Yves Citton retrace une crise cognitive… vieille comme le capitalisme
Yves Citton
est professeur de littérature à l’université de Grenoble et codirecteur de la revue Multitudes. Il a récemment dirigé un ouvrage collectif L’Économie de l’attention (La Découverte, 2014) et signé Pour une écologie de l’attention (Seuil, 2014). Il a également fait paraître en 2017 Médiarchie aux éditions du Seuil.
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En exploitant notre attention comme une marchandise, le monde numérique nous laisse hébétés. Yves Citton, qui a contribué à introduire en France la notion d’« économie de l’attention », souhaite passer désormais à une écologie de l’attention.
À vous lire, on découvre que la crise de l’attention ne date pas de l’essor des technologies de l’information.
Yves Citton : Oui, déjà à la Renaissance, la profusion de livres suscite des dispositifs nouveaux – sommaire, titres de marge – pour parer à une menace de dispersion. Mais, comme l’a montré Jonathan Crary, dans Suspensions of Perception [MIT Press, 2001, non traduit], la véritable rupture survient avec l’essor du capitalisme industriel, dans les années 1880. D’abord, on travaille à contrôler l’attention du producteur confronté sur la chaîne de montage à des tâches monotones et répétitives. Ensuite apparaissent de nouveaux médias, tels la presse à grand tirage, le cinéma, puis la radio, la télévision, capables de capter l’attention des masses à distance. Et à travers eux, on cherche à contrôler l’attention des consommateurs afin d’écouler la surproduction de marchandises. C’est donc une circularité du contrôle de l’attention qui, dès le début, se met place et qui ne fait que s’accroître avec les innovations successives. Le capitalisme est donc l’histoire d’une crise permanente de l’attention.