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Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

mercredi 14 décembre 2011


Gare à la dislocation sociale !

12.12.11
par Martin Hirsch, haut fonctionnaire

Comment faire plus de social en dépensant moins ? C'est l'équation-clé de l'élection présidentielle de 2012. Plus de social ? Les besoins sont immenses. Si, en 1995, on pouvait parler de "fracture sociale", le risque aujourd'hui est celui de la "dislocation sociale". Un quart des assurés sociaux qui renoncent à des soins pour des raisons financières. 20 % de chaque génération qui sort du système scolaire sans diplôme. Une personne sur sept qui vit sous le seuil de pauvreté. Un chômage qui persiste autour de 10 % de la population active. A système inchangé, ce sont des dizaines de milliards qu'il faudrait injecter dans les années qui viennent pour ne pas régresser. Les services publics sociaux chargés de l'emploi, de la famille et de l'éducation sont eux-mêmes à bout de souffle et leurs agents surchargés par les demandes.

Or, ni les milliards ni les dizaines de milliers de postes ne seront disponibles pour répondre à cette demande. Etat, collectivités territoriales, organismes de la Sécurité sociale n'ont plus de marge de manoeuvre. La méthode Coué ne produira pas de recettes miracles : la confiance rétablie qui restaure la croissance qui remplit les caisses publiques, ce n'est pas une perspective sérieuse pour les prochaines années.
Sommes-nous condamnés à voir notre système social se dégrader ? Oui, si on croit les promesses ou si on laisse s'installer un discours défaitiste et culpabilisant sur le social. Non, si l'on obtient des candidats qu'ils inscrivent à leur programme des réformes permettant un progrès social à coût nul. Ces réformes existent. Dans un pays où les dépenses sociales sont déjà élevées, avec un rendement faible, il est concevable de prévoir au moins le maintien de la protection sociale, sans le subordonner à des dépenses supplémentaires illusoires. Voilà dix pistes de réforme. Aucune d'entre elles n'est facile. Toutes ont des inconvénients. Mais toutes sont réalisables et aucune ne creuse les déficits publics.
1. Le bouclier sanitaire. Aujourd'hui, on rogne la couverture maladie tout en voyant la proportion de renoncement aux soins augmenter. Le bouclier sanitaire consiste à plafonner ce qui reste à la charge du malade, en fonction de son revenu. Il remplace la couverture maladie universelle et il met fin à la prise en charge à 100 % des affections de longue durée. Il met fin à ces situations où certains assurés paient en une année plus d'un mois de salaire, entre franchises, forfaits hospitaliers et autres tickets modérateurs.
C'est une réforme lourde, mais dont la faisabilité a été démontrée. Elle ne coûte rien. L'essentiel de l'augmentation des dépenses d'assurance-maladie est lié aux affections de longue durée. Ceux qui sont atteints de telles affections se verraient demander une contribution lorsque leurs revenus sont élevés. En contrepartie, le plafonnement de leur participation s'appliquerait aussi aux autres soins que ceux directement liés à la maladie classée "affection de longue durée".
2. Une restriction de la pharmacopée prise en charge par l'assurance-maladie. Nous sommes champions du monde de la consommation de médicaments. Le nombre de médicaments remboursés et leur prix est bien supérieur à ce qu'il est dans d'autres pays. On peut réduire le nombre de médicaments pris en charge par l'assurance-maladie, sans détériorer la prise en charge sanitaire. C'est l'industrie pharmaceutique qui souffrira, si elle ne se réoriente pas, et, dans une moindre mesure, les pharmaciens. Pour ces derniers, on peut atténuer en les rémunérant pour des services médicaux rendus, ce qui permet de répondre aux problèmes de déserts médicaux. Les pharmaciens pourraient, par exemple, fairele travail d'orthoptiste qui est en France un monopole d'ophtalmologiste, pour lequel il y a désormais parfois six mois d'attente !
3. La réduction des coûts des services pour les personnes aux revenus les plus modestes. Paradoxalement, les personnes qui ont les revenus les plus faibles paient plus cher que les autres les différents services. La minute de téléphone par carte prépayée est plus chère que la minute par forfait. Les loyers des petites surfaces sont plus chers au mètre carré. Assurance, énergie, alimentation, crédit, sont au nombre de ces postes de dépenses pour lesquels les pauvres paient un surcoût.
Au total, une étude du Boston Consulting Group chiffre cet effet, que l'on peut qualifier de "double peine", à 6 % de leurs revenus, soit 2 milliards d'euros par an ! Comme si les personnes les plus modestes payaient une TVA supplémentaire, en grande partie financée par des prestations sociales improductives. Les tarifs sociaux ne corrigent que très peu cet effet et les pouvoirs publics n'ont jamais vraiment traité ce problème. Des initiatives commencent à être prises par quelques entreprises. Il serait temps de passer à une grande échelle. Protéger les plus faibles, ce n'est pas seulement augmenter leurs ressources, c'est aussi réduire leurs coûts.
4. Une assurance obligatoire pour le logement. Les différents mécanismes de garantie du risque locatif sont restés des échecs. Il faut instituer une assurance obligatoire de tous les propriétaires contre les loyers impayés. Mais cette assurance ne couvrirait le propriétaire que s'il pratiquait un loyer raisonnable, par rapport à des loyers de référence.
Pour un loyer ne respectant pas des normes, le propriétaire paierait la même cotisation, mais serait moins bien couvert. Un taux de 3 % rapporterait 3 milliards d'euros dont la moitié pourrait être consacrée à indemniser les propriétaires contre les non-paiements de loyers et l'autre moitié à financer des travaux de lutte contre l'habitat insalubre et de mise aux normes. Des mécanismes dissuasifs peuvent être trouvés pour éviter les abus de la part de locataires qui se trouveraient débiteurs du fonds de garantie.
5. La dotation d'autonomie financée par les droits de succession. Le verdict de l'Insee est sans appel : les inégalités de patrimoine ont augmenté entre 2004 et 2010. L'écart entre les 10 % les plus riches et les 20 % les plus modestes s'est accru de 30 % en sept ans, 10 % de la population détient la moitié des richesses. Une moitié des ménages se partage les miettes : 7 %.
Ce faisant, l'Insee montre le caractère héréditaire de la richesse. On ne rebat pas les cartes à chaque génération. Certains naissent dotés d'un solide patrimoine, d'autres ne reçoivent que "la pauvreté en héritage". Cela renforce les difficultés des jeunes qui n'ont pas la chance de pouvoir bénéficier de la transmission d'un patrimoine familial et qui ne peuvent pas compter sur un marché de l'emploi qui les attend bras ouverts. La gauche fait progressivement marche arrière sur l'allocation d'autonomie et annonce qu'elle attendra des jours meilleurs.
