lundi 21 février 2011

Il faut protéger la petite enfance du sécuritaire
18.02.11

Point de vue

Sept ans après son premier rapport où il avait "inventé" l'idée fallacieuse du dépistage dès la crèche des bébés agités pour prévenir la délinquance, Jacques-Alain Benisti récidive dans un second rapport sur la prévention de la délinquance des jeunes. On aurait pu s'attendre à des propositions qui aient atteint l'âge de raison. Malheureusement les mêmes présupposés erronés persistent, malgré un langage plus policé et des précautions oratoires. L'auteur se souvenant sans doute de la réprobation massive par la société de son premier rapport, et des 200 000 signataires qui, en quelques semaines, ont répondu à l'appel "Pas de 0 de conduite pour les enfants de trois ans".

Ainsi, finaud, M. Benisti concède que tous les enfants présentant "des signes de mal-être à 3 ans ne deviendront pas des délinquants à 15 ans". Mais ne cède pas quand il maintient qu'"on constate à l'inverse, parmi les mineurs délinquants, un certain nombre de points communs dès leur plus jeune âge". Dès lors il retombe in fine sur une proposition fleurant bon la détection précoce des futurs délinquants, en concluant : "C'est pourquoi il est fondamental de focaliser la politique de prévention de la délinquance sur la prévention précoce". Dans cet esprit, la philosophie du nouveau rapport de M. Benisti se résume entièrement à l'objectif affiché de "faire de la politique de prévention de la délinquance le carrefour de toutes les autres politiques : sociales, ville, judiciaire, protection de l'enfance, scolaire".

Depuis la publication de l'expertise Inserm sur "le trouble des conduites chez l'enfant" en octobre 2005, le gouvernement, se justifiant des spécialistes et scientifiques qui le conseillent, confirme sa volonté de mettre en application la logique de pensée et de politique de prévention préconisée dans ce rapport. Logique et récupération politique contre lesquelles le collectif Pas de zero de conduite s'est constitué en janvier 2006, et mène sans relâche depuis, actions et réflexions.

Nous nous élevons contre cette énième tentative, quelques mois après la publication du rapport de M. Bockel, de pervertir la prévention auprès des bébés et de leur famille en l'annexant à la politique de prévention de la délinquance. Mais que vient donc faire la prévention de la souffrance psychique et des difficultés de développement des jeunes enfants dans la galère de la prévention de la délinquance ? Et qu'ont à faire dans cette même galère le "développement de la capacité langagière d'un enfant", la "culture précoce de la parentalité et de la bientraitance dès les premiers mois de vie", ou la proposition de "rendre les écoles maternelles obligatoires pour les enfants de 3 ans" ?

En reprenant les propositions de "cours de parentalité" si proches des projets de "coaching parental" chers à M. Bockel, en proposant de subordonner la protection de l'enfance à la prévention de la délinquance, en appelant les professionnels à une "obligation d'informer les maires de tout ce qui peut porter atteinte à la santé et à l'équilibre des enfants", le rapport 2011 de M. Benisti nous rejoue la partition de son rapport 2004. Une partition fondée notamment sur l'infantilisation, la suspicion et la sanction à l'égard des parents, et sur une nouvelle tentative d'assigner aux professionnels une mission de pistage et de contrôle qui dévoie la pratique et l'éthique de leurs métiers.

La logique de toute cette soit-disant "prévention de la souffrance" n'est en réalité que répression anticipatoire à une délinquance annoncée. Le tout servant à professionnaliser la délation, le contrôle et la répression. On repère, puis on met au carré, puis on sanctionne si ça ne plie pas. Les enfants par les parents, les parents par les professionnels, les professionnels par les parents, le tout avec des élus et une justice instrumentalisés.

Cette illusion de "mise au carré" en guise d'aide aux enfants en difficulté tend à se décliner avec cohérence du côté des enfants, comme du côté des adultes. En direction des enfants par un effacement des frontières entre l'éducation et le conditionnement précoce. En direction des parents par un effacement des frontières entre soutien à la parentalité et contrôle, entre accompagnement dans les difficultés et sanctions. En direction des professionnels enfin, par un brouillage des repères, missions, métiers, services au profit de protocoles, programmes et procédures d'expertises imposées.

LA PRÉVENTION PRÉVENANTE

Nous réaffirmons que la prévention prévenante est une finalité en soi qui n'a pas à se nicher à l'ombre des politiques de sécurité. Pourquoi céder à une telle manipulation qui relève au mieux d'une erreur idéologique, au pire d'un mensonge stratégique visant à concentrer les ressources et les moyens publics dans des dispositifs sécuritaires au détriment des institutions de santé, d'éducation, d'action sociale ?

Faut-il encore le redire ? Le collectif Pas de zero de conduite œuvre pour faire reconnaître l'importance et l'urgence de la prévention prévenante en faveur des enfants. Mais pas n'importe laquelle, et à n'importe quel prix humain, social, éthique. Nous insistons sur l'importance d'une prévention psychologique prévenante qui s'adresse aux enfants et à leur famille pour éviter que la souffrance, l'inadaptation, la perte de confiance en soi ne nuisent à leur développement, à leur épanouissement, à leur liberté future. Nous ne partageons pas cette défiance à l'égard des jeunes, contrairement à M. Benisti qui se dévoile en citant en exergue de son rapport : "Ne tardez pas à vous occuper des jeunes, sinon ils ne vont pas tarder à s'occuper de vous". L'engagement des professionnels du social, de la santé, de la psychologie, de l'éducation pour la prévention vise à protéger les enfants contre les dommages occasionnés en eux par des violences subies dans la société et les relations familiales et non à protéger la société et la famille contre les enfants.

Nous demandons aux pouvoirs publics que les ministères de la santé, de l'éducation, des affaires sociales retrouvent leurs bébés, au lieu de laisser orchestrer une politique de l'enfance rétrécie à la prévention de la délinquance par les ministères de l'intérieur ou de la justice. Il est fondamental de protéger la petite enfance du sécuritaire, de faire échec au rapt des bébés par les politiques de lutte contre la délinquance.

Sylviane Giampino, psychologue petite enfance, psychanalyste, Michel Dugnat, pédopsychiatre et Pierre Suesser, pédiatre en protection maternelle et infantile, sont membres du collectif Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans.

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