux, abritant même des paons qui marchaient gravement, lançant de temps à autre leur aussi étrange cri guttural, je n'arrivais pas à croire à mes yeux, et j'en fus éblouie –tout en cherchant de le cacher le plus possible à ceux qui m'entouraient, par crainte que les « Ennemis » puissent nous « écouter », nous « découvrir ». Toutefois, je voulus faire un long, très long tour dans la forêt, car je voulais vérifier, de visu, si réellement cet Eden n'avait pas de murs, tout autour de lui. On eut beau marcher. Les arbres succédaient aux arbres. Aucun danger ! Aucun mur !
La seule condition que j'avais posée, lorsqu'on était parti d'Italie, était que là-bas, dans ce lieu plein d'arbres, en France, dans ce pays où ma grand-mère (de mère française) m'avait conté qu'il y avait des cliniques pour les poupons cassés par les petites-filles, j'aurais une chambre pour moi toute seule. Or, lorsqu'on me fit visiter la chambre qu'on m'avait adjugée, je vis qu'il y avait un deuxième lit, et que des vêtements de jeune fille étaient accrochés dans l'armoire.
C'est pourquoi, après que les miens partirent et que je restai seule, je décidai de m'en aller, pour chercher une grange où passer la nuit. Et je me mis donc en marche, laissant derrière moi le grand cèdre centenaire, et la chapelle. J'avais déjà marché pas mal en pleins champs, quand j'entendis résonner, de la route, le klaxon d'une voiture, et une jeune voix rauque m'appeler par mon prénom, me demandant si je voulais faire un tour en voiture. Je ne me fis pas prier, et m'empressai de me tourner vers la voiture qui m'attendait sur la route. Plus tard je saurai que cette jeune personne était un psychiatre de la clinique. Et quand –de plus– le lendemain on me demanda si je voulais aller faire quelques courses en ville, je fus absolument comblée. Satisfaite, même. Et il ne fut plus question ni de révoltes, ni de fuites.
À La Borde, mon emploi du temps était riche, et ma journée remplie d'activités, dont j'avais depuis toujours rêvé, comme apprendre à jouer du piano, ou chanter dans une chorale. Il faut que j'avoue peut-être, également, que j'étais si heureuse, aussi parce que –au début, tout au moins– je crus que c'était un château où l'intelligentsia française de gauche s'était donnée rendez-vous, pour m'épauler. (Je conversai –émue– avec Jean-Paul Sartre, mais aussi avec Jean-Louis Barrault.)
Mon réveil à la vie, à ce qu'on appelle le soi-disant « réel » de la vie, se fit quasi à l'improviste, un jour que j'étais seule, à la serre. « Mais celle-ci est une clinique psychiatrique ! » je me dis, et j'éclatai en larmes de désespoir. Inutile de conter combien la suite fut difficile et dure.
Tout cela est désormais éloigné. Très éloigné dans le temps. Mais pas perdu, dans mon coeur. Néanmoins, il faut préciser que je connus d'autres hospitalisations, au cours de ma vie, en d'autres lieux, ou de nouveau à La Borde. Plus cruelles, ces hospitalisations. Tout à fait comme plus cruels furent les délires qui les accompagnèrent, le temps s'écoulant, l'âge avançant. Car lorsqu'on a découvert la petite porte qui conduit de l'autre côté du miroir, on l'emprunte (on apprend à l'emprunter ?) dès qu'une difficulté trop douloureuse, trop féroce à supporter, se profile à l'horizon.
Tout ce que je viens de raconter semble tellement lointain, tellement éloigné dans le cours du temps, que cela a l'air d'un conte de fée, avec ses forces maléfiques ou bénéfiques. Je voudrais simplement ajouter que –par le passé– moi aussi j'entendis des voix, et que je suivis leurs suggestions et les avis qu'elles me donnaient, même si elles ne m'ont pas conduite à des situations aussi tragiques que celles dont aiment tant nous abreuver certains médias. Ces mêmes médias qui, souvent –dans leurs émissions réclamant un audimat élevé– ne font que dicter modes et modèles auxquels il faut se confronter, déchaînant l'envie, et presque le devoir de s'y frotter. D'une manière telle que des sortes de chaînes mimétiques du comportement s'instaurent, s'agençant strictement entre elles, bouleversant tous et tout. Ecrasant toute valeur réellement humaine, à leur passage. Toute parole.
Lorsque je me tourne en arrière, vers le temps passé, et que je regarde derrière moi, les épisodes « fous » de mon existence, par moments si dramatique, je m'aperçois et j'y lis, que toute chose avait sa propre (si erronée ?) signification, son sens caché, dans l'Univers où j'étais pénétrée par un trop de désespoir. Car le langage irrationnel, le langage déraisonnant, parlent des vérités qu'on ne voudrait pas entendre, et posent devant l'autre un miroir de souffrance - souffrant jusqu'au grotesque- que beaucoup ne voudraient ni voir, ni écouter.
Et pourtant... Combien de ceux qui ne sont jamais passés de l'autre côté du miroir ou, mieux encore, combien de ceux qui n'ont jamais été « diagnostiqués » comme étant des « malades mentaux », et qui se croient, pour ainsi dire, à l'abri, parce que Autres, absolument Autres que « ceux-là », auraient intérêt à se mettre à l'écoute du tréfonds de leur cœur ! De leur psyché !
D'ailleurs, souvent (trop souvent !) le « patient » lui-même, celui qui pâtit, qui souffre, qui est immergé jusqu'au cou dans le monde de la psychiatrie, oublie, ou ne veut pas (ne veut plus ?), surtout dans la société actuelle, « prendre sur soi », comme l'on dit si justement dans la langue française. C'est-à-dire, apprendre (ré-apprendre ?) petit à petit, à l'aide et à l'écoute - dans un premier temps- d'une parole consciencieuse et modeste, sensible jusqu'à l'excès, une parole que, à l'heure actuelle, on voudrait par la force de lois glaciales et non pertinentes, bannir des hôpitaux, ou faire taire, ou dont on voudrait délimiter les compétences - réapprendre donc à faire face à ses propres maux, à ses propres souffrances ( mais aussi à ses joies, imprévues !), pour tenter de les vivre à nouveau, et au milieu de la société. Cela, tout en sachant que la plupart des humains qui fondent cette même société - souvent - refuseront sa parole, à cause de son passé, sur lequel s'inscrit trop souvent, et à jamais, le mot d'« inguérissable ».
Apprendre, réapprendre (s'y exerçant quotidiennement) à marcher -seul-, vers un chemin d'une majeure liberté, mais aussi d'une majeure autonomie. Vers son propre chemin. Car -à mes yeux- le « fou » est une sorte de « voyageur de l'âme », mais un voyageur de l'âme, « entravé » de l'intérieur. Qu'en sera-t-il alors, de lui, lorsqu'il le sera aussi de l'extérieur ?
* Il paraît qu’en français (tout comme en italien) il faudrait employer le mot « amour » au masculin, tout au moins lorsqu’il est exprimé au singulier. Je préfère l’employer au féminin, parce qu’il me paraît plus riche, mieux répondant, et plus chaud, pour ainsi dire.
Cet article est paru dans la revue Chimères n°70.