Il y a pourtant une manière simple, juste et rapide de traiter deux problèmes en même temps : la question des inégalités et celle de la jeunesse : en utilisant les droits de succession pour financer une dotation d'autonomie, pour briser la chaîne de transmission héréditaire de la pauvreté.
La dotation d'autonomie, c'est ce que nous proposions dans le Livre vert sur la jeunesse, en alternative à une allocation : un capital versé au moment de la majorité. Dans le Livre vert, nous suggérions qu'il soit décroissant en fonction des ressources de la famille, pour lui donner un fort caractère redistributif, et nous avions laissé ouvertes deux options : celle d'une dotation libre d'emploi pour le jeune ou celle d'une dotation fléchée, ne pouvant être utilisée que pour un projet de formation ou d'emploi. Nous savions que la dotation d'autonomie, pour être efficace, doit coûter 4 à 5 milliards d'euros. Le plus logique serait de la financer par un rétablissement des droits de succession. En prélevant au moment de la transmission et en dotant au moment de la majorité, on rebat les cartes.
Faire de la jeunesse et de la réduction des inégalités une seule et même priorité passe par financer une dotation d'autonomie par un impôt sur les successions.
6. La réduction des plus hauts revenus. L'explosion des plus hauts revenus au cours des vingt dernières années est l'un des motifs d'accroissement des écarts de patrimoine. La répartition très inégale des revenus, au moment de la distribution initiale, est aussi une source de coûts pour les politiques sociales, qui s'efforcent partiellement d'atténuer ces inégalités. On rappellera que, en vingt ans, les 10 % des salaires les plus élevés ont capté les trois quarts de la richesse produite, quand 80 % des salariés voyaient leur situation se dégrader et que les 10 % les plus modestes ont vu leur situation dépendre de l'évolution du smic et des prestations sociales. Une politique déterminée pour ramener les plus hauts revenus vers des niveaux moins déraisonnables est une manière de faire du social sans coût pour les dépenses publiques.
7. La fusion du revenu de solidarité active et de la prime pour l'emploi. La création du revenu de solidarité active aurait dû s'accompagner de la disparition de la prime pour l'emploi, si des voix ne s'étaient pas élevées, à droite comme à gauche, pour s'y opposer. Résultat, notre système compte deux systèmes mal articulés de soutien aux faibles revenus pour un coût total de plus de 13 milliards d'euros. Les aides au logement constituent un troisième mode de soutien aux revenus les plus faibles pour un coût additionnel équivalent. Un seul mécanisme suffirait, évitant les incohérences et la dispersion. La droite en est convaincue, la gauche n'a pas encore de doctrine sur ce point, qui concerne quelques millions de foyers.
8. La réforme par expérimentation. Le mode d'élaboration des politiques sociales est facteur de coûts. Combien de réformes ont été a posteriori épinglées par la Cour des comptes pour avoir des coûts démesurés et des effets incertains ? Il est toujours difficile de remettre en cause ce qui a été créé : résultat, les dispositifs s'empilent et l'efficacité s'amenuise. Les gouvernements devraient s'imposer, sous le contrôle du Parlement, d'initier des réformes par des expérimentations permettant de mesurer le rapport entre le coût et l'efficacité de mesures nouvelles et de pouvoir remettre en cause des mesures anciennes, parfois obsolètes.
Une grande entreprise ne survivrait pas longtemps sans un département de recherche et développement capable de tester ses innovations avant de lesintroduire sur le marché. C'est pourtant ce qui manque aux politiques sociales ou seul existe le contrôle a posteriori, qui intervient pour évaluer une réforme déjà plusieurs fois réformée...
9. Le financement des associations. Les associations jouent un rôle crucial en complément de l'action des institutions publiques. Leur financement est de plus en plus fragile et leur vulnérabilité a de graves conséquences sur le tissu social. Cette situation risque de s'aggraver, les subventions aux associations étant l'une des premières cibles des coupes budgétaires. Une part de leurs ressources provient de la générosité publique. Or cette générosité est décroissante avec les revenus. Si les plus modestes donnent 1 % de leurs revenus, les plus aisés ne leur consacrent que 0,6 % des leurs, en moyenne.
Les incitations fiscales à financer le secteur ne sont pas suffisantes pour les plus fortunés. Ainsi, lorsque les assujettis à l'impôt sur la fortune pouvaient atténuer le poids de cet impôt en choisissant un investissement dans une entreprise ou un don au secteur non lucratif, seule une infime minorité a opté pour l'investissement désintéressé.
Aligner le "taux de générosité" des plus riches sur celui des plus pauvres ferait rentrer plusieurs centaines de millions dans les caisses des associations. Puisque cela ne se fait pas spontanément, il serait légitime de demander à chaque foyer fiscal, au-dessus d'un certain seuil, de justifier d'un don de 1 % à 2 % de ses revenus à des associations d'intérêt général ou, à défaut, d'abonder à un fonds pour le développement des associations à caractère social. Cela donnerait une bouffée d'oxygène aux associations et, surtout, leur permettrait de jouer leur rôle à l'égard des publics qu'elles accompagnent.
10. Des contributions écosociales. La taxe écologique est morte avant d'avoir été créée. Pourtant, il existe des mini-taxes écologiques fort utiles. Ainsi, sous l'impulsion de l'association Emmaüs, a été créée une "écocontribution textile" : quelques centimes payés sur chaque vêtement acheté, finançant la récupération et le recyclage, grand pourvoyeur d'emplois d'insertion. Ces contributions ont un double effet : elles évitent des dépenses d'incinération en augmentant la part recyclée ou réutilisée, et consolident des entreprises d'insertion, qui ont besoin de moins de subventions pour faire leur travail social, ô combien utile. De tels mécanismes pourraient être créés dans plusieurs autres domaines.
Voilà dix idées de transformations sociales. Elles ne sont peut-être pas très spectaculaires ni très "glamour". Mais elles s'attaquent à dix problèmes essentiels et ne dépendent pas d'un retour à meilleure fortune de la France, d'une croissance enfin supérieure à 2 %, ni ne creusent les déficits publics. Les candidats qui s'engageraient à faire de telles transformations ne pourraient pas s'abriter derrière la conjoncture internationale ou les contraintes européennes pour ne pas les mettre en oeuvre. Ils auraient la certitude d'avoir un impact concret sur la situation des Français qui subissent le plus le choc de la crise. Ils pourraient cesser de faire rimer le mot réforme sociale avec régression ou avec déficit. Et ils pourraient éviter ce risque de dislocation sociale dont les conséquences peuvent être ravageuses.


