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samedi 28 janvier 2012


NATUREL – Les champignons hallucinogènes, remèdes contre la dépression ?

Des scientifiques l'affirment : la psilocybine, la substance active des "champignons magiques" ou "champis", peut aider les personnes dépressives.
Des champignons hallucinogènes. Crédits : AFP/Evert-Jan Daniels.
La première enquête, publiée le 23 janvier, dans Proceedings of the National Sciences – la revue de l'Académie nationale des sciences états-unienne – a été menée par David Nutt et Robin Carhart-Harris, de la prestigieuse université londonienne, the Imperial College of Science, Technology and Medicine. Trente sujets sains se sont vu injecter de la psilocybine en intraveineuse, et leur cerveau a été observé par imagerie par résonance magnétique (IRM). L'activité dans le cortex préfrontal, qui est hyperactive chez un sujet dépressif, s'est durablement réduite chez le groupe test.
Une deuxième étude, qui sera publiée le 26 janvier dans le British Journal of Psychiatry, a été conduite par les mêmes chercheurs sur une dizaine de sujets. Selon leurs conclusions, la substance favorise la remémoration des souvenirs positifs chez les sujets qui prennent la substance active, par comparaison au groupe soumis au placebo. "Nos résultats soutiennent l'idée que la psilocybine facilite l'accès aux souvenirs personnels et aux émotions, a fait valoir M. Carhart-Harris.Ces effets doivent faire l'objet d'investigations plus poussées, mais cela suggère que combinée à une psychothérapie, la psilocybine peut aider les dépressifs à se focaliser sur les événements positifs de leur vie et inverser leur tendance au pessimisme."
Un traitement complémentaire
Présentée comme un traitement secondaire, la psilocybine peut présenter des"bénéfices durables" après une seule prise, en comparaison avec les antidépresseurs, qui doivent être pris quotidiennement et qui comportent de nombreux effets secondaires, a précisé M. Nutt. Or, indique son collègue M. Carhart-Harris, aucun effet secondaire n'a été observé lors de leur enquête. Les deux scientifiques s'appuient par ailleurs sur une récente étude menée par Roland Griffiths à l'université John-Hopkins, qui a constaté une diminution de la dépression chez des patients atteints de cancer en phase terminal après un traitement à la psilocybine.
Pour le Pr Nick Craddock, de l'université de Cardiff, interrogé par The Independent, ces éléments ne sont pas suffisants pour convaincre les psychiatres que la psilocybine est sûre, efficace et acceptable.
Une nouvelle étude au Royaume-Uni
Les champignons hallucinogènes sont en général mangés, mais ils peuvent être séchés puis fumés ou préparés en tisane. Ils ont été utilisés pendant des années dans des cérémonies de guérison et ont été largement employés dans la psychothérapie dans les années 1950-1960, a souligné le chercheur. A l'époque, de nombreuses études avaient été menées sur des drogues telles que le LSD et la psilocybine, notamment au sein de la très prestigieuse université Harvard, sous l'impulsion du neuropsychologue américain Timothy Leary. Mais ces recherches ont été suspendues, les champignons hallucinogènes étant considérés comme une substance dangereuse aux États-Unis et l'instance fédérale The National Institute on Drug Abuse leur niant toute légitimité médicale.
Le Pr Nutt se défend de toute comparaison avec le gourou américain des drogues."Je ne suis pas pour recommander à quiconque de prendre de la drogue. Je dis simplement que nous devons avoir une approche plus scientifique, rationnelle, des médicaments et des drogues et que vilipender des substances comme la psilocybine alors que le gouvernement promeut activement dans le même temps des drogues beaucoup plus dangereuses comme l'alcool est totalement stupide sur le plan scientifique"a toutefois précisé M. Nutt à la BBC. Le scientifique a été limogé par le ministre de l'intérieur de son rôle de consultant du gouvernement sur les drogues, en 2009, après qu'il eut tenu des propos similaires. Il avait conclu dans un rapport que l'ecstasy, le cannabis ou le LSD étaient des substances moins dangereuses que l'alcool ou la cigarette.
Quoi qu'il en soit, les conclusions des études menées par MM. Nutt et Carhart-Harris ouvrent potentiellement la voie à de plus amples investigations. Des essais cliniques pourraient être mis en place dans le courant de l'année au Royaume-Uni, indiqueThe Telegraph. Elle concernerait vraisemblablement soixante patients souffrant de dépression. Si son financement était approuvé par le Conseil de recherches médicales, cela représenterait une étape majeure vers la réhabilitation de ces drogues depuis que le LSD a été interdit, en 1966, souligne The Independent.

