lundi 5 octobre 2020

Gauchiste, le pape François ?

 

Par Bernadette Sauvaget — 

Le pape François salue les fidèles depuis la fenêtre du palais apostolique donnant sur la place Saint-Pierre lors de la prière hebdomadaire de l'Angélus, le 4 octobre.

Le pape François salue les fidèles depuis la fenêtre du palais apostolique donnant sur la place Saint-Pierre lors de la prière hebdomadaire de l'Angélus, le 4 octobre. Photo Filippo Monteforte. AFP

Dans sa nouvelle encyclique, publiée dimanche, le jésuite argentin défend la cause des pauvres et critique le néolibéralisme.

L’affaire a commencé, il y a quelques semaines, par une polémique. En cause : le titre de la nouvelle encyclique du pape François, jugé genré. Reprenant une citation de François d’Assise, sous le vocable duquel le jésuite argentin a placé son pontificat, le texte s’intitule Fratelli tutti (ce qui signifie en italien, tous frères). Certain·e·s y ont vu un manque d’égard pour les femmes. Sans arriver à faire plier le pape et le Vatican…

L’encyclique du pape, la troisième de son pontificat, a été signée samedi à Assise, dans la crypte de la basilique où repose la relique de François et publiée dimanche. Et a bien gardé son intitulé d’origine. Dans ce texte très politique qui fait suite à son document sur l’écologie Laudato si parue en 2015, le pape revient à ses fondamentaux : la défense des plus pauvres et des migrants, la critique féroce du néolibéralisme, les préoccupations liées à l’environnement…

«Fausses certitudes»

«Pour le pape, il y a la nécessité à ce que nous changions de style de vie, analyse le jésuite François Euvé, rédacteur en chef de la revue EtudesEt tout le monde doit être partie prenante. Les plus pauvres ont eux aussi des choses à nous apporter.» L’approche de François, le premier pape à venir d’un pays du Sud, a toujours valorisé l’empowerment des déshérités, cassant l’image de la traditionnelle charité.

Pour le pape, la pandémie a mis «à nu nos fausses certitudes». A travers son encyclique, écrite dans un style simple et au ton souvent personnel, il souhaite s’adresser à «tous les hommes de bonne volonté» et non pas aux seuls catholiques. Le jésuite argentin pourfend la montée des nationalismes et des individualismes, s’inquiète de la perte du sens de l’histoire. «Les conflits locaux et le désintérêt pour le bien commun sont instrumentalisés par l’économie mondiale pour imposer un modèle culturel unique», écrit-il. Il s’inquiète que la politique soit désormais sous le joug de «puissances économiques transnationales qui appliquent le diviser pour régner».

Depuis le début de son pontificat, François est très alarmiste sur l’état du monde. «Que signifient aujourd’hui des termes comme démocratie, liberté, justice, unité ? Ils ont été dénaturés et déformés pour être utilisés comme des instruments de domination», s’inquiète-t-il. Sur le plan géopolitique, il considère que nous vivons une sourde «troisième guerre mondiale», «par morceaux», dit-il. Dans son encyclique, le pape s’affiche pacifiste et fait référence à des figures de la non-violence tels que Gandhi ou l’archevêque anglican sud-africain Desmond Tutu.

La peine de mort «inadmissible»

A l’occasion de Fratelli tutti, le pape met des limites à ce que la pensée catholique a défini comme la théologie de la guerre juste : «Nous ne pouvons plus penser à la guerre comme une solution, du fait que les risques seront probablement toujours plus grands que l’utilité hypothétique que l’on lui attribue.» A plusieurs reprises, le pape a plaidé pour un désarmement nucléaire global, a mis en cause la course aux armements et le trafic des armes. François s’engage aussi nettement contre la peine de mort, à ses yeux, «inadmissible» et demande son abolition dans le monde entier.

Le pape ne met jamais son drapeau dans la poche. Quitte parfois à prendre à rebrousse-poil ses propres troupes. Dans son encyclique, il tance les catholiques qui, sur la question des migrants, font «prévaloir certaines préférences politiques sur les convictions profondes de leur foi : la dignité inaliénable de chaque personne».

A l’aune de ce texte, François s’affirme encore comme l’une des grandes voix s’élevant contre les dérives du capitalisme financier. Son encyclique plaide pour une nouvelle fraternité mondiale et dessine ce que pourrait être le monde de l’après Covid-19, mettant en avant un dialogue entre les religions et l’attention aux plus pauvres. Gauchiste, le pape François ? La droite religieuse américaine l’accusait, au début de son pontificat, d’être un cryptocommuniste. Elle risque fort de partir en croisade contre la nouvelle fraternité qu’appelle de ses vœux François.



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