Attirer aux États-Unis les infirmières canadiennes?

Agence QMI  
10/12/2011

OTTAWA – L’Association des infirmières du Canada (AIIC) s’inquiète de l’importation au pays de l’examen américain d’autorisation pour infirmières et infirmiers. Selon l’AIIC, l’objectif de ce nouvel examen est d’attirer le personnel infirmier canadien aux États-Unis.

L’examen canadien actuel, l'Examen d'autorisation d'infirmière auxiliaire au Canada (EAIAC), sera remplacé par celui de la National Council of State Boards of Nursing (NCSBN), offert dans 10 pays.

Selon l’AIIC qui regroupe 11 associations et ordres provinciaux et territoriaux au pays, l'adoption de cet examen pourrait se traduire par une mobilité accrue des infirmières autorisées d'un côté à l'autre de la frontière.

«Au lieu d'instaurer et de maintenir des normes qui appuient la prestation de soins de santé sûrs et de qualité pour satisfaire aux besoins de la population canadienne, les organismes de réglementation risquent d'avoir grandement facilité le recrutement de personnel de soins de santé canadien par les États-Unis», a déclaré Judith Shamian, présidente de l'AIIC.

L’association canadienne déplore notamment que les nouveaux membres de la profession infirmière pourraient subir, au plus tôt dès 2015, un examen sans aucun contenu canadien.
«Ça ne s’applique pas au Québec puisque la province a son propre examen», administré par l'Ordre des infirmières du Québec, a toutefois précisé Kate Headley, coordonnatrice des communications externes de l’AIIC.

Encore trop de lits dans les hôpitaux psychiatriques


L'offre de lits dans les hôpitaux psychiatriques a baissé de 37% en 25 ans en Belgique, selon le Mouvement pour une Psychiatrie Démocratique dans le Milieu de Vie (MPDMV).
Cependant, notre pays figure toujours en tête de liste du palmarès européen du plus grand nombre de lits en hôpitaux psychiatriques, avec plus de 150 lits par 100.000 habitants, rapportent lundi les journaux de "L'Avenir".
 
Dans ce classement réalisé par l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) en juillet dernier, la Belgique n'est devancée que par Malte.
 