Hôpital Sud Francilien : les collectivités ne peuvent plus se passer des PPP

LEMONDE | 23.01.12

Avec huit mois de retard, l'hôpital sud-francilien, en lisière de Corbeil-Essonne et Evry, a accueilli ses premiers patients lundi 23 janvier. Avec 1 017 lits, vingt blocs opératoires, une chaufferie au bois, il devient le plus grand hôpital de France, supplantant Georges-Pompidou, à Paris. L'ouverture a dû êtrerepoussée en raison des 8 000 réserves émises lors de la réception, ce qui est classique pour un tel équipement, et des travaux supplémentaires exigés par l'hôpital. Mais ce retard a nourri la polémique sur le choix du contrat de partenariat public-privé (PPP) conclu entre l'établissement public hospitalier et la société Eiffage.

Ce PPP prévoit qu'Eiffage finance et construise l'établissement puis en assure la maintenance pour les trente ans à venir, en contrepartie d'un loyer de 40 millions d'euros, une somme que beaucoup juge exorbitante. A tel point que le président de l'hôpital, le maire PS d'Evry, Manuel Valls, veut dénoncer le contrat.
L'hôpital sud-francilien est devenu le symbole des ratages des PPP, alors que les collectivités et l'Etat semblent ne plus pouvoir s'en passer. L'année 2011 a ainsi été riche en gros contrats puisqu'il en a été conclu pour 6 milliards d'euros, voire 14 milliards d'euros en incluant la future ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux, remportée par Vinci. D'énormes contrats s'annoncent encore en 2012, comme la ligne ferroviaire Nîmes-Montpellier, attribuée à Bouygues, le nouveau palais de justice de Paris, sur le terrain des Batignolles, pour 1 milliard d'euros, également remportée par Bouygues, le plan Campus, qui prévoit la rénovation de douze universités. Sans compter 24 000 nouvelles places de prison d'ici 2017.
  • Quel est l'intérêt des PPP ?
    Cette formule créée par l'ordonnance du 17 juin 2004 permet à une administration ou une collectivité locale de confier à un seul et même opérateur privé le financement, la construction, la maintenance et l'exploitation d'un équipement. En contrepartie de la construction de ces collèges, prisons, stades, lignes à grande vitesse..., le commanditaire public doit payer un loyer pendant des dizaines d'années (jusqu'à cinquante-cinq ans pour les grandes infrastructures). L'opérateur privé est souvent une société créée pour l'occasion, associant un constructeur, un banquier ou un fonds d'investissement et des prestataires, pour la maintenance. Au terme du bail, la personne publique récupère la propriété de l'ouvrage en bon état.
    La France a une longue tradition, qui remonte au XIXe siècle, de recours au privé pour ses services publics par le biais des concessions, dans les domaines de l'eau ou des transports. Dans une concession, l'exploitant assume le risque "commercial" et se rémunère surtout auprès des usagers. Ce n'est pas le cas d'un PPP où le loyer payé par le commanditaire de l'ouvrage est sans lien avec son exploitation, rentable ou non.
    La mission d'appui aux partenariats public-privé (MAPPP) a, en cinq ans d'activité, recensé 118 contrats de partenariat, pour 11,8 milliards d'euros dont 28 conclus par l'Etat. "Le contrat de partenariat est loin d'être majoritaire, puisqu'il n'a représenté que 6 milliards d'euros en 2011, année record, là où l'investissement public total représente autour de 90 milliards d'euros par an",détaille François Bergère, directeur de la MAPPP.
    • Qui décide du recours au contrat de partenariat ?
    Théoriquement, le contrat de partenariat ne peut être utilisé que dans le cas d'un projet complexe, urgent et, depuis 2008, si son bilan coût-avantage est favorable. En réalité, il peut être utilisé quasiment dans tous les cas car il est facile dedémontrer qu'un contrat de partenariat est avantageux, quitte à biaiser les données. "J'ai vu des études préalables délibérément faussées pour justifier le recours" aux PPP, se souvient Michel Klopfer, conseiller financier des collectivités locales. "J'ai vu des erreurs grossières sur les frais financiers ou qui attribuaient, sans raison, une économie sur les prestations techniques de 20 % à 25 %, en faveur du privé, poursuit-il. Tous les cabinets, juristes, conseillers financiers ont un intérêt évident aux PPP, qui leur assurent du travail pour des années."
