vendredi 9 octobre 2020

SOFIA TEILLET, LA CHAIRE DE L’ORCHIDÉE


 


Par Sandra Onana photos Marguerite Bornhauser

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La comédienne présente en tournée sa conférence-spectacle poétique et drôle sur les interactions entre les espèces. Rencontre.

Sofia Teillet à Montreuil, le 4 octobre.


On aurait entendu les mouches voler, et sûrement les orchidées pousser au centre Wallonie-Bruxelles, où l’on a vu l’ébouriffante comédienne Sofia Teillet détailler fin septembre la fécondation des végétaux devant un auditoire recueilli. Tout part de sa détestation des orchidées. Ces fleurs «louches» qui se prétendent rares sans l’être, que l’on croise dans «les toilettes d’à peu près tous les restaurants chinois», et dont la physionomie n’aura jamais tant évoqué une vulve que sur ce schéma en coupe projeté au-dessus de la scène. De la sexualité des orchidées : le programme a beau être transparent, on s’attend à ce qu’il s’agisse d’un appât, l’alibi d’une conférence-spectacle à travers lequel son autrice et interprète chercherait en fait à discourir sur autre chose. A tout hasard, le couple, la sexualité au sein de notre espèce, voire celle des femmes en particulier.

Autant l’annoncer d’emblée : c’est bien de l’intimité des fleurs qu’a prévu de nous parler Sofia Teillet, en intarissable biologiste de l’absurde armée d’un paperboard et d’un powerpoint. Plus particulièrement du système de reproduction que dissimule ce tubercule fuchsia, si combinard, dont elle a découvert les secrets en tombant dans un «gouffre joyeux» de recherches. Et c’est une fabuleuse épopée du minuscule que cette leçon de choses, qui pourrait bien croître et s’épanouir des heures tant la conférencière y trouve matière à créer du jeu. Gesticulant pour mimer le voyage des grains de pollen, Sofia Teillet s’essouffle à reproduire la course erratique des insectes dans l’air, s’énerve, bafouille et reprend le fil de sa pelote verbale. Des graines de clownerie entre les touffes de savoir.

Bouture

On se dit que c’est une tragédie amoureuse que celle des plantes enracinées dans le sol qui essayent de se rencontrer. Ça raconte les stratagèmes d’un organisme pour perdurer dans l’existence, et ce qui se met dans le chemin des rapports. Le maintien de l’espèce à la merci d’un coup de vent, d’un raté, de ce qui aurait pu ne pas avoir lieu (il y a du suspense). Mais peut-être pas ? Menant son exposé comme elle conduirait un tank, Sofia Teillet nous laisse la liberté de décider à quel endroit tout cela nous parle, ces histoires de trajets, de relations parasitaires et d’entre-dévorations, ce qui fait son brillant. Le climat de pandémie actuel ne fait rien pour lui enlever de son pouvoir multivoque. «Le spectacle paraît faire écho à plein de sujets, mais je n’ai pas besoin de les dire, et je n’ai pas vraiment choisi de ne pas en parler non plus, confesse-t-elle quand on la rencontre quinze jours après la première parisienne. Je voulais parler de l’orchidée, vraiment, parce que je trouvais ça intéressant !»

A Montreuil, le 4 octobre 2020. Portrait de la comedienne Sofia Teillet

Photo Marguerite Bornhauser pour Libération

«Le projet est né de l’envie de travailler une forme légère, avec une dimension d’improvisation, en relation directe avec le public - d’en faire mon partenaire et metteur en scène. Je m’intéressais à l’agriculture après avoir fait plusieurs stages dans des fermes, mais j’ai choisi la reproduction végétale comme un prétexte, justement parce que je n’y connaissais rien. Je n’ai jamais été très bonne en sciences…» Entre la première bouture de sept minutes, écrite à l’issue d’un stage théâtral, et l’actuel format d’une heure, quatre années ont passé au cours desquelles Sofia Teillet absorbe les lectures scientifiques, et déplace sa conférence de bars en cabarets, entre deux projets (elle joue dans En manque de Vincent Macaigne en 2017, et participe aux créations de la compagnie suisse Old Masters entre 2018 et 2019).

Nectar

La forme achevée est née sous l’aile de l’Amicale de production, coopérative où les forces vives du théâtre mutualisent leurs moyens au service de projets «pas très catégorisables». «Je suis une inconnue, c’est une première création qui n’a pas la durée d’un spectacle normal… Une telle forme n’aurait pas pu exister dans l’organisation très pyramidale et cloisonnée du spectacle vivant. Il aurait fallu que je monte ma compagnie, demande des subventions, prenne des rendez-vous avec des gens qui n’en ont pas envie…» Il est vrai qu’on ne trouverait pas une étagère sur laquelle ranger ce merveilleux petit spectacle. Sans doute est-il un peu légataire d’une forme de poésie scientifique à la Francis Ponge, lui qui appliquait son prosaïsme gai à l’observation du «sucre élaboré au fond des tiges» dans ses poèmes, auscultait les feuilles des mimosas et la forme des œillets. Sur scène, la comédienne dit toujours «on» pour parler des orchidées. On finit donc par avoir le nez dans le nectar, se sentir pousser des pétales et reculer un peu en soi. Le dernier mouvement du spectacle s’est développé à partir d’une lecture de la Vie des plantes du philosophe Emanuele Coccia, nous apprend-elle, une méditation sur les interactions entre les êtres et l’atmosphère. Sur scène, la conférencière est de moins en moins exaltée et de plus en plus méditative quand elle interroge la nature dont nous procédons, l’inanité des grilles de lecture morale que l’on plaque dessus. Et alors, c’est fou, on se découvre bouleversé par le récit d’un lézard géant qui mange le vomi du poussin goéland. Un peu plus intégré à la respiration du vivant, conscient de l’écho que fait le silence quand il rebondit sur un public charmé.

A Montreuil, le 4 octobre 2020. Portrait de la comedienne Sofia Teillet

Photo Marguerite Bornhauser pour Libération

De la sexualité des orchidées de et avec Sofia Teillet Le 9 octobre au Centre culturel de Berchem-Sainte-Agathe (Belgique), les 6 et 7 novembre à l’Etoile du Nord (75018), les 13 et 14 à Agglo Pays d’Issoire (63)…



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