Cette baisse du nombre de lits en Belgique est lente par rapport à d'autres pays comme l'Italie ou l'Espagne, qui ont déjà pratiquement éliminé tous leurs hôpitaux psychiatriques pour ne financer désormais presque exclusivement plus que des services de proximité, affirme le MPDMV.
 
Selon ce dernier, les hôpitaux psychiatriques, coûteux et inhumains, ne sont plus en adéquation avec la société pour octroyer des soins de santé mentale. Un constat partagé par l'Institut wallon pour la Santé mentale (IWSM).
 
L'idée d'une ouverture vers un autre mode de prise en charge est au coeur de la réforme 107 adoptée cet automne, qui vise notamment à laisser les patients tant que possible dans leur milieu de vie. L'un des points importants de cette réforme est la création d'équipes mobiles d'intervention, qui disposeront de lits de crise. En Belgique, un quart de la population est confronté à une problématique de santé mentale. (belga)
12/12/11

Valentin : querelle d'experts aux assises 

Par  , Stéphane Durand-Souffland

Provocateur, le Dr Bensussan a déclaré voir dans les accusés «deux grands dingues».


Dans un procès ordinaire, le ton monte généralement au moment de l'examen des faits parce que le ou les accusés les nient. Au procès fou de Stéphane Moitoiret et Noëlla Hego, qui nient toute implication dansl'assassinat de Valentin, 11 ans, le ton monte quand les psychiatres défilent à la barre. C'est un signe, un symptôme, qu'ici, les faits relèvent en grande partie du délire.

Le Dr Paul Bensussan est au micro. Il est l'un des quatre praticiens (contre six) qui ont estimé quele discernement de M. Moitoiret était aboli au moment du crime, à supposer qu'il en soit l'auteur, ce dont personne ne doute réellement tant les indices matériels abondent en ce sens. L'expert est tellement en colère qu'il s'exprime en des termes étonnants, voire choquants. «C'est la première fois que je vois deux grands dingues dans un box de cour d'assises », tempête-t-il.

Il a rendu un rapport séparé, alors qu'il avait été commis au sein d'un collège composé de deux confrères, les Drs Peyramond et Bornstein, dont il ne partage pas le diagnostic. Cela arrive. Mais le Dr Bensussan affirme qu'il a été soumis à des «pressions » destinées à l'empêcher d'exprimer sa voix discordante, de maintenir «un chouïa de discernement» afin qu'un procès «à vertu thérapeutique » soit offert à la famille de la victime. «J'ai les preuves», menace-t-il en pointant du doigt son cartable. Stigmatisant l'attitude de ses deux confrères, il n'y va pas avec le dos de la cuiller : «C'est du pipeau, du négationnisme diagnostique. Stéphane Moitoiret délirait à pleins tuyaux depuis dix-huit ans au moment du crime. C'est un schizophrène. Il y a enfumage de la cour d'assises, on ne met pas les dingues en taule.» Le président Bréjoux : «Ce n'est pas à mon âge qu'on va m'enfumer.» Derrière cette pique amusante, transparaît une exaspération manifeste à l'encontre de cet expert au vocabulaire relâché, qui met en cause les deux praticiens qui ont déposé dans la matinée.

«Ce spectacle est lamentable, tempête l'avocat général

Tout cela est pain bénit pour la partie civile, qui entend que la responsabilité - même s'il n'y en existe qu'une «once» comme l'a admis le Dr Bornstein -, soit retenue, ouvrant au box les portes du cachot. Me Collard, rusé comme un renard, titille longuement le bouillant psychiatre sur la forme de son discours. Il ne s'agit pas tant pour l'avocat d'être bon, mais d'être long, pour que son contradicteur finisse par exaspérer le jury. L'expert se défend pied à pied, son magistère pâlit puisqu'il doit se défendre. «Vous vous comportez en pontife de la psychiatrie», l'accuse Me Collard, qui a sans doute servi cette formule mille fois au cours de sa carrière. Le Dr Bensussan repousse cette idée d'infaillibilité.


On s'éloigne des faits - il y a longtemps qu'on n'en parle plus. L'avocat général : «C'est scandaleux ! Ce spectacle est lamentable ! Les experts viennent régler des comptes à la barre ! » La défense n'a pas le choix : elle tente de couvrir la voix d'en face. Le brouhaha est total, la confusion généralisée. Le président : «Je n'admettrai plus que quiconque intervienne.» Me Collard reprend son détricotage, souvent tendancieux, mais efficace. C'est cela, un procès à vertu thérapeutique ?

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samedi 10 décembre 2011


Les hospitaliers CGT demandent une dotation exceptionnelle

10.12.2011
 Les syndicalistes craignent une année 2012 difficile.Les syndicalistes craignent une année 2012 difficile.
Ils étaient une bonne dizaine, jeudi soir, à s'être postés devant la porte du tout nouvel hôpital de jour de psychiatrie. ...
Les syndicalistes n'ont pas perturbé le déroulement de l'inauguration de cette nouvelle structure, dont ils se réjouissent mais ils attendaient la venue du directeur de l'Agence régional de santé pour lui remettre une lettre ouverte. Ce dernier, excusé, s'était fait représenté. Et les syndicalistes ont joué de malchance car la maire de Calais, également destinataire du courrier, n'était pas non plus présente, retenue au ministère des Transports pour le dossier SeaFrance. Les hospitaliers CGT ont néanmoins alerté l'assistance sur divers sujets.