    • Les grands groupes industriels sont-ils favorisés ?
    A l'évidence oui, notamment les majors du BTP. Ces groupes sont seuls capables de s'offrir le luxe d'avancer les frais d'études nécessitées par la compétition. Dans le cas de l'opération Balard, du ministère de la défense, surnommée "Pentagone à la française", seules Bouygues, Vinci et Eiffage, ont eu les reins assez solides pour dépenser de 15 à 20 millions d'euros d'études avec le risque de perdre le contrat. L'appel d'offres du nouveau tribunal de Paris ou de la ligne à grande vitesse Nîmes-Montpellier n'a vu que deux concurrents s'affronter : Vinci et Bouygues. Pour le réaménagement du zoo de Vincennes une seule offre a été formulée par le tandem Bouygues-Icade.
    Selon nos calculs, sur les plus gros contrats (d'un montant supérieur à 40 millions d'euros recensés depuis 2006), Vinci s'est arrogé 8,9 milliards d'euros (49,8 %) - dont 7,8 milliards pour la seule ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux -, Eiffage, 3,7 milliards d'euros (21 %) et Bouygues 3,8 milliards d'euros (21,4 %). Dans les contrats d'énergie, c'est un autre trio, GDF-Suez, EDF et Veolia qui se partage les marchés.
    • Les PPP engendrent-ils des économies ?
    La formule permet de réels gains de temps de chantier et le temps c'est de l'argent ! Selon François Bergère, de la MAPPP, "sur 40 opérations analysées, 90 % ont été livrées à l'heure. Lorsque les délais sont tenus, les coûts le sont en général aussi". Les constructeurs sont intéressés au respect du calendrier car ils ne sont payés qu'à compter de la livraison. La contre-performance de la rénovation, menée par l'Etat, du campus de Jussieu, à Paris, qui s'éternise sur plus de quinze ans et dont le budget a été multiplié par dix, est pain bénit pour les tenants des PPP...
    Sur le plan financier, aucune étude n'est encore capable de mesurer les économies réelles sur le long terme. Les frais financiers sont théoriquement moins élevés dans un contrat 100 % public car l'administration peut emprunter à des taux préférentiels. Le privé, lui, contracte des prêts à des taux plus élevés ou investit ses fonds propres avec une exigence de rentabilité entre 10 % et 15 %. Le succès des PPP s'explique donc moins par les économies supposées que par le report de l'investissement : les collectivités n'ont rien à financer avant la livraison.
    • Les PPP constituent-ils une bombe à retardement financière ?
    Jusqu'en 2010, ces engagements financiers à long terme, sous forme de loyers, n'étaient pas considérés, au plan comptable, comme une dette, évitant decreuser le déficit apparent de l'Etat ou des collectivités locales - d'où son attrait. Depuis le 1er janvier 2011, les collectivités locales sont obligées de l'inscrire à leur bilan. Le préfet et la chambre régionale des comptes d'Ile-de-France l'ont, par exemple, fermement rappelé à la commune de Bussy-Saint-Georges (Seine-et-Marne). Depuis le 1er janvier 2012, l'Etat est dans la même obligation.
    Pour beaucoup d'observateurs, les PPP constituent une charge incompressible qui peut devenir, à l'avenir, difficilement supportable pour les finances publiques."Ces financements innovants permettent d'échapper à la rigueur budgétaire. Le cumul de ces loyers à payer à très long terme pourrait asphyxier nos finances",s'alarme le sénateur (UMP) Jean Arthuis. "Avec un crédit devenu rare et cher, les projets de PPP devront être sélectionnés avec plus de soin", admet François Bergère.
    Vinci, Bouygues et Eiffage se partagent 92% des plus gros contrats de partenariats public-privé.
    Vinci, Bouygues et Eiffage se partagent 92% des plus gros contrats de partenariats public-privé.Mission d'appui aux partenariats public-privé (MAPPP)Infographie Le Monde
    Isabelle Rey-Lefebvre avec Laetitia Clavreul

