Dans son journal du confinement, la romancière revient sur la distance qui s’est creusée entre les êtres, au point où les contacts ont pratiquement disparu.
Publié le 3 avril 2020
La peau. C’est l’organe le plus lourd et le plus étendu du corps humain. Deux mètres carrés de surface et des milliards de connexions neuronales. La peau nue du nourrisson que l’on pose sur le ventre de sa mère. La peau que l’on dévoile à la caresse du soleil, au regard de celui qu’on aime. La peau qui frissonne d’avoir été seulement frôlée, effleurée. Nous avons, dès l’enfance, l’intuition que réside dans le toucher un pouvoir palliatif. Lorsqu’ils ont peur, la nuit, des monstres et de l’obscurité, les enfants prennent vos mains qu’ils apposent sur eux, sur la peau nue de leur dos, sur leur nuque qui frissonne.
Je pense à cet ami, mort d’un cancer il y a exactement un an, et dont la douleur ne se calmait que lorsque nous lui faisions de longs et délicats massages. Il était d’une maigreur terrifiante, son corps ne lui inspirait que souffrance et dégoût mais il confessait qu’il trouvait, dans les gestes de tendresse, un éphémère apaisement. Une aide soignante nous avait expliqué que lorsque nous sommes touchés, nous secrétons de la sérotonine, autrement appelée hormone du bonheur. La préhension, l’expérience de notre propre existence physique à travers, non pas seulement le regard, mais la main de l’autre, est essentielle à notre équilibre.
Aujourd’hui, la crise sanitaire nous oblige à nous tenir à distance les uns des autres. Nous devons intégrer des gestes barrières et éviter de nous toucher. Mais l’épidémie de coronavirus ne vient en fait qu’accentuer une tendance. Toutes les études le prouvent : nous touchons de moins en moins la peau de l’autre. A bien y regarder, ce qu’on caresse le plus au cours d’une journée, c’est sans doute l’écran de notre téléphone portable. Nous avons pris l’habitude d’un paiement sans contact. A la boulangerie, nous ne sommes plus étonnés de glisser notre argent dans une machine qui nous rend la monnaie, mais pas notre sourire.