Moyens matériels et humains

En premier lieu, et en lien direct avec la prise en charge de patients relevant de la psychiatrie, les représentants de la CGT s'interrogent sur la politique de prise en charge des adolescents. « Nous attendons des moyens matériels et humains pérennes afin de répondre avec la meilleure pertinence possible aux problèmes de santé liés à cette jeune population ».
Dans sa lettre ouverte au directeur de l'ARH, la CGT évoque « les souffrances psychosociologiques rencontrées par le personnel ». Les syndicalistes précisent que le directeur du centre hospitalier « s'est engagé suite à l'intervention du CHSCT à diligenter une expertise par le biais d'un organisme extérieur, sur le mal être des personnels au travail ». La CGT craint que des difficultés apparaissent « avec le cumul des heures supplémentaires engendrant fatigue, stress, démotivation, dépression ». Les représentants syndicaux citent l'exemple de l'équipe sécurité incendie et de celle des sage-femmes « qui totalisaient, fin septembre, plus de 6 000 heures supplémentaires non récupérées ou payées ».
Pour la CGT, seul le déblocage d'une dotation exceptionnelle en 2012 permettra de sortir de cette situation. « Cela permettra au personnel de récupérer les efforts consentis pour faire fonctionner l'hôpital et aussi de recruter des personnels supplémentaires ». Selon les signataires de la lettre ouverte, « cette période sera rendue sensible par le déménagement, avec la présence du personnel sur deux sites, mais aussi les heures supplémentaires cumulées, ou encore les Jeux Olympiques ». •

Psychiatrie : des malades font partie de l'équipe soignante


Publié le vendredi 09 décembre 2011
L'Agence régionale de Santé met en place des "médiateurs" dès janvier
Une expérimentation pour deux ans dans trois régions démarre dans un mois. Ces patients "tuteurs" aideront les malades dans deux services marseillais. Un scandale pour les syndicats.
Photo archives L.P.
"Cette histoire me paraît complètement folle !", lançait abasourdi et scandalisé hier Pierre Tribouillard (FO Santé). L'Agence régionale de Santé ne nous a pas prévenus, même au plan national ! Et s'il suffisait d'être malade pour pouvoir soigner, ça se saurait". L'annonce hier par l'Agence régionale de santé (ARS) de la nouvelle expérimentation auprès des personnes souffrant de maladies mentales avec l'apparition d'un médiateur en santé mentale, lui-même patient, a provoqué la stupeur des représentations syndicales. Qui n'étaient au courant de rien. De quelques rumeurs tout au plus.
Pour faire simple, l'ARS Paca s'inscrit dans un programme national "qui permet aux personnes présentant des pathologies mentales pouvant aller des troubles dépressifs aux troubles psychotiques les plus sévères d'être accompagnées, dans le cadre de leur prise en charge, par des personnes ayant elles-mêmes traversé des épisodes de troubles mentaux". Le docteur Hugues Riff, directeur adjoint délégué aux patients, offre de soins et autonomie à l'ARS, a détaillé la mise en place de ces médiateurs, à titre expérimental donc, dans trois régions : Île de France, Nord-Pas-de-Calais et Paca.
"La réinsertion est possible"
"Ce principe existe dans d'autres domaines (cancérologie, addictologie...) et dans d'autres pays comme le Canada. Désormais, un pair stabilisé qui maîtrise sa maladie mentale peut devenir un aide". Deux équipes marseillaises vont accueillir cette expérimentation, ceux des professeurs Lançon et Girard. "Ce sont eux qui ont sélectionné d'anciens malades". À partir de janvier, ces médiateurs vont commencer leur formation, sur huit semaines à Paris, Lille et Marseille (une semaine par mois), et leur travail. "Les médiateurs vont intégrer les équipes et débutent une formation à la faculté de médecine en alternance de janvier prochain à octobre 2012. Leur formation est assurée par la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie). Et c'est l'ARS quifinance cette action pour un montant de 330 000 par an pour le recrutement par les établissements retenus (APHM, Valvert, Centre hospitalier de Cannes et Sainte-Marie à Nice) de 5 binômes de médiateurs, soit dix médiateurs sur la région. Chaque médiateur sera rémunéré 2 500 euros brut par mois. Il sera un acteur reconnu dans l'équipe de soin, et pourra faire aussi des visites à domicile".
Une mesure qui pourrait à terme révolutionner le paysage hospitalier français. "Les candidats ont été très nombreux : plus de 300 ! À terme, ce programme vise la reconnaissance d'un nouveau métier", notait le docteur Riff. "Le bénéfice est triple : pour le patient malade qui joue le rôle de médiateur en santé mentale, c'est une responsabilité qu'on lui confie, une intégration dans une équipe de soin. Pour le malade chronique, il a quelqu'un avec qui il se sent plus proche qu'un soignant. Et pour l'équipe, avoir recours à l'utilisateur du service de santé est important. Le tout pour montrer que la réinsertion est possible". Pour le docteur Riff, "pas de risque que les anciens patients "replongent" même si c'est dans le cadre d'une maladie chronique. À nous de montrer que ce dispositif peut marcher".
"Payés plus qu'une infirmière qui débute"
"C'est une bombe. Nous avons contacté le ministère de la Santé. Ce plan n'est pas officiellement arrêté et nous allons nous opposer à cette mesure qui ne répond pas aux besoins de la psychiatrie. On ne vise pas ces médiateurs mais nous sommes dans les pires difficultés de fonctionnement à cause entre autres du manque de personnel et du manque de lits. On se bat pour assurer nos propres formations, pour le maintien des postes et des recrutements car on ne trouve plus d'infirmiers sur le marché du travail. Et ces médiateurs sont payés plus qu'une infirmière qui débute (1615 bruts) !", s'insurge Pierre Tribouillard (FO Santé). Pour Gérard Avena (Sud santé) : "On ne veut même plus payer des gens pour s'occuper des malades mentaux. Mais comment un malade peut-il conseiller un autre ? On met quelqu'un qui souffre un peu moins pour soigner celui qui souffre plus ? Et en plus on le paye ? ! Et dans cette formation de huit semaines (!), ils vont apprendre quoi ? Nous, on n'apprend pas notre métier dans la théorie mais face à la souffrance morale, le délire, l'agressivité. Et enfin, la réinsertion passe par les médecins, l'assistante sociale, les aides soignants. Et de vrais moyens".
A. WESTENDORP

