dimanche 26 mai 2024

Le billet de Jonathan Bouchet-Petersen «Devoir de visite» des pères absents, la vision trop simpliste d’Emmanuel Macron

par Jonathan Bouchet-Petersen   publié le 8 mai 2024

Forcer des pères démissionnaires à s’occuper de leurs enfants est une fausse bonne idée qui n’a que l’apparence du bon sens. Il serait plus pertinent de lancer un grand plan pour aider les mères à la tête de familles monoparentales, plus pauvres et plus mal-logées que la moyenne.

Chacun est d’accord pour dire que la parentalité n’est pas un bien qui se consomme à la carte. Mais on peut aussi affirmer qu’avec son «devoir de visite» pour les pères démissionnaires ou carrément absents, dégainé dans un entretien accordé au magazine Elle, Emmanuel Macron fait preuve d’un simplisme loin de la pensée complexe dont ses fans le créditent. Derrière cette formule, il y a un manque de sensibilité patent. Et une forme de déconnexion face à des situations qui, dans la réalité, ne rentrent pas dans les cases de ce supposé bon sens, lequel risque pourtant de convaincre une majorité de Français.

Echo à la Manif pour tous

Il est fort légitime d’exiger que toute pension alimentaire soit payée en temps et en heure. Et à ce titre-là, il faut saluer la réforme qui a conduit à ce que ces sommes soient désormais collectées chaque mois par la CAF auprès du parent qui doit la régler, même si un prélèvement à la source serait encore plus efficace. Mais il y a bien des cas où la visite des pères n’est hélas pas souhaitable. Et quand le plus jeune président de l’histoire de la Ve République affirme qu’«un enfant heureux c’est avec un papa et une maman», on se dit que cette formulation qui suinte la Manif pour tous est soit une maladresse, qu’il faut corriger, soit un clin d’œil très conservateur.

Il est un peu court d’affirmer à l’instar d’Emmanuel Macron qu’«un enfant qui ne voit jamais son père, c’est un enfant qui se sent abandonné, un enfant dont le développement affectif et éducatif n’est pas le même.» C’est parfois vrai, mais pas toujours. Et si, pour un enfant, il est évidemment préférable de vivre dans un environnement aimant où ses deux parents assument leurs responsabilités, il peut aussi être bien plus déstabilisant et même néfaste de ne pas voir l’amour dans les yeux de son père que de ne pas voir son père du tout. Or l’amour ne se décrète pas. On sait qu’entre les droits et les devoirs, Emmanuel Macron a toujours tendance à privilégier les seconds, mais dans le cas qui nous occupe, cette dialectique n’est pas appropriée.

Hors sujet

Dans l’esprit du chef de l’Etat, la figure paternelle semble être par nature un gage d’autorité. Celle qu’un homme exerce sur son foyer. Voilà qui est très convenu et largement à côté de la plaque. Contraindre les pères qui esquivent les devoirs de leur parentalité a tout de la fausse bonne idée, même si, en apparence, cela peut sonner juste. Il serait bien plus utile d’épauler vraiment les mères célibataires, qui bataillent au quotidien pour trimer, remplir le frigo et élever leurs enfants. Fin mars, la délégation aux droits des femmes du Sénat a publié un rapport d’information sur les familles monoparentales – qui sont plus touchées que la moyenne par la pauvreté et le mal-logement –, avec tout un package de propositions qui n’ont rien à voir avec ce «devoir de visite» sorti du chapeau présidentiel. Il apparaît en outre urgent de financer à hauteur des besoins, qui sont immenses, les associations et les travailleurs sociaux œuvrant sur le terrain.

Ce n’est pas en remettant dans le paysage des hommes qui ont fui leurs responsabilités quand ils ne sont tout simplement pas en état de les assumer, des hommes dont la présence est parfois toxique ou violente pour leurs familles, que les enfants bénéficieront d’un cadre plus vertueux. Emmanuel Macron a évidemment en tête qu’après les émeutes de l’an passé suite à la mort de Nahel par un tir policier lors d’un refus d’obtempérer, 60 % des jeunes présentés à la justice vivaient dans des familles monoparentales, autrement dit avec leur mère comme c’est la plupart du temps le cas. Le chef de l’Etat avait semblé découvrir ce qu’il avait appelé un «continent caché» et qu’aucun élu local n’ignore. Alors que la France compte 1,7 million de familles monoparentales, penser que la solution se trouve naturellement du côté des pères absents, voilà qui risque de s’avérer hors sujet et même parfois contreproductif.


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