Inégalités . Une étude publiée dans le «Bulletin épidémiologique» explique en quoi la grande pauvreté peut conduire à l’obésité.
Pauvre et gros. Les liens entre précarité et obésité sont forts, on le sait. Veut-on des chiffres ? En voilà : en France, l’obésité et le surpoids sont quatre fois plus élevés chez la population ayant les plus bas revenus que chez les plus riches.
Ce constat, le professeur Arnaud Basdevant, de l’Institut de cardiométabolisme et nutrition de l’hôpital de la Pitié -Salpétrière, à Paris, le redit avec force dans un éditorial du Bulletin épidémiologique hebdomadaire, ou BEH (1), qui paraît ce mardi : «L’obésité, au-delà de la perspective biomédicale, est un témoin social. Il est classique d’en parler comme d’une maladie de la société d’abondance… Sans doute, mais l’épidémiologie nous apprend qu’il faudrait plutôt parler de maladie de la vulnérabilité sociale.»
«Arbitrages». Causalité massive, mais causalité difficile à analyser, car s’y mêlent des facteurs variés, et souvent cachés. D’où le grand intérêt de ce numéro spécial du BEH, où plusieurs études ont été réalisées «à partir de femmes recourant à l’aide alimentaire». Les chercheurs ont suivi près de 700 d’entre elles. Ils les ont bien sûr auscultées, avant de pratiquer des entretiens très détaillés en face à face. Résultat étonnant : «Les femmes ayant recours à l’aide alimentaire sont exposées à un risque particulièrement élevé de surpoids et d’obésité.» 36,4% sont en surpoids alors qu’elles ne sont que 23% dans la population générale, et 35,5% sont obèses contre 17,6%. Plus inquiétant, cette tendance s’aggrave : dans cette population, «en 2004-2005, 29,3% des femmes étaient en situation d’obésité».
Deuxième volet de ce travail : le concept de l’insécurité alimentaire. Nouveau, peu étudié en France, il est largement développé aux Etats-Unis. Il tourne autour de la crainte de ne pas pouvoir se nourrir suffisamment. L’enquête du BEH révèle que «l’insécurité alimentaire est sévère chez plus de 40% des femmes interrogées, et près des deux tiers en souffrent». D’où cette conséquence : «Cette insécurité détermine des arbitrages alimentaires ; par exemple en plaçant en priorité l’alimentation des enfants, avec pour conséquence un déséquilibre nutritionnel encore plus important chez la mère.»
Dents. Autre objet d’étude : les liens entre le surpoids et l’état de santé des dents. Ils sont impressionnants : parmi les femmes ayant recours à l’aide alimentaire, 60% déclarent au moins une dent absente non remplacée ; 18,3% entre 5 et 14 dents absentes non remplacées. A peine un tiers d’entre elles ont consulté un dentiste dans les deux années qui ont précédé l’enquête, et plus d’une sur quatre a «souvent ressenti de la gêne dans la vie quotidienne durant les douze derniers mois en raison de leur état bucco-dentaire». Problème, «l’adoption de comportements alimentaires défavorables à la santé et un recours aux soins différé peuvent renforcer l’effet des mécanismes, en particulier inflammatoires, liant obésité et mauvaise santé bucco-dentaire».
Enfin, il y a les troubles du sommeil, avec toujours le même constat. Une femme sur dix a un temps de sommeil particulièrement court : moins de cinq heures. Et pour ce groupe, «le risque est là encore significatif d’obésité».
Face à ce paysage, lourd d’inégalités sociales, le professeur Arnaud Basdevant s’inquiète des suites sanitaires. «Cette situation est des plus préoccupantes car l’obésité est à l’origine d’une série de maladies chroniques.» Que faire ? «C’est un impératif pour les stratégies préventives de se placer au-delà du modèle biomédical classique. Les données doivent permettre de construire de nouveaux modèles de prévention axés sur la réduction des gradients sociaux. C’est un défi commun à toutes les maladies chroniques liées aux évolutions des modes et contexte de vie.»
(1) L’obésité chez les femmes recourant à l’aide alimentaire : aspects sociaux et problèmes de santé associés, «BEH» du 17 juin 2014.
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