Par Antoine Reverchon Publié le 2 octobre 2020
ENTRETIEN Le cofondateur, dans les années 1970, de « l’école de la régulation », livre, dans un entretien au « Monde », son diagnostic du choc qui ébranle aujourd’hui l’économie mondiale, et de ses devenirs possibles.
L’économiste Robert Boyer, analyste des évolutions historiques divergentes des capitalismes – il préfère d’ailleurs utiliser ce terme au pluriel – publie, le 1er octobre aux éditions La Découverte, un ouvrage qui fera date, Les Capitalismes à l’épreuve de la pandémie (200 pages, 19 €), où il livre son diagnostic du choc qui ébranle aujourd’hui l’économie mondiale, et de ses devenirs possibles.
Pour qualifier la crise que nous traversons, les économistes oscillent entre « crise sans précédent », « récession la plus grave depuis 1929 », ou encore « troisième crise du siècle » – après celles des subprimes de 2008 et de l’euro en 2010. Qu’en pensez-vous ?
On ne peut pas appliquer des mots hérités des crises précédentes à une réalité nouvelle. Plus qu’une erreur, c’est une faute car cela indique que l’on espère appliquer des remèdes connus, qui seront donc inefficaces.
Le terme de « récession » s’applique au moment où un cycle économique, arrivé à une certaine étape, se retourne pour des raisons endogènes – ce qui suppose que l’étape suivante sera mécaniquement la reprise, également pour des raisons endogènes, avec un retour à l’état antérieur. Or il ne s’agit pas ici d’une récession, mais d’une décision prise par les instances politiques de suspendre toute activité économique qui ne soit pas indispensable à la lutte contre la pandémie et à la vie quotidienne.
La persistance d’un vocabulaire économique pour désigner une réalité politique est étonnante. On a parlé de « soutien » à l’activité, alors qu’il s’agit plutôt d’une congélation de l’économie. Le plan de « relance » est en fait un programme d’indemnisation des entreprises pour les pertes subies, mené grâce à l’explosion des dépenses budgétaires et au relâchement de la contrainte de leur refinancement par les banques centrales. C’est un « soin palliatif » qui n’aura de sens que si épidémiologistes, médecins et biologistes trouvent la solution à la crise sanitaire – mais cela ne dépend ni des modèles ni des politiques économiques.