Actualité de la psychothérapie institutionnelle : « Le pouvoir et ses petites perversions »

Session de 5 jours (35 heures)
12 au 16 juin 2012 (cette session est organisée par l’Association Culturelle du CHS François TOSQUELLES de St Alban, le Collectif Rencontres et les CEMEA « Languedoc-Roussillon ». Elle se déroule en deux temps : séminaire de 3 jours les 12,13 et 14 juin puis participation aux Rencontres de St Alban les 15 et 16 juin)
Coût  : 526 euros + 190 euros (frais de participations aux Rencontres de St Alban)
Public Personnels soignants et éducatifs des secteurs hospitaliers et médico-sociaux.
Responsables pédagogiques Youssef Bentaala, formateur, cadre hospitalier, membre du Collectif Rencontres de St Alban Eric Bogeart, psychiatre hospitalier, membre du Collectif Rencontres de St Alban ; Hervé Chambrin, formateur, responsable « santé mentale et psychiatrie » CEMEA Languedoc-Roussillon
Intervenants (équipe en cours de constitution) Infirmiers, psychologues et médecins hospitaliers, éducateurs et cadres du secteur médico-social, artistes.
Objectifs
-  refaire connaissance avec l’histoire de la psychothérapie institutionnelle ;
-  travailler les concepts fondamentaux sur lesquels s’élabore la psychothérapie institutionnelle : inconscient, transfert, institution, collectif, équipe, club thérapeutique, créativité, vie quotidienne, etc. ;
-  actualiser les concepts de psychothérapie institutionnelle à partir du thème des Rencontres 2012.
Contenus
-  Apports sur les fondements de la psychothérapie institutionnelle et leur actualité ;
-  Le transfert à l’œuvre dans la rencontre avec le patient psychotique ;
-  L’institution, le collectif, l’équipe ;
-  Le club thérapeutique comme lieu d’un possible ;
-  La vie quotidienne et la créativité ;
-  Les pouvoirs, les perversions et les relations asymétriques.
Méthodes pédagogiques
Apports théoriques et études de textes à partir du fond de documentation de la bibliothèque du CHS. Analyse et élaboration à partir des situations professionnelles apportées par les stagiaires. Rencontres avec des équipes pratiquant la psychothérapie institutionnelle et des professionnels ayant participé aux expériences initiales de la psychothérapie institutionnelle. Documents vidéo. Rédaction d’une communication aux Rencontres de St Alban. Participation aux échanges et ateliers des Rencontres de St Alban.
Renseignement et/ou inscription : Hervé CHAMBRIN, pour les CEMEA LR ou Association Culturelle CHS François TOSQUELLES Rue de l’Hôpital 48120 Saint-Alban

Démission des chefs de pôle de l’hôpital psychiatrique de Ville-Evrard

09/12/2011
 
Seize des dix-huit médecins chefs de pôle de l’hôpital psychiatrique de Ville-Evrard (Seine-Saint-Denis) ont démissionné de leurs fonctions pour protester contre le maintien à son poste du directeur de l’établissement. Les démissionnaires lui reprochent des « erreurs de gestion », un« mépris à l’égard des soignants » et une « prise de décision arbitraire et autoritaire ». Les médecins chefs de pôle avaient menacé mi-novembre de démissionner de leurs fonctions si le directeur ne quittait pas l’établissement. L’ARS d’Ile-de-France a déclaré avoir « pris acte »de la démission des psychiatres et elle « examine la situation ». L’hôpital de Ville-Evrard compte environ 240 médecins et 2 400 salariés
Agence Technique de l'Information sur l'Hopsitalisation



Guide méthodologique de production du recueil d'informations en psychiatrie
Le document ci-joint est la version provisoire du Guide méthodologique de production du recueils d'informations médicalisé en psychiatrie, appelé à remplacer à partir du 1er janvier 2012 le fascicule spécial n° 2011/4 bis du Bulletin officiel.