    Épilogue ou rebondissement, jeudi, dans un film judiciaire sur l'autisme ?

    lundi 23.01.2012
     Le 8 décembre dernier, des familles d'enfants autistes pro-Sophie Robert devant le palais de justice.Le 8 décembre dernier, des familles d'enfants autistes pro-Sophie Robert devant le palais de justice.

    |  ÇA SE PASSE CETTE SEMAINE |

    Jeudi, la documentariste Sophie Robert saura si elle peut continuer à diffuser, en l'état, le film qu'elle a consacré à la prise en charge de l'autisme par la psychanalyse. Trois psychanalystes de renom l'accusent d'avoir galvaudé leurs propos. Ils exigent leur retrait du film. En filigrane, se dessine une opposition sur la prise en charge de l'autisme, mettant face à face défenseurs de la psychanalyse et avocats des méthodes dites cognitivo- comportementales. Des enjeux nationaux, voire internationaux. En France, l'autisme a été déclaré Grande cause nationale 2012. PAR LAKHDAR BELAÏD
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    Mémoire : "Un Prince charmant des souvenirs"

    Neurobiologie | LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 13.01.12

    Lauréat du prix Nobel en 2000 pour ses découvertes sur les processus biologiques de la mémoire, Eric Kandel est professeur à l'université Columbia (New York) et chercheur en neurosciences au Howard Hughes Medical Institute. Invité de prestige de l'Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM), le 19 décembre 2011 à l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière (Paris), il présentait ses derniers travaux sur le stockage durable des souvenirs.

