samedi 11 mai 2024

Contre la phobie scolaire, Nantes privilégie la manière douce

Par  Elsa GambinPublié le 26 avril 2024

Dans la ville de Loire-Atlantique, le dispositif Preo accueille des adolescents trop angoissés pour se rendre au collège. Un sas de quelques semaines, qui leur permet de retrouver rythme et envie.

L’éducatrice Lola Rabiller  lors d’une séance de jeu avec des collégiens. Le 15 avril 2024, à Nantes.

Il est 9 heures ce lundi matin quand sept adolescents franchissent la porte d’une grande maison de quartier, dans l’est de Nantes. Gustave, Romane, Camille et les autres entament leur huitième semaine au Preo (Passerelle pour le retour dans l’établissement d’origine), un dispositif d’intervention sur le refus scolaire anxieux. « Je suis content d’être là, même si je suis fatigué », annonce Victor lors du rituel de la météo des émotions. « Moi j’ai mis un nuage et un soleil car c’est votre dernière semaine avec nous, mais aussi, cet après-midi, l’arrivée d’un nouveau groupe de jeunes », explique Lola Rabiller, l’éducatrice spécialisée du dispositif. Autour de la table, des visages sereins surplombent le combo jean-sweat-baskets. L’ambiance est apaisée. Aujourd’hui, c’est aux jeunes de choisir une activité. La petite troupe commence alors tranquillement une partie de loup-garou. « Le village s’endort. Cupidon se réveille et désigne deux amoureux. »

Des nuages, un croissant de lune : la météo (l’humeur) du jour.

Des nuages, un croissant de lune : la météo (l’humeur) du jour.  Photo Sebastien Salom-Gomis pour Télérama

Les jeunes réunis ici ont tous été déscolarisés pendant des semaines, voire des mois, après des absences perlées. Ce ne sont pas ce qu’on appelle communément des « décrocheurs », car ils n’ont souvent pas de difficultés scolaires. « Après la rentrée de 5e, j’ai commencé à avoir mal au ventre, à faire des crises d’angoisse, se souvient Bastien, 12 ans. Et puis je ne suis plus arrivé à aller au collège, pour une raison que je ne connais pas. Je n’arrivais même plus à aller à la boulangerie à 20 mètres de chez moi. » Rapidement, Bastien parvient à passer quarante-cinq minutes dans les transports en commun pour venir au Preo. Une victoire en soi. Lui qui s’ennuyait chez lui sans collège – « je dessinais, jouais avec mon chien, faisais du skate » –, trouve au sein du dispositif un groupe bienveillant et des activités agréables.

Nous ne sommes pas un lieu de soin, mais bien une passerelle.

Lola Rabiller, travailleuse sociale

Recommandés par l’équipe éducative de leur établissement, huit jeunes maximum sur tout le département peuvent être accueillis au Preo quatre demi-journées par semaine pendant huit semaines. Une bulle rassurante, où Lola Rabiller et sa collègue Cécile Joret, psychologue, coaniment chaque activité. Des enseignants volontaires interviennent également, avec des cours ludiques, l’idée étant de réinjecter de l’envie. « La seule condition pour accéder au Preo, c’est que le jeune soit déjà suivi en parallèle. Maison des adolescents, CMP [Centre médico-psychologique], hôpital de jour, psychiatre ou psychologue en libéral... Nous ne sommes pas un lieu de soin, mais bien une passerelle », résume la travailleuse sociale.

Cécile Joret, la psychologue, voit chaque jeune en entretien au moins une fois par semaine. La première quinzaine, certains jeunes manifestent des angoisses ou peinent à retrouver un rythme et être présent. D’autres mettent une semaine avant de pouvoir rentrer dans la salle. Au fil du temps, et la confiance s’installant, les esprits s’apaisent, l’estime de soi revient, soulage. « Je n’ai pas un rôle de thérapeute, mais bien d’accompagnatrice du dispositif. Mais ils savent qu’ils peuvent me solliciter s’ils ont quelque chose à déposer. Ce sont des jeunes qui font face à un impossible. » Un impossible quasi physique, qui empêche certains de réussir à franchir la grille du collège. L’angoisse passe par le corps. Suées, tremblements, migraines... Comme pour Gustave, 13 ans, en 4e. Après des absences répétées l’année dernière, l’adolescent sent le stress revenir dès octobre. Puis des crises d’angoisse, qui vont jusqu’aux vomissements. « Je ne me sentais pas bien au collège, je n’aimais pas l’ambiance, le manque de maturité des gens. Je voudrais que tout soit parfait tout le temps, mais ce n’est pas possible. »

Gustave :  « Ici, c’est extraordinaire. Le meilleur truc qui me soit arrivé dans ma vie de collégien. »

Gustave : « Ici, c’est extraordinaire. Le meilleur truc qui me soit arrivé dans ma vie de collégien. »  Photo Sebastien Salom-Gomis pour Télérama

Au Preo, l’adolescent se sent bien. Partager du temps avec des pairs qui ont un vécu similaire l’aide à reprendre des forces. « Ici, c’est extraordinaire. Le meilleur truc qui me soit arrivé dans ma vie de collégien. C’est très chaleureux, protégé. » Gustave a hâte de l’avant-dernière journée, celle où le groupe va se promener dans le centre-ville avec une professeure d’histoire-géographie, pour faire découvrir aux autres un endroit qu’on aime. « Moi ce sera un
magasin de rando et d’alpinisme, j’adore ça ! »