Seule la publication de ce document au Bulletin officiel, à venir sous le numéro de fascicule spécial 2012/4 bis, constituera la version officielle de référence.

Pour faciliter la lecture, le document signale par un surlignage de couleur jaune les modifications intervenues par rapport à la version de 2011(BOS n° 2011/4 bis).
 
FICHIERS JOINTS 
 GUIDE_METHODO_PSY_2012vs2011.pdf - 904.71 Ko
Date de publication : 01/12/2011
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Des soins en continu, loin de la rue

A Lille, un dispositif pilote reloge des sans-abri atteints de troubles psychiques.

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Par FABIEN SOYEZ De notre envoyé spécial à Lille
Mi-octobre, André, 45 ans, dormait encore sous une tente, à Lille. Atteint de troubles psychiatriques sévères, il vit aujourd’hui dans un studio de 25 m².«Il peut fermer les yeux sans avoir peur qu’on lui vole ses affaires», constate Boumédienne, infirmier. Avec ses coéquipiers, Stéphane, éducateur spécialisé, et Emma, psychiatre, Boumédienne fait partie de l’équipe d’intervention du programme «Un chez soi d’abord», porté par les établissements publics de santé mentale (EPSM) de Lille et l’Abej (Association baptiste pour l’entraide et la jeunesse). Mis en œuvre à Marseille, Toulouse et Lille depuis quelques mois, ce dispositif expérimental s’adresse aux sans-abri atteints de troubles psychiatriques sévères. Il sera également appliqué à Paris en 2012.
«Au lieu de passer par des étapes, on leur fournit directement un logement, explique Pascale Estécahandy, coordinatrice du programme. Dans la rue, l’accompagnement est haché. Grâce à un logement pérenne, les personnes peuvent bénéficier d’une continuité dans les soins.» A Lille, cinq personnes ont été relogées. L’objectif est d’arriver à une centaine d’ici 2012.
Recours. Diogène, l’équipe mobile de santé mentale de l’EPSM Lille-Metropole, est chargée de repérer les sans-abris candidats. «Ils doivent être sans enfants et en situation régulière, explique Jacques Debiève, psychiatre à Diogène. Ils doivent aussi accepter notre aide.» Pas question de les forcer.«C’est la plus grosse difficulté. Certains sont si malades qu’ils sont hermétiques à l’aide.» Seul recours : les soins sans consentement, sur décision médicale. «Une fois soignée, la personne pourra accepter notre aide et être logée.»
En France, 1 à 2% de la population souffre de troubles psychiques. Chez les SDF, le pourcentage grimpe à 30%, selon une étude de l’Inserm en 2009.«Les SDF sont déjà malades avant de se retrouver dans la rue, explique Alain Bonifay, de l’Unafam (Union nationale des amis et des familles de malades psychiques). A contrario, le risque de se retrouver à la rue quand on est en souffrance psychique est considérable. Si leur famille cesse de les soutenir, les malades ont du mal à conserver un travail, un logement.»
Le mois dernier, Julien, 29 ans, arpentait les pavés du Vieux-Lille et dormait sur des bancs. Il possède désormais un petit studio dans un quartier «qu’il connaît bien». «Ils peuvent choisir où ils veulent vivre, les meubles à installer. S’ils veulent une table et une chaise rouge, on les aidera à les trouver», lance Stéphane, l’éducateur. Budget par personne aidée : 1 000 euros.
Une fois par semaine, un membre de l’équipe rencontre les relogés. «On les suit médicalement, socialement, mais aussi dans les actes de la vie quotidienne. On les aide à remplir des dossiers administratifs, on sort avec eux, on visse des meubles… On est disponibles en permanence», via un portable d’astreinte.Car, comme l’explique Patricia Cabot-Gatin, directrice de la Fnars (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale) Nord Pas-de-Calais,«il n’est pas évident pour certains de se retrouver seuls dans un logement. Ils ont besoin d’un accompagnement, pour éviter les retours à la rue.»
Allocation. Pour les logements, l’Abej les loue à des particuliers, avant de les sous-louer aux anciens SDF, qui touchent l’allocation adulte handicapé (AAH) ou le RSA (revenu de solidarité active). «Nous en avons trouvé treize, dans le parc privé, indique Nadège De Dominicis (Abej). Et nous allons passer des contrats avec des bailleurs sociaux.» Elle avoue : «Les propriétaires et les bailleurs peuvent avoir des appréhensions à l’idée de loger des schizophrènes. C’est notre mission de les rassurer.» Pour cela, rien de mieux qu’un bail glissant ou l’intermédiation locative : «L’Etat sert de garant, et l’équipe d’accompagnement rassure.» Au DAL (droit au logement) Nord-Pas-de-Calais, Philippe Deltombe reste circonspect devant cette expérimentation.«Il manque 48 000 logements rien que pour la communauté urbaine de Lille. Avant d’en proposer, il faudrait déjà en disposer.»
Problème surmontable, rétorque Vincent Girard, psychiatre de rue à Marseille, à l’origine du programme : «Les logements, ce n’est pas ce qui manque ! En France, on compte 2,121 millions de logements vacants.» Il cite les dispositifs à l’étranger : «Aux Etats-Unis, dans les 200 villes où s’est développé le "Pathways to Housing", 30% des SDF chroniques ont été relogés en trois ans. L’hospitalisation des sans-abri y est en forte baisse.»
Avant fin décembre, l’équipe lilloise doit être renforcée par des médiateurs de santé. Pour Boumédienne, l’infirmier, «ils ont connu la jungle de la rue ou les services de santé mentale, ils pourront créer avec ceux que nous aidons un lien différent».