    Traquant depuis plus de cinquante ans les secrets de la mémoire, il explore aujourd'hui une piste audacieuse : le rôle, dans le stockage durable des souvenirs, d'une protéine de type prion non pathogène... mais apparentée aux molécules responsables de maladies neurodégénératives redoutables.
    Pour comprendre la portée de vos travaux récents, un retour en arrière s'impose. Quelles ont été les étapes marquantes de vos découvertes ?Quand j'ai débuté mes études sur la mémoire, en 1957, je me suis intéressé aux propriétés des neurones de l'hippocampe du chat. Mais ce modèle s'est vite avéré trop complexe. L'approche réductionniste m'est alors apparue comme une méthode de choix - pas comme une philosophie ! Au début des années 1960, et malgré le scepticisme de nombreux collègues, j'ai choisi d'étudier l'aplysie. Cette limace de mer géante ne compte que 20 000 neurones, de surcroît très gros, contre 100 milliards dans le cerveau humain.
    L'aplysie rétracte sa branchie quand on touche son siphon, par un processus réflexe. Nous avons découvert que des contacts légers répétés entraînent une "habituation" : le réflexe s'atténue progressivement. Mais en donnant un choc électrique sur la queue juste après avoir touché le siphon, et en répétant plusieurs fois l'expérience, on finit par "apprendre" à l'animal à rétracter sa branchie même après l'habituation - c'est le conditionnement. Dans ces formes rudimentaires d'apprentissage, nous pouvions enregistrer l'activité électrique des neurones du mollusque vivant. Nous avons reconstitué ce réflexe avec des neurones isolés en culture - et décortiqué les processus cellulaires et moléculaires en jeu.
    Que vous a appris le long travail d'analyse de ce modèle ? Nous avons découvert que l'apprentissage et la mémorisation résultent du remodelage des connexions entre neurones : c'est la "plasticité synaptique". Dès 1894, le neuroanatomiste Santiago Ramon y Cajal avait eu l'intuition de ce phénomène. Nous avons trouvé que les aplysies, quelle que soit la vitesse d'apprentissage du réflexe de rétraction des branchies, mobilisent toujours le même circuit de 30 neurones : leurs différentes capacités d'apprentissage résident donc non pas dans ces neurones, mais dans leurs connexions. Puis nous avons montré que la mémoire "à court terme" - le stockage temporaire de l'information - résulte du renforcement de synapses existantes.
    La mémoire "à long terme" - le stockage durable de l'information ayant subi un traitement répétitif - nécessite la création de nouvelles synapses.
    Comment la mémoire à court terme est-elle convertie en mémoire à long terme ? La répétition - ou l'intensité d'une expérience unique, comme l'est votre premier amour ! - est nécessaire à la mémoire à long terme. Dans le noyau du neurone, ces stimuli répétés ou intenses activent certains gènes : ceux-ci produisent les protéines nécessaires à la croissance de nouvelles synapses.
    Deux protéines, parmi d'autres, contrôlent ces gènes : la CREB-1, qui les active, et la CREB-2, qui les inhibe. Sous l'effet d'un stimulus, la CREB-2 est inactivée et la CREB-1 activée. C'est de la balance subtile entre ces deux actions opposées, selon la répétition du stimulus, que s'opère - ou non - la bascule entre mémoire à court terme et mémoire à long terme.
    C'est pourquoi nous ne nous souvenons durablement que des expériences importantes ou répétées. Tout le reste, nous l'oublions ! Pour l'aplysie, des chocs réitérés sur la queue sont une expérience d'apprentissage importante, comme pour nous la pratique répétée du piano ou la conjugaison des verbes...
    Peut-on extrapoler ces découvertes chez l'aplysie aux processus mentaux à l'oeuvre chez l'homme ? Certains aspects du stockage mnésique semblent avoir été conservés durant les millions d'années de l'évolution : par exemple, la capacité à faire pousser de nouvelles connexions synaptiques à la suite d'une expérience. L'esprit humain a ainsi évolué à partir de molécules utilisées par nos ancêtres les plus humbles. Cela éclaire d'un jour nouveau notre place au sein de l'évolution biologique...
    Vous concentrez vos efforts actuels sur le rôle d'une protéine de type prion dans le stockage des souvenirs. Comment en êtes-vous venu à cette "idée folle" en 2003 ? Une question nous taraudait : comment la mémoire à long terme se conserve-t-elle durablement dans les terminaisons synaptiques ? Ce processus nécessite la production de protéines, mais la demi-vie moyenne d'une protéine du cerveau ne dure que quelques minutes à deux jours. Cette interrogation nous a menés à la découverte d'un processus indispensable pour stabiliser la mémoire à long terme. Il requiert la production locale de protéines. Cela nous a conduits à une seconde piste : celle de la protéine Aplysia CPEB, présente dans les terminaisons synaptiques de l'aplysie...
    Cette protéine, ou son homologue chez l'homme, serait la gardienne du souvenir ? Un de mes étudiants postdoctorants, Kausik Si, a émis cette idée originale : sous l'effet d'un stimulus activateur, un ARN messager "dormant" serait produit dans le noyau du neurone. De là il serait envoyé, via la fibre nerveuse, vers toutes les terminaisons synaptiques. Il n'y serait ultérieurement converti en ARN actif, assurant la production des protéines stabilisatrices, que dans certaines terminaisons : celles qui sont activées et portent la "marque" de l'apprentissage.
