vendredi 5 août 2022

Fracture Pour réduire les inégalités sociales, une étude suggère de favoriser les amitiés entre riches et pauvres

par Arthur Quentin  publié le 2 août 2022

Une enquête publiée dans la revue «Nature» montre que les liens d’amitiés entre enfants issus de classes sociales opposées permettraient aux plus modestes de gravir plus facilement l’échelle sociale. 

Créer davantage de liens d’amitié entre riches et pauvres, serait-ce le meilleur biais pour permettre à «l’ascenseur social» de fonctionner ? C’est ce que suggère une étude publiée ce lundi dans la revue scientifique Nature. Cette dernière explique que pour un enfant issu d’un milieu modeste, vivre dans un environnement où les amitiés transcendent les classes sociales augmente considérablement le niveau de vie à l’âge adulte. Ainsi un jeune qui grandirait dans un quartier où 70% de ses amis sont riches verrait ses revenus futurs augmenter de 20%.

Pour décrire le phénomène de ces amitiés faisant le pont entre les classes sociales, les chercheurs à l’origine de l’étude emploient un terme relativement technique : la «connectivité économique». La méthode qu’ils ont employée pour l’analyser ne l’est pas moins… Ils se sont appuyés sur les données de 72 millions d’utilisateurs de Facebook aux Etats-Unis. Soit 84% des adultes américains âgés de 25 à 44 ans. Les universitaires ont utilisé le code postal, l’âge, le parcours d’études ou encore le modèle de téléphone de tous ces utilisateurs pour déterminer leurs revenus. Puis ont passé au crible quelque 21 milliards de liens d’amitié sur le réseau social. Rares sont les enquêtes d’une telle ampleur…

Cette méthodologie complexe a permis d’aboutir au même constat pour chaque analyse : plus il y a de liens entre les riches et les pauvres dans un quartier, plus ses habitants arrivent à sortir de la pauvreté. «Grandir dans une communauté dépassant les clivages sociaux améliore les résultats des enfants et leur donne une meilleure chance de sortir de la pauvreté», résume au New York Timesl’économiste d’Harvard Raj Chetty, qui est un des quatre principaux rédacteurs de l’étude.

Favoriser la mixité sociale

Le journal américain est parvenu à trouver des exemples concrets permettant d’illustrer cette thèse. Et a recueilli le témoignage de Jimarielle «Mari» Bowie. Cette jeune Californienne de 24 ans appartenait à la classe moyenne inférieure. Ses parents ont divorcé, perdu leur emploi et leur maison lors de la crise du logement de la fin des années 2000. Au lycée, elle s’est liée d’amitié avec des filles qui vivaient dans les quartiers riches de sa ville. «En rencontrant des gens plus aisés, j’ai pu entrer dans ces cercles, comprendre comment ces gens pensent. Je pense que cela a fait une différence significative», explique au quotidien celle qui, grâce à ses fréquentations, a notamment été amenée à passer le SAT, le test qui permet d’intégrer les universités américaines. Aujourd’hui, elle est devenue la première personne de sa famille à obtenir un diplôme de troisième cycle.

Ainsi ces amitiés interclasses auraient un impact plus fort encore que la qualité d’un collège, d’un lycée ou la structure familiale sur le devenir d’un individu. Les liens avec des personnes plus instruites ou aisées permettraient dès l’enfance de façonner les aspirations, les études, les cheminements de carrière. En bref, ouvriraient des opportunités. Tandis que la fracture sociale, croissante aux Etats-Unis, les fermerait.

Favoriser la mixité sociale notamment durant l’enseignement secondaire semble donc être la clé. Le lycée Angelo-Rodriguez, que la jeune femme interrogée par le New York Times a fréquenté, semble l’avoir compris. Cet établissement comptant près de 2 000 étudiants, dont les trois quarts ne sont pas blancs, revendique le fait de créer des interactions entre ses élèves. En mettant par exemple en place des créneaux spéciaux au cours desquelles des élèves de classes différentes peuvent se rencontrer.

David Leonhardt, éditorialiste du New York Times, s’interroge surce qui «pourrait augmenter les interactions interclasses ailleurs ?» Davantage de logements sociaux dans les quartiers favorisés, investir dans des espaces publics ouverts à tous ou encore diversifier davantage les établissements scolaires allant de la maternelle au secondaire, liste-t-il. Les mêmes prérogatives se retrouvent en France. Et des solutions commencent à être trouvées. En 2017, plusieurs expérimentations destinées à favoriser la mixité sociale dans les collèges ont été lancées. Et ont été couronnées de succès. A Toulouse notamment où, après la fermeture de deux collèges défavorisés, près de mille élèves ont été répartis dans onze autres établissements de centre-ville ou de zone pavillonnaire. Quatre ans plus tard, ils avaient sensiblement augmenté leurs résultats lors du brevet des collèges.


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