L’école transformée en machine à désintégrer


Par PHILIPPE MEIRIEU Professeur à l’université Lumière-Lyon II, vice-président de la région Rhône-Alpes (EE-LV) délégué à la formation tout au long de la vie
Dans le petit jeu des annonces gouvernementales qui s’emballent à l’approche des élections, le repérage des enfants «à risque» et «à haut risque» en maternelle est très représentatif d’une conception tout à fait cohérente de l’enseignement fondée sur des principes simples : médicalisation, détection et dérivation.
Longtemps, la métaphore médicale a joué un rôle critique en éducation. En 1967, les enfants de Barbiana écrivaient dans leur «Lettre à une maîtresse d’école» que «l’école se comport[ait] comme un hôpital qui soignerait les bien portants et exclurait les malades». Le caractère subversif de la formule s’est émoussé : avec la gestion libérale du système de santé, quand le management l’emporte sur le soin et que le «pilotage par les résultats» permet tout naturellement d’arroser là où c’est déjà mouillé, la médecine n’a plus rien à envier à l’école ! Mais, simultanément, le modèle médical s’est durci, se repliant sur le couple «diagnostic-remède», au détriment de la prévention, de la prise en compte des environnements et du travail en partenariat.
A l’école, ce modèle s’est rapidement banalisé : il ne s’agit plus de créer un milieu équilibré et structurant, de provoquer des rencontres fécondes, de stimuler l’attention et de mobiliser l’intelligence… On investit l’essentiel de notre énergie à repérer les dysfonctionnements et à intervenir au plus tôt par la médication spécialisée. C’est ainsi que l’on rabat la notion de «difficulté» (nécessairement issue d’une combinaison de facteurs) sur la notion de «trouble» (évidemment physiologique), que l’on finit par tenir pour quantité négligeable les problèmes sociaux et même par ignorer l’action pédagogique. On en revient finalement à la vieille conception de l’homme-machine : réparer les pannes individuelles plutôt que de créer les conditions du développement collectif. Avec la bénédiction des neurosciences qui apportent - et c’est bien normal - les connaissances qu’elles ont élaborées, en les transformant - et c’est beaucoup moins normal - en système d’interprétation des réalités scolaires.
Mais la médicalisation des difficultés scolaires pourrait voir ses effets pervers limités, voire être utilisée de manière bénéfique dans des cas spécifiques, si elle n’était enrôlée dans un processus à l’œuvre aujourd’hui à grande échelle : la classe est en train de devenir progressivement un lieu où l’on passe son temps à évaluer les élèves pour savoir s’ils ne seraient pas mieux ailleurs. On détecte et on dérive partout, renvoyant les élèves toujours plus loin : de la classe vers l’aide personnalisée, puis vers l’étude dirigée, le soutien scolaire, les cours particuliers, le psychologue et l’orthophoniste, les filières dédiées et les établissements spécialisés, Internet et les camps de vacances-études… L’école n’est plus qu’une gigantesque centrifugeuse construite autour d’un lieu vide - la classe - qui n’intéresse plus personne. Elle tourne sur elle-même en renvoyant les élèves de plus en plus loin, en même temps qu’elle creuse, en son sein, une véritable dépression scolaire. Pas étonnant, alors, que l’on sacrifie la formation des enseignants. Plus besoin de pédagogie ! Il suffit d’évaluer, de détecter, de dériver de plus en plus d’élèves, de plus en plus vite, de plus en plus tôt. Et ce mouvement prend une telle ampleur qu’il annihile toutes les velléités bienveillantes qui pourraient encore faire, ici ou là, d’une intervention spécifique une aide déterminante. La centrifugeuse tourne trop vite !
Ainsi, ce qu’on nous présente comme une machine à intégrer est devenu une gigantesque machine à désintégrer. Quand il faudrait mettre en place des collectifs à taille humaine portés par des équipes d’adultes solidaires, on fait exploser le système en une multitude de professionnels qui «se repassent le bébé». Quand il faudrait promouvoir l’entraide entre élèves et le suivi personnel dans des groupes solidaires, on multiplie les tests et les évaluations de toutes sortes pour faire fonctionner une «usine à gaz» de plus en plus complexe. Quand nous aurions besoin de mobiliser les enfants et les adolescents sur un projet culturel ambitieux pour leur permettre de dépasser leurs difficultés, on les juge, de plus en plus tôt, sur ce qu’ils sont et on les enferme dans leurs symptômes. Quand nous aurions besoin d’une école qui unit, nous voyons émerger sous nos yeux une école qui fragmente, exclut et isole. Il est temps d’inverser le mouvement.