    Nous avons validé ce concept sur un neurone sensoriel isolé d'aplysie. L'ARN messager joue le rôle de la Belle au bois dormant. Le Prince charmant qui la réveille, c'est la CPEB. Son baiser résulte d'un stimulus répété sur la terminaison nerveuse. Il convertit la CPEB inactive en une forme active, qui rallonge la courte queue polyadénylée de l'ARN dormant. Cet ajout enclenche la fabrication des protéines stabilisatrices. Ce processus élégant perpétue la mémoire...
    Mais comment ce stockage mnésique résiste-t-il à l'usure du temps ? C'est là que joue l'appartenance de la CPEB à la famille des prions ! Comme l'a montré M. Si, la CPEB possède à son extrémité toutes les caractéristiques d'un prion. Les prions sont probablement les protéines les plus étranges connues à ce jour. Elles ont été découvertes par Stanley Prusiner au début des années 1980 (Prix Nobel en 1997), en tant qu'agents responsables de maladies neurodégénératives alors mystérieuses, comme la maladie de la vache folle.
    Les prions se distinguent des autres protéines par deux points majeurs : ils peuvent se replier sous deux formes différentes, l'une active - des agrégats très stables dans le temps - et l'autre inactive. La forme agrégée, dominante, peut convertir la forme inactive en forme active. Ces deux propriétés faisaient de la CPEB un candidat idéal pour le stockage mnésique : une molécule capable de s'autoperpétuer et de demeurer indéfiniment dans la terminaison synaptique, pour y gouverner la fabrication des protéines stabilisatrices... Avec M. Si, nous avons publié, en 2003, cette hypothèse dans la revue Cell...
    Depuis, vous avez accumulé les expériences en faveur de ce concept inédit... C'était une idée sinon révolutionnaire, du moins très inhabituelle ! M. Prusiner m'a dit en avoir été très surpris. Il nous a fallu beaucoup de travail pour en démontrer la validité : d'abord chez l'aplysie, puis chez la souris. Dans l'hippocampe de ce rongeur, avec Ilias Pavlopoulos nous avons identifié une protéine, Mouse CPEB3, dotée des caractéristiques d'un prion. Puis nous avons montré qu'un blocage de sa forme agrégée entraîne un déficit de la mémoire spatiale à long terme de la souris.
    Avec cette protéine, nous avons mis le doigt sur un nouveau type de prion, qui dans sa forme active ne détruit pas les cellules, contrairement à tous les autres prions de mammifères connus à ce jour. Ici, la CPEB3 de souris joue un rôle physiologique : elle est régulée par un neurotransmetteur pour assurer le stockage durable des souvenirs. C'est radicalement nouveau ! Mais parce qu'il s'agit d'une protéine prion-like, potentiellement dotée de propriétés "explosives", encore fallait-il montrer que son activité est étroitement contrôlée dans la cellule.
    C'est l'objet de notre dernier travail, avec Ilias Pavlopoulos et Pierre Trifilieff, publié dans Cell le 9 décembre 2011. Nous avons démonté les rouages de cette régulation très fine dans les neurones de l'hippocampe de la souris. Chez l'homme, il existe des homologues de la CPEB, ce qui laisse augurer l'existence de processus similaires du stockage mnésique.
    Peut-on concevoir des applications dans divers troubles de la mémoire ?Nous avons montré chez la souris, il y a plusieurs années, qu'un produit qui favorise l'activité de la CREB1 parvient à enrayer les déficits mnésiques des animaux vieillissants : ils retrouvent alors une mémoire de souris jeunes. A l'inverse, pour lutter contre certaines pathologies liées à des "excès de mémoire", comme les syndromes post-traumatiques ou les addictions, on pourrait imaginer cibler la CPEB, par exemple - mais cela reste une stratégie spéculative.
    Dans votre livre "A la recherche de la mémoire", vous dites avoir été attiré par la biologie de l'esprit pour tenter de comprendre les comportements humains. Au final, qu'avez-vous appris sur la nature humaine ? Ce ne sont pas mes expérimentations chez l'aplysie ou la souris qui m'ont renseigné sur la nature humaine, mais mon vécu d'homme de 82 ans ! Et notamment ma dernière année à Vienne, qui m'a marqué pour la vie, à l'âge de 9 ans, après l'invasion de l'Autriche par Hitler. Comment une société aussi éduquée que celle de Vienne à cette époque a-t-elle pu basculer dans un tel antisémitisme ? La potentialité du mal existe chez tout être humain. Ceux qui ont collaboré avec le gouvernement de Vichy, par exemple, n'avaient pas deux têtes ou quatre nez, c'étaient des gens comme vous et moi !
    Mais l'expression du mal dépend du contexte - social, politique, familial, amical ou religieux - dans lequel l'être humain évolue. Parce que nous sommes tous capables de tomber dans la perversion, nous avons besoin de ces garde-fous. Mais je reste un indéfectible optimiste : tout comme mon père, j'ai toujours eu une attitude positive face aux difficultés de toutes sortes de la vie...
    Propos recueillis par Florence Rosier

