vendredi 5 août 2022

Une nuit aux urgences de La Roche-sur-Yon, qui filtre désormais les entrées en imposant aux patients un appel préalable au 15

Par  Publié le 4 aout 2022

Laetitia Preaud, aide soignante, transfère un patient vers la salle d'attente des Urgences du Centre hospitalier départemental (CHD Vendée) de La Roche-sur-Yon.

En Vendée, pour espérer une prise en charge, les patients doivent désormais passer par le 15 de 23 heures à 8 h 30. Objectif, préserver les urgences, en souffrance face au manque de soignants et à l’afflux de malades, particulièrement pendant l’été.

« Les journées se suivent mais ne se ressemblent vraiment pas » aux urgences, glisse Jordan Gendre, praticien hospitalier de 38 ans, le regard encore alerte malgré l’heure avancée. Les nuits encore moins, dans ces services hospitaliers qui accueillent des patients 24 h/24. C’est bien ce qui fait le sel du métier, pour les urgentistes de La Roche-sur-Yon installés autour d’une tarte aux fraises ce samedi 30 juillet, au sous-sol du Centre hospitalier départemental (CHD), à quelques pas de la salle du SAMU. Il est 2 h 30 du matin. Enfin, ils ont quelques minutes pour souffler et avaler un semblant de repas après un violent rush durant lequel tout s’est accéléré.

« Faut que les touristes aillent se coucher maintenant », lâche en riant un infirmier. Réflexion faite, ce ne sont que de « locaux » dont ce dernier s’est occupé ces dernières heures avec la structure mobile d’urgence et de réanimation (SMUR). Accident de moto, tentative de suicide médicamenteuse, hémorragie interne après un malaise… Tout semble s’être concentré autour de minuit, alors que la salle de régulation du SAMU, qui reçoit les appels au 15 et au 116 117 (médecine générale), était déjà en effervescence pour répondre aux nombreux appels estivaux de ce département touristique.

L’année est particulière : les soignants vendéens assistent à une explosion par rapport à l’été précédent, avec 30 % d’appels en plus en juillet. Et des journées d’affluence aux urgences, comme ce lundi record du 18 juillet. Il est resté gravé dans la tête de nombreux soignants :  « 233 entrées », dont « 76 dossiers juste la nuit !  », répète une aide-soignante.

Un agent de sécurité invite des personnes à appeler le SAMU devant les urgences du Centre hospitalier départemental de La Roche-sur-Yon, le 30 juillet 2022.

Il y a une semaine, la décision a été prise : pour préserver les urgences, en souffrance face au manque d’urgentistes (40 postes sont vacants sur 100 dans le département), un filtrage à l’entrée des services est mis en place de 23 heures à 8 h 30. Depuis le 22 juillet, la population doit passer par les numéros d’appels d’urgence avant de pouvoir être admis. Ceux qui se présentent rencontrent portes closes, et doivent actionner le téléphone installé à l’entrée pour obtenir un feu vert du 15, ou être réorientés. Et ce, dans l’ensemble des services vendéens à La-Roche-Sur-Yon comme aux Sables-d’Olonne, ou encore à Challans, Fontenay-le-Comte et Luçon, où cela commence plus tôt en général, en fin d’après-midi, comme à Montaigu, dont le service est fermé la nuit.

« On n’est pas à l’abri de se tromper »

« C’était la pire régulation de ma vie », lâche l’urgentiste Camille Brunellière, qui revient d’une intervention auprès d’un homme victime d’un accident de moto, emmené depuis au bloc opératoire. Mais ce n’est pas pour cette raison que sa soirée a été rude, ni parce que la salle des urgences vitales, la « SAUV », s’est remplie en trente minutes à peine avec trois patients en même temps dont le sien, comme cela arrive rarement. Pour la médecin de 31 ans, « l’horreur », c’était avant : ces longues heures à devoir gérer un flux d’appels qui ne s’arrêtait plus. « On me demandait des choses dans tous les sens, c’était des interruptions de tâche permanentes », dit-elle. Aucun autre médecin ne pouvait l’aider, puisque ses deux collègues urgentistes étaient en intervention SMUR. Et il ne restait donc aucune équipe de SMUR à envoyer en cas de besoin. Il a fallu jongler.

