Clotilde Leguil, propos recueillis par publié le
Illustration : © Jules Julien pour PM
La pandémie vous angoisse ? Et si, plutôt que d’entrer « en thérapie », vous vous plongiez dans l’œuvre de Rousseau ? Pour la psychanalyste Clotilde Leguil, le grand auteur des Lumières est en effet le premier, bien avant Freud, à percevoir un « malaise dans la civilisation ».
« J’ai beaucoup pensé à Rousseau en mars 2020 lors de l’extension de l’épidémie de Covid-19 à la planète et du confinement. Ce qui nous arrivait était inédit. La pandémie nous a confrontés à un temps d’arrêt, à la suspension de l’accélération folle dans laquelle les échanges, la mondialisation, les progrès scientifique, technique et numérique nous emportaient. M’est revenu en mémoire le Discours sur les sciences et les arts, où Rousseau adopte une perspective critique sur le progrès et, plus précisément, sur la finalité du savoir et du progrès des sciences et des techniques. Le progrès nous mène-t-il à mieux vivre ensemble ? Améliore-t-il le lien social ? Contribue-t-il à “épurer les mœurs” ? Là où la question de l’Académie de Dijon invitait plutôt à répondre par l’affirmative et à défendre la connaissance, Rousseau répondait négativement en faisant valoir une distinction entre le progrès scientifique et technique, et le progrès humain et moral. C’est une première. Quand Descartes parle de “se rendre comme maître et possesseur de la nature”, soit d’un progrès qui irait en direction de la maîtrise et de l’arraisonnement de la nature, Rousseau s’interroge sur ce que ce progrès apporte vraiment à l’être humain. Il est le premier à percevoir une forme de déshumanisation due au progrès scientifique et technique.