    Un Janus tapi dans le cerveau

    LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 13.01.12

    "L'existence d'un prion qui joue un rôle physiologique chez le mammifère, c'est une forme de révolution !", affirme Stéphane Haïk, directeur du Centre national de référence des prions et de l'équipe Inserm sur les maladies à prions - maladie d'Alzheimer, à l'Institut du cerveau et de la moelle épinière (La Pitié-Salpêtrière, à Paris). Jusqu'ici, les prions de mammifères avaient sinistre réputation : les seuls connus étaient responsables de redoutables maladies transmissibles du système nerveux, comme celle de Creutzfeldt-Jakob.

    On connaissait aussi les prion- like, associés à des maladies non transmissibles comme celle d'Alzheimer. "Toujours, avec les prions de mammifères, était associée l'idée de toxicité pour le neurone", résume Stéphane Haïk. Les prions sont des protéines déroutantes. "Deux propriétés les caractérisent : ils peuvent exister sous deux états, l'un normal - inactif ou non toxique - et l'autre agrégé - actif ou toxique -, et ces agrégats peuvent convertir la forme normale en forme agrégée", explique le chercheur.
    C'est un prion "normal", non pathogène, que convoque Eric Kandel pour expliquer la persistance du souvenir chez la souris. Son nom ? La protéine CPEB3.
    Le souvenir dort tranquille
    Comment agit-elle ? Sous l'effet d'un apprentissage répété, un neuromédiateur est libéré à la synapse. Il convertit la forme inactive de la CPEB3 en sa forme agrégée, active et stable dans le temps. Celle-ci déclenche alors la fabrication de protéines, qui stabilisent les jeunes synapses créées par l'apprentissage. Ainsi consolidé, le souvenir peut dormir tranquille...
    Car la CPEB3 agrégée "attendra patiemment, en flânant tranquillement dans vos synapses. On pourrait ne jamais manger une autre madeleine que Combray serait encore là, perdu dans le temps", raconte Jonah Lehrer dans son ouvrage Proust était un neuroscientifique (Robert Laffont, 2011).
    Mais "le goût du gâteau sec déclenche une bouffée de nouveaux neuromédiateurs vers les neurones représentant Combray (...) si un certain point critique est atteint", le souvenir naît de "cette secousse cellulaire".
    Dans les maladies à prions, les agrégations du prion subissent une amplification exponentielle, incontrôlée. Mais, "dans la mémoire à long terme, l'activité de la CPEB3 est très étroitement contrôlée. Il ne faut pas que le système s'emballe !", souligne Stéphane Haïk. Le neurone s'est donc doté d'un système de surveillance drastique de ce prion, qui vient d'être clarifié par l'équipe d'Eric Kandel. "L'enjeu serait de stimuler ces systèmes de contrôle pour enrayer l'emballement dans les maladies à prions", imagine Stéphane Haïk.
    Fl. R.