« Il y a des chats noirs dans les équipes », lâche-t-elle avec le sourire, tout en ne pouvant s’empêcher de repenser à certains cas de sa soirée, comme cet homme désormais en réanimation, « le translucide », qui a subi une hémorragie dont l’origine n’a pas encore été identifiée. « Quand on doit aller très vite, on n’est pas à l’abri de se tromper, ou de ne pas pouvoir poser assez de questions, pointe la jeune femme. Quand j’ai eu sa famille au téléphone, ils étaient rassurants, ils disaient qu’il avait fait un malaise, qu’il était juste un peu pâle, je n’ai pas envoyé de médecin, juste les pompiers… et quand ils ont fait le bilan, c’était la cata. » A-t-elle raté quelque chose ? Refaire l’histoire, « c’est toujours facile après, avec le recul », écarte Jordan Gendre, qui s’est occupé du patient.

Médecins du SAMU en salle de régulation au Centre hospitalier départemental de La Roche-sur-Yon, le 29 juillet 2022.

Les urgentistes soutiennent ce nouveau filtrage la nuit, même si ce dispositif ajoute de nouveaux appelants sur les lignes du SAMU – elles ont été renforcées avec des assistants de régulation médicale, sans que cela ne soit suffisant. « Même si c’est horrible à dire et que je n’aime pas infantiliser les gens, il y a beaucoup de personnes à éduquer pour qu’elles ne viennent pas la nuit », souligne Camille Brunellière. Heureusement, ces dernières heures, la petite traumatologie ne s’est pas ajoutée au reste dans les couloirs des urgences de La Roche-sur-Yon.

A l’étage au-dessus, l’infirmier d’accueil et d’orientation, Alexandre Genaudeau évalue le niveau de gravité des personnes qui arrivent aux urgences. Il a pu ainsi aller donner des coups de main pour installer les patients en salle d’urgence vitale. « Ça commence juste à se poser », dit le jeune homme de 26 ans à 3 heures du matin. Il appréhendait un peu sa première nuit avec le filtrage, et redoutait les réactions des malades à l’entrée, mais cela se passe plutôt bien.

Plusieurs heures d’attente

Depuis 23 heures, une petite dizaine de personnes ont été bloquées devant les portes du service, obligées de décrocher le téléphone avant d’espérer une prise en charge. « C’est abuser », juge une femme de 29 ans installée à l’heure charnière sur l’escalier extérieur, avec son téléphone sur l’oreille branché sur le 116 117, après avoir été recalée. Sur ce numéro tenu par la médecine générale, consacré à ce qui ne relève pas de l’urgence, les temps d’attente dépassent régulièrement plusieurs heures. La jeune femme voulait un test au Covid-19 gratuit, disant avoir du « mal à respirer », mais avoir « perdu son papier de vaccination »« Tout ce qui ne justifie pas les urgences, on réoriente », explique l’infirmier d’accueil, qui a vu la jeune femme juste avant la fermeture officielle des portes.

Téléphone pour contacter le SAMU à l’entrée du service des urgences du Centre hospitalier départemental de La Roche-sur-Yon, le 29 juillet 2022.

Un peu plus tard dans la nuit, vers 1 heure, une maman patiente nerveusement devant la porte avec le combiné du téléphone accroché au mur à la main, accompagné de son fils qui s’est coupé le pied avec du verre. « Je voulais juste savoir s’il fallait des points de suture », dit-elle. La famille est en ordre de bataille pour partir en vacances, bagages prêts dans la voiture, afin d’éviter la journée noire de ce week-end de chassé-croisé qui s’annonce. « On comprend bien qu’on n’est pas une urgence vitale mais ce serait bien juste si quelqu’un répondait, reprend-elle, après un quart d’heure de mise en attente. Il y en a des accros aux urgences, pas moi, je ne viens jamais, juste en dernier recours… tant pis, on s’en va ! »

