LE MONDE |
Par Jacques Mandelbaum
Certains films ont, plus que d'autres, capacité à faire image. Il n'est pas facile, même pour un critique de cinéma, de dire exactement pourquoi. Sans doute s'agit-il d'une manière de sentir les choses, de poser le doigt sur un problème, et de les restituer, surtout, avec la justesse, l'émotion, la persuasion voulues. Ces films, fictions ou documentaires, sont comme des photographies qui suspendent, à un moment donné, le mouvement perpétuel des choses, et nous demandent, instamment, de regarder la raison qui les fait exister.
Le problème, avec ce beau documentaire de Jean-Pierre Duret et Andrea Santana, c'est qu'il nous demande de regarder une certaine photo de la France, une de celles qu'on met généralement à la fin de l'album, parce qu'elles dévoilent une réalité que l'on n'expose pas volontiers. Ce qu'ont su capter ici les réalisateurs ne tolère plus, pourtant, d'être caché, nié, déformé, instrumentalisé. C'est le fait que dans notre pays, environ 13 millions de personnes vivent aujourd'hui dans la précarité. Sans doute vous direz-vous que des documentaires de ce type, vous en avez vu des dizaines.
Ce n'est pourtant pas le cas, ni dans le fond ni dans la forme. Le fond, parce que la catégorie de personnes à laquelle s'intéresse ce film n'est pas celle des exclus qui ont déjà basculé de l'autre côté du miroir social mais celle de gens qui se tiennent encore à la lisière, dans cet inframonde qui réunit les travailleurs pauvres aux chômeurs. La forme, parce que le ton de ce film est tout à fait inaccoutumé, qui choisit de montrer, plutôt que le spectacle de la déchéance, le réseau de solidarité, de générosité et de courage qui permet à ces naufragés de la vie de tenir encore bon.