Dans son bureau blanc lumineux du XIXe à Paris, l’univers à trois cordes de Pascal Quignard se voit d’entrée : une importante bibliothèque, un piano et des partitions, des dessins sur les murs. Encore que certains soient partis le temps de l’exposition Pascal Quignard, fragments d’une écriture à la Bibliothèque nationale de France prévue jusqu’au 29 novembre. L’écrivain a donné de son vivant ses archives à l’institution. Un legs a priori paradoxal. Seul la totalité de Boutès (2008), sous vitrine au milieu de la salle, a réchappé au feu grâce à Irène Fenoglio, spécialiste en génétique (1). Les enveloppes qui contenaient ses autres manuscrits et des feuillets rescapés, affichés sur les murs, ont un côté pictural et charnel : le texte est rehaussé d’aquarelles colorées ou de peintures plus sombres. Sur le geste de l’abandon, dirigé par Mireille Calle-Gruber, montre bien ces variations langagières et imagières de l’œuvre. Lui ne se revendique ni peintre, ni musicien, ni philosophe. Son existence a été remplie de lecture et d’écriture. Son grand œuvre, «Dernier Royaume», ouvert en 2002 avec les Ombres errantes (prix Goncourt), se poursuit avec ce onzième tome, l’Homme aux trois lettres, périphrase pour désigner le voleur, fur en latin. Ecrire, c’est d’abord dérober, dit l’auteur de l’essai formé de récits courts, d’éclats autobiographiques, de citations de lectures, de formules contemplatives, dans un parcours erratique, poétique et onirique. Entretien.
Pourquoi mêler littérature et vol ?
Dans les Petits traités, j’avais trouvé une formule créée par Montaigne, qui dit que dans un traité, il faut deux thèmes. De même là, lorsqu’il y a la littérature, il y a aussi le vol. Un mouvement et un autre, ça les enrichit. Dès que j’ai l’ensemble de ces deux mouvements, tout le reste tombe et tout ce que j’ai lu se regroupe un petit peu comme de la limaille autour d’un morceau d’aimant.
«J’aime les livres», commencez-vous. Etiez-vous un grand lecteur déjà très jeune ?
La façon de pouvoir être seul dans une famille nombreuse lettrée, c’est de lire ou même de faire semblant de lire. C’était vital pour moi. Je crois que c’est vrai de beaucoup de vrais lecteurs.
«Je pense que je n’aurais pas survécu s’il ne s’était pas trouvé des livres pour tromper le désespoir.» C’est une autre raison ?
Sans Schubert par exemple, je crois qu’on peut mourir. Il y a des musiques qui permettent de vivre, qui empêche d’avoir envie de mourir. Même chose pour la littérature. Les Hauts de Hurlevent a dû faire du bien à des tas de gens.