« C’est pour une admission aux urgences », enchaîne poliment Alexis dans le téléphone, arrivé quelques minutes plus tard. Le jeune homme de 20 ans a reçu un choc sur le poignet et est venu à la fin de son service de cuisinier, comme la douleur persistait. « Il n’est pas près de passer, lui », lâche gentiment l’agent de sécurité, qui dit faire beaucoup « d’explication »depuis la mise en place du filtrage. Verdict une petite heure plus tard : « Le médecin m’a dit qu’il y avait beaucoup d’accidents de la route, donc qu’il fallait revenir demain matin, parce que là c’était six heures d’attente pour mon cas », indique-t-il un peu déçu, sans oser néanmoins la moindre critique. Le décalage est en effet saisissant avec les ambulances et les camions de pompiers qui continuent d’arriver à la chaîne, derrière lui. Et de décharger ici une jeune femme en crise d’angoisse qui n’arrive plus à respirer, là une dame âgée, entourée de pompiers harnachés des pieds à la tête, pour un Covid-19.

« A un moment, ça casse »

Installé seul dans une petite salle d’attente, Louis a pu entrer après régulation devant la porte, avec son arcade sourcilière en sang sous un bandage. Le jeune homme de 26 ans, qui a pris « un coup de boule », a quand même été déstabilisé par ce barrage d’un quart d’heure au téléphone : « je suis hémophile », pointe-t-il, tout en soulignant qu’une fois dans les urgences, « c’était très réactif ».

Pour François Brau, co-chef des urgences-SAMU-SMUR du CHD Vendée, s’il est trop tôt pour faire un bilan chiffré sur ce nouveau fonctionnement, il est certain que cela a permis de faire redescendre la pression. « Je récupère des sourires la nuit dans les équipes, alors que c’était le “nervous breakdown” la semaine dernière », dit le médecin de 48 ans. « On est arrivé au bout d’un système qui court à sa perte, ça fait quinze ans qu’on se prend 3 ou 4 % de passages en plus par an, on a beau avoir augmenté les lignes de garde [médecins et soignants], triplé la taille du service en 2015… ça ne suffit jamais, et à un moment, ça casse », ajoute-t-il.

L’urgentiste a évolué face à ses convictions : « Il faut changer les mentalités et on ne peut pas compter sur la bonne volonté, c’est vain et c’est normal, estime-t-il. Il y a l’urgence d’une part, et l’inconfort d’une entorse, du lumbago qui fait mal, de la cystite… qui peuvent attendre le lendemain et qui relèvent de la médecine générale. On ne demande pas aux gens de s’auto-diagnostiquer, juste un peu de bon sens et s’ils sont en difficulté, ils appellent le 15. » Ces quelques patients en moins, c’est de la « charge en soins » et de la « pression dans le couloir » retirées aux urgentistes à un horaire où il faut à tout prix préserver un état de « concentration » et une « disponibilité » pour les vraies urgences.

Patient en transfert vers la salle d’attente des urgences du Centre hospitalier départemental de La Roche-sur-Yon, le 29 juillet 2022.

Est-ce la communication autour du nouveau dispositif ou bien la chance ? La journée du vendredi 29 juillet à La Roche-sur-Yon – sans aucun filtrage pour le coup – a été incroyablement calme. Dès le matin, le responsable comptait seulement 23 patients aux urgences, contre près du double habituellement. « Ça fait un bien fou », souffle une soignante. Personne n’a pour autant chômé, entre une femme qui vomissait et avait des troubles de la conscience, un vieil homme avec une faiblesse brutale intervenue dans le bras, ou encore cette femme de 85 ans qui a fait un accident cérébral la veille. « On dit que les hôpitaux sont débordés, on hésite toujours à venir, on ne veut pas surcharger », dit-elle, installée sur un brancard. « Mais vous avez largement votre place aux urgences », lui répond l’infirmier d’accueil et d’orientation, Lucas Merlet, en insistant du regard. « Il y en a qui viennent alors qu’ils n’ont pas forcément besoin, et d’autres qui devraient, mais qui ne veulent pas déranger… », siffle sa collègue de 24 ans, Clémence Verdon.


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