    Les chercheurs cueillent le "rameau d'or" du passé


    LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 13.01.12

    Sans la mémoire, que serions-nous ?", interrogeait Chateaubriand dans sesMémoires d'outre-tombe"Nous oublierions nos amitiés, nos amours, nos plaisirs, nos affaires ; le génie ne pourrait rassembler ses idées ; le coeur le plus affectueux perdrait sa tendresse." Il l'avait compris : "Il ne suffit pas de dire aux songes, aux amours : "Renaissez !" pour qu'ils renaissent ; on ne se peut ouvrir la région des ombres qu'avec le rameau d'or. (...)"

    Ce précieux rameau livrant accès à "l'édifice immense du souvenir" qui fascinait Proust, les scientifiques en récoltent aujourd'hui les feuilles. Ce ne sont pas des colombes qui l'ont désigné, mais... des limaces de mer géantes, les aplysies. Elles ont été élues par Eric Kandel il y a cinquante ans, comme modèle d'étude des processus biologiques de l'apprentissage et de la mémoire - processus en grande partie partagés par l'homme.
    "Dans le cerveau, le support physique d'un souvenir laissé par un événement, c'est l'activité électrique de l'ensemble des neurones qui ont été activés simultanément lors de cet événement, raconte Serge Laroche, chercheur CNRS en neurosciences à l'université Paris-Sud (Orsay). A chaque souvenir correspond ainsi un réseau spécifique de neurones activés." Lorsque nous percevons un événement, cette perception active un motif donné de neurones dans de multiples régions du cortex cérébral, traitant la vision, l'audition, l'odorat...
    Tous ces neurones envoient leurs messages électriques à des régions qui les combinent pour créer des représentations mentales. Au centre du cerveau, l'hippocampe est une structure-clé : c'est le chef d'orchestre qui met en musique nos souvenirs. Il reçoit des informations de tous les cortex sensoriels, les encode et en stocke la trace.
    "Remodelage du cerveau"
    Mais les activités électriques d'un réseau de neurones sont fugaces : elles s'estompent très vite après l'activation. Pour qu'un souvenir perdure, le réseau doit être renforcé par des phénomènes de "plasticité neuronale". "C'est un véritable remodelage du cerveau", souligne Serge Laroche. Des milliers de protéines sont impliquées. "Trois ou quatre grands mécanismes de plasticité neuronale sont au coeur de nos capacités d'apprentissage et de mémoire",précise le chercheur. Les deux premiers concernent les connexions déjà établies entre les neurones - les synapses.
    Lorsqu'un réseau neuronal est activé d'une façon très intense et/ou répétée, certaines synapses sont renforcées durablement, tandis que leurs voisines sont affaiblies. Le troisième mécanisme fait appel à la création puis à la stabilisation de nouvelles synapses. Le processus clé récemment découvert par le laboratoire d'Eric Kandel intervient à ce niveau. "Il montre comment, chez la souris, une protéine de type prion, la CPEB3, permet la formation de protéines qui stabilisent les synapses créées par l'apprentissage", indique Serge Laroche.
    Dernier mécanisme à l'étude : la formation de nouveaux neurones, ou "neurogenèse". "Plusieurs milliers de neurones naissent chaque jour dans une région de l'hippocampe, le gyrus denté", explique Serge Laroche, qui a contribué avec son équipe à cette découverte importante. La plupart d'entre eux meurent, mais certains survivent. Leur rôle précis dans les processus cérébraux est exploré avec la plus grande attention.
    Fl. R.