dimanche 20 février 2011

Pas des auxiliaires de police....
18 février 2011

Un homme est admis un soir dans un service de psychiatrie à la suite d’une tentative de suicide en garde à vue. Il est sans papiers. La police est catégorique et quelque peu pressante : quand on sera sûr qu’il ne risque plus de salir de son sang les fauteuils de l’avion, il devra être immédiatement reconduit à la frontière. Laquelle ? On ne sait pas vraiment mais on trouvera… L’homme se montre à son tour insistant, déversant ses torrents d’angoisse dans le puits d’incertitude qui s’est ouvert devant lui. Vous allez me donner à la police ? Non ! répondent les consciences unanimes. Sachant ce qu’il risque, personne ici ne se voit assumer le rôle d’auxiliaire d’une telle barbarie.

L’attente, insupportable, se poursuit les jours suivants. L’infirmier renvoie au médecin, qui renvoie à l’administration, qui renvoie à l’agence régionale de santé... mais personne ne semble capable de prendre une décision. Parce que les établissements de santé ne sont pas là pour assumer la politique migratoire du gouvernement. Parce que la situation administrative de cet homme est visiblement au cœur de la problématique qui l’a conduit à vouloir mettre fin à ses jours. Parce que l’accès aux soins dans ce pays est universel et que les conditions faites à ce patient le privent de ce droit à bénéficier d’une prise en charge adaptée. Dans le silence assourdissant de l’administration dont les mécanismes de fonctionnement n’ont que faire de l’urgence de la situation, la possibilité d’une demande d’autorisation temporaire de séjour pour raison médicale est évoquée.

Bien sûr, aucune raison médicale ne justifiant l’isolement du patient, celui-ci passe son temps à explorer les failles du système de sécurité et il ne tarde pas à trouver, force une fenêtre et parvient à s’échapper en sautant du premier étage, vêtu d’un simple pyjama. Il n’a sur lui que son téléphone portable. Il prend tous les risques, soulageant tout le monde du poids de ce lourd fardeau d’avoir à choisir entre sa conscience morale et l’obéissance à la loi. Tous les risques ou presque… puisque face à la pression policière, les infirmiers présents dans le service ont dû tenir bon pour éviter que certaines informations en leur possession ne soient utilisées pour mettre fin à cette dangereuse cavale et ne conduisent à la mise en cause des proches du patients, eux aussi coupables de « complicité de séjour irrégulier sur le territoire français ».

L’importance des forces de police déployées et l’énergie mise par les agents pour continuer la traque ont laissé ce jour-là planer dans l’air une drôle d’impression… Serions-nous si loin de cet État de droit respectant l’être humain et la liberté de conscience de chacun ? Heureusement, un vide juridique donne 48 heures à l’établissement pour signaler la « sortie » du patient et rien n’oblige les soignants à révéler à la police des informations personnelles couvertes par le secret médical. La pression était la seule arme des agents et elle n’a pas fonctionné. Rien ne nous oblige à livrer nos patients à la police !

L’homme, lui, a repris sa course, sans papiers, sans argent, il ne peut compter que sur lui-même. Peut-être aurions-nous pu mieux faire si nous avions su lui garantir la sécurité dont il avait besoin mais nous avons en tout cas évité le pire, l’expulsion tant redoutée vers un pays qu’il ne voulait même pas nommer tant il avait peur d’y être renvoyé.

Cette histoire devrait au moins servir d’exemple à ceux qui, comme nous, se trouvent face à ce type de situation : avec un peu de bonne volonté et de coordination, nous pouvons éviter l’expulsion de nos patients sans papiers et leur délivrer les soins auxquels ils ont droit comme tout être humain.
Gilles

Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 90 (17/02/11)

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