Publié le 02/09/2023
Dans cette tribune, le psychiatre Alain Cohen, dont les lecteurs du JIM connaissent bien les contributions, en multipliant les références toujours pertinentes à la littérature (de science-fiction bien sûr), à l’histoire et à la philosophie nous invite à aller bien plus loin que les habituelles digressions sur l’intelligence artificielle en médecine (et en psychiatrie notamment). Car on n’y évoquera pas les limites de l’intelligence artificielle ou les peurs qu’elle provoque, mais on découvrira comment cette innovation éclaire d’un jour singulièrement nouveau la question centrale de Dieu (entre autres) … A ne remplacer par une autre lecture sous aucun prétexte.
Par le Dr Alain Cohen
« Quelque chose est passé dans le réel, et nous sommes à nous demander –peut-être pas très longtemps, mais des esprits non négligeables le font– si nous avons une machine qui pense. » (Jacques Lacan, conférence du 22 juin 1955, Psychanalyse et cybernétique ou de la nature du langage)
« Sous l’impulsion de l’IA, un grand nombre de gens ont soulevé d’intéressantes questions concernant le langage, la lecture et la compréhension […]. En tentant de reproduire nos processus de pensée en machine, nous en apprenons sans cesse davantage sur ce que signifie ‘‘être humain’’. Au lieu de nous déshumaniser, ces recherches nous ont contraints à prendre conscience des qualités et des facultés humaines. » Roger Schank, The cognitive computer : on language, learning, and artificial intelligence, 1985, cité in D. Crevier, À la recherche de l'intelligence artificielle, trad. N. Bucsek, Flammarion, 1999.
« Quand vous lirez ceci, le chatbot d’intelligence artificielle GPT-4 aura pris le contrôle éditorial du British Journal of Psychiatry et produira régulièrement de meilleures colonnes mensuelles que celle-ci »[1] : par cette introduction provocatrice, le psychiatre britannique Derek K Tracy nous invite à réfléchir sur les bouleversements que ne vont pas manquer d’apporter les applications ubiquitaires des systèmes d’intelligence artificielle (IA) dans toutes les professions, et en particulier dans notre propre discipline. En paraphrasant l’opinion de Louis Aragon sur « l’avenir de l’homme », on doit donc s’interroger sur le rôle croissant des technologies d’IA dans nos activités humaines. Gains de productivité, synonyme de chômage dans des métiers (col blancs, cadres, professions libérales) jusque-là plutôt épargnés par le déferlement des machines et des ordinateurs ? Disruption ? Ou même grand remplacement de l’homme au travail par l’IA ?...