Pour le moment, Pierre-Hadrien Capoulade, intervenant de l’association Abilis, vient d’arriver pour passer la dernière heure de la matinée avec le groupe. Il propose un atelier de découverte des métiers, par le biais de courtes vidéos. « L’idée, c’est de mieux se connaître, pouvoir dégager des domaines professionnels susceptibles de les intéresser. Je pars donc de leurs souhaits. » Libraire, architecte, designer, cuisinier... Le groupe débat de ses idées reçues. Si l’ambiance est zen, ces adolescents reviennent de loin et ne sont pas sortis d’affaire pour autant. Le retour au collège se travaille en douceur, souvent avec des cours particuliers et des emplois du temps aménagés. Mais les angoisses sont tenaces. « Ce sas est un maillage, un filet de sécurité renforcé sur un temps défini avec différents professionnels autour du jeune, pour l’accompagner. Mais chaque situation est singulière. Ce refus anxieux a mis du temps à arriver. Le Preo ne résout pas tout, il faut être modeste. Il y a quelque chose de mortifère dans le fait de ne plus pouvoir aller au collège, analyse Cécile Joret. Mais l’école, elle, n’est que le symptôme. »

Victor et Bastien pendant l’atelier de découverte des métiers présentés dans de courtes vidéos.

Victor et Bastien pendant l’atelier de découverte des métiers présentés dans de courtes vidéos.  Photo Sebastien Salom-Gomis pour Télérama

La psychologue rencontre également les parents. Il faut creuser, comprendre d’où vient cette forte anxiété. Souvent, il se joue quelque chose « de l’ordre de la séparation, du fait de grandir, au sens large »,mais aussi d’un rapport au savoir et à l’école, qui peut être compliqué pour les parents. Parfois aussi, ces élèves se débattent dans une angoisse de performance, une peur de l’échec.

C’est un lieu pour grandir, pour revenir du côté de la vie.

Cécile Joret, psychologue

Si le Preo ne peut tout régler, il est un marchepied vers un retour à un quotidien plus « normal ». Jeux de connaissance et de société, ateliers d’écriture, de cuisine, ateliers thématiques sur la question du sommeil, de l’alimentation ou de l’amitié, ici il s’agit en premier lieu de retrouver un rythme, se lever le matin, se rendre quelque part, retrouver un (petit) collectif. « Être simplement capable de venir est un des objectifs,explique Lola Rabiller, qui peut par ailleurs accompagner un jeune, à sa demande, jusque dans l’enceinte de son établissement. Ces jeunes se sentent en décalage. »

Camille, en 3e, tente de retrouver sa classe, doucement, avec l’aide de Lola. Elle se trouve plus « détendue » mais craint la fin du dispositif. « Ici, ce qu’on fait me plaît beaucoup. J’ai peur de perdre mon rythme après le Preo. J’espère ne pas redoubler... » Au-delà de l’objectif du retour en classe, l’adolescent aura gagné quelque chose. « Une autonomisation, constate Lola Rabiller. Une affirmation de soi. Au Preo, il se crée quelque chose entre eux, et c’est facilitant. » « Le fait de pouvoir à nouveau côtoyer l’autre, complète Cécile Joret. Reprendre confiance en l’adulte. Advenir autrement qu’en étant “l’enfant de quelqu’un”. Une capacité à se projeter. C’est un lieu pour grandir, pour retrouver une forme de joie, revenir du côté de la vie. »

Camille, l’une des huit jeunes accueillis en ce moment au Preo.

Camille, l’une des huit jeunes accueillis en ce moment au Preo.  Photo Sebastien Salom-Gomis pour Télérama

Comme pour Romane. L’adolescente de 14 ans est à l’aise. Comme récemment sortie d’une chrysalide. Les larmes matinales semblent loin. L’angoisse ne datait pas d’hier quand est arrivée la classe de 3e, puis une alerte attentat, et le portail est devenu sa bête noire. « Je ne pouvais plus entrer au collège. La simple idée de passer l’entrée... » La jeune fille aime apprendre mais elle s’ennuie là-bas, ne se sent pas à sa place. Elle a aujourd’hui le brevet en ligne de mire, suit des cours particuliers d’histoire et de français au collège, mais les maths avec toute la classe, ça non, elle n’y arrive toujours pas. Lucide sur sa fragilité toujours présente, étonnamment clairvoyante sur sa situation. Et les jeunes du dispositif sont souvent autant inquiets pour eux que pour leurs parents, démunis face à cette souffrance impalpable.

Porté par l’Éducation nationale et chapeauté par les PEP Atlantique Anjou, le Preo a, hélas, de beaux jours devant lui. Thomas Moinier, enseignant coordinateur depuis quatre ans, observe de plus en plus de troubles anxieux. Le professeur voit chaque jeune une fois par semaine et fait la liaison avec l’établissement d’origine. Les politiques actuelles, entre retour de l’autoritarisme et pression de Parcoursup, risquent de ne rien arranger. « Si l’objectif est d’aller mieux pour aller au collège, il faut être honnête : pour nous, le premier objectif est que ces jeunes aillent mieux tout court. » Gustave, lui, reconnaît qu’il a « toutes les chances de [son] côté pour passer à l’action », et veut essayer d’y retourner « petit à petit ». Surtout, il tient à prévenir les suivants. « Moi, c’était là depuis la 6e. J’ai gardé cette petite boule dans mon ventre, qui a grossi, grossi, et après je ne pouvais plus y aller du tout. Il faut en parler dès le début. »Dès que la boule est là, avant qu’elle ne prenne ses aises.


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