vendredi 29 septembre 2017

« “Girls” révolutionne l’idée du désir »

Iris Brey analyse les représentations de la sexualité féminine dans les séries américaines.

LE MONDE | 30.09.2017 | Propos recueillis par Martine Delahaye


Photo extraite de la série « Girls ».
Photo extraite de la série « Girls ». OCS


Auteure du livre Sex ­and the Series, publié en 2016 (Soap Editions), Iris Brey poursuit son travail sur la représentation des sexualités féminines dans les séries américaines avec un documentaire en cinq volets, que le bouquet OCS diffusera à compter du 5 octobre. A partir d’entretiens et d’extraits, elle y analyse cinq séries : Masters of SexGirlsFleabagTransparent et The L Word.

Dans les séries américaines, dites-vous dans votre livre, les femmes commencent à devenir des êtres sexués à partir des années 2000. Mais « Girls » (2012), « Masters of Sex » (2013) ou « Transparent » (2014), par exemple, n’apparaissent que plus de dix ans plus tard…

Pour moi, le début, c’est quand même Sex and the City, qui commence en 1998. C’est la première fois que l’on a une parole un peu libérée et libératrice. On parle de ça à chaque épisode. Cela dit, c’est vrai, la représentation de sexualités féminines qui innovent et nous questionnent n’apparaît guère avant 2010.

Auparavant, le plus gros de la production se révèle particulièrement stéréotypé et quasiment archaïque. Alors qu’avec Girls la créatrice et comédienne Lena Dunham révolutionne l’idée du désir : elle dévoile très souvent son corps en surpoids en tant que corps qui désire et qui est désiré. Et, dans les dernières saisons, elle montre son sexe dans des moments qui ne sont pas sexualisés, par exemple lorsqu’elle se met sur sa terrasse pour bronzer. C’est nouveau et intéressant parce qu’elle utilise son sexe pour transformer notre vision de ce qui est beau et désirable.


« Une série féministe est une série qui interroge les stéréotypes de genre »





Un autre personnage de Girls, Marnie, incarne cette génération de jeunes femmes qui se débat avec des images très contradictoires de la sexualité, entre éducation conservatrice et accès illimité au porno sur Internet. C’est la jeune fille prude au corps parfait, qui aura des scènes de sexe sans que l’on montre son corps, comme l’actrice l’explique dans le documentaire. C’est particulièrement novateur parce que, pré­cisément, on n’utilise pas sa plastique parfaite : au contraire, on joue avec ce côté traditionnel américain qu’elle représente, et on le casse notamment dans une scène d’anulingus, quelque chose que l’on n’a jamais vu dans une série auparavant.

Les scènes de sexe ne visent plus à émoustiller, mais à dire quelque chose des personnages, c’est bien cela ?

Oui. Après cette scène d’anulingus, le partenaire de Marnie lui dit : « J’ai adoré faire ça », alors qu’elle lui répond « Moi aussi, je t’aime »… En deux répliques, on comprend qu’ils ne vivent pas et ne parlent pas de la même chose, et à quel point ils ne sont pas du tout connectés, en fait.

A l’opposé de ce qui se fait le plus souvent, les scènes de sexe, dans Girls, ne sont pas là pour distraire, accrocher ou émoustiller le spectateur, mais pour que l’on comprenne mieux qui sont et où en sont ces personnages féminins.

Concernant « Game of Thrones », vous indiquez dans votre livre que les scènes de viol ne sont pas le fait de l’auteur des livres, George R. R. Martin…

C’est vrai. Mais le plus dérangeant, c’est qu’interrogé sur la scène de viol entre Cersei et son frère jumeau, Jaime, le réalisateur de cet épisode a expliqué que, de son point de vue, il ne s’agissait pas d’une scène de viol. Il ne l’a donc pas filmée comme telle. Alors même qu’il s’agit d’une femme opposant plusieurs fois un non à un homme qui tente de la pénétrer de force. Ce non n’est pas entendu. Cela crée des scènes de viol qui sont érotisées…

Estimez-vous néanmoins comme une avancée le fait que « Game of Thrones » mette en lumière l’inceste adelphique entre Cersei et Jaime Lannister ?

Ce qui me perturbe énormément dans les séries est le fait ­que l’inceste est surtout adel­phique – entre frère et sœur ou entre mère et fils –, et jamais entre un père – ou la figure paternelle – et sa fille, alors que c’est de loin le plus courant. Le viol entre père ­et fille reste un tabou, en­taché de honte. C’est un point d’aveuglement total, quelque chose que l’on ne veut pas représenter. Cela arrivera, mais plus tard, quand on aura fait un vrai cheminement pour que les victimes d’abus sexuels puissent s’exprimer au grand jour et soient écoutées.

« Game of Thrones » est souvent saluée pour mettre en scène des femmes fortes, alors qu’elles sont régulièrement maltraitées sexuellement…
Mais ce ne sont pas du tout ­des femmes fortes, pour moi. Ce ­n’est pas parce qu’on filme des femmes guerrières qu’il s’agit d’une ­série féministe, contrairement à ce ­que disent certains. Selon moi, une série féministe interroge les stéréotypes de genre. Or, dans Game of Thrones, la plupart des femmes sont objectifiées, sexualisées à outrance, ce qui n’est pas le cas des personnages masculins. Il y a eu une prise de conscience au fil des saisons, mais on est encore loin de représentations qui fassent avancer les choses.

A quelle prise de conscience pensez-vous ?

Au fait qu’il n’y a pas eu de scènes de viol gratuites cette saison-ci… Quelle avancée incroyable ! Et puis la comédienne Emilia Clarke, qui interprète Daenerys, refuse dorénavant de montrer ses seins. Ce personnage féminin qui était quasiment tout le temps mis à nu ne l’est donc plus… mais du fait de la comédienne.

Sex and the Series, d’Iris Brey (sur OCS City, à partir du 5 octobre à 21 h 30,5 × 26 minutes).

Sex and the Series. Sexualités féminines, une révolution télévisuelle (Soap Editions, 2016).



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