vendredi 5 août 2022

Vague de chaleur : la prison de Fresnes surchauffe, les détenus suffoquent

par Romain Boulho  publié le 2 août 2022 

Le député insoumis Louis Boyard a visité le centre pénitentiaire lundi, au moment où une nouvelle vague de chaleur frappe durement les prisonniers qui demandent une douche par jour et des glacières.

Au stylo rouge, d’une écriture qui s’affaisse, un détenu liste des revendications. Dans la minuscule bibliothèque d’une division de la maison d’arrêt pour hommes de Fresnes (Val-de-Marne), treize prisonniers entrechoquent leurs désirs. Celui qui tient la plume, épaules larges et cou de buffle, commence l’inventaire par «un frigo». Enchaîne sur les douches, prises seulement une fois tous les deux jours. Un détenu, le crâne piqueté de gris, interrompt sa partie d’échecs et livre un paradoxe : «Quand il fait froid, la douche est froide. Quand il fait chaud, elle est chaude.» A Fresnes, les récentes vagues de chaleur ont durement frappé le bâtiment, très vétuste et surpeuplé – le sort des prisons françaises.

«On boit de l’eau chaude»

Le prisonnier au cou de buffle remet son bout de papier à Louis Boyard, député Nupes de la troisième circonscription du département. Et lui dit d’une voix douce : «Tu veux pas venir au parloir ? On prendra le temps, je te dirai tout.» L’élu insoumis, 21 ans, a toqué à la porte de la prison en début de semaine pour une visite surprise, comme son statut l’y autorise. Il y est entré pour vérifier qu’il ne s’agit pas «d’une zone de non-droit» et pour «savoir comment ça se passe» à l’intérieur, au moment où la canicule reprend de la vigueur. Fresnes voit son lot de visages insoumis ces derniers temps puisque les députées Rachel Keke et Clémence Guetté y sont également passées. Pour atténuer la dernière vague de chaleur, la direction fait valoir auprès du député la distribution de bouteilles d’eau «gratuitement», un aménagement des heures de promenade et une «attention particulière» portée aux personnes fragiles.

Fresnes, la deuxième prison de France après Fleury-Mérogis (1802 détenus pour 1300 places), est une pyramide inversée : plus on y monte, moins bien on y est loti. Le soleil troue la verrière du bâtiment, ouvert en 1898, et claquemure le quatrième et dernier étage dans une fournaise les jours d’intense chaleur. Au troisième, Louis Boyard entre dans une cellule. Un détenu vient d’interpeller le député, qu’il a repéré sur TPMP. Il confesse avoir de la chance puisque les punaises de lit le laissent tranquille et ne se plaint pas de l’étroitesse du lieu : il y a un an, il occupait ces 9m2 avec deux autres personnes. L’homme, maillot du Paris-Saint-Germain décoloré sur les épaules, ne demande en réalité qu’une chose : une glacière. «Dans cette chaleur, on boit de l’eau chaude. Et quand on achète des aliments, ils deviennent tout de suite immangeables.» Le détenu, un habitué, raconte que le confort n’a pas évolué d’un pouce depuis son premier passage il y a vingt ans : «Y a des tags de 1870 au moins ici. On est dans une prison, oui, mais…» Une fois, il a rencontré Rachida Dati. Il avait compris que l’ancienne garde des Sceaux venait pour serrer la vis. Là, il flaire autre chose de la part de l’insoumis… Il répète : «Glacière, rien qu’une glacière…»

Polo trempé

Plus tard, Louis Boyard établit un lien entre cette glacière et un «droit élémentaire». A Jimmy Delliste, le directeur de la prison, le député tend le papier à l’écriture rouge. Ce dernier répond : une simple glacière placée dans les cellules est impossible à installer puisque le réseau électrique, d’un autre âge, sauterait face à la surcharge, affirme-t-il. Pour les douches, il fait part des mouvements importants qu’elles nécessitent pour les gardiens. Le chef de l’établissement ne parle à la vérité que d’une solution à tous les problèmes soulevés : la mise en route au plus vite d’un schéma directeur, qui doit permettre la rénovation de fond en comble de Fresnes. Le projet, en stand-by depuis plusieurs années, nécessiterait au moins huit ans de travaux en site libre (comme à la prison de la Santé), quinze en site occupé. Louis Boyard : «Il faut d’urgence mener ce plan. La question fondamentale, c’est quels moyens donne-t-on pour garantir les droits de l’homme en prison.»

Du reste, la chaleur ne plombe pas seulement les détenus : un surveillant qui escorte le député maudit les jours à venir. Désigne sa «ceinture de sudation» (son gilet pare-balles), la détache et montre son polo trempé. Mi-juin, il avait calculé au doigt mouillé une différence de température de dix degrés selon les étages. Quand il descend vers le parloir, il soupire d’aise. Une médecin, qui officie au rez-de-chaussée, soutient pour sa part qu’elle se sent mieux ici que chez elle. Ce qui ne l’empêche pas de rêver tout haut : «Ce serait bien une petite clim… Et un petit jardin…»


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