vendredi 10 mai 2024

Analyse Sur les écrans, le risque de la «désensibilisation» face aux «confrontations répétées» à la violence

par Nathalie Raulin   publié le 30 avril 2024

Les experts missionnés par Emmanuel Macron début janvier ont rendu leurs conclusions ce mardi 30 avril sur les effets néfastes des écrans et réseaux sociaux. Le chef de l’Etat a donné un mois au gouvernement pour «les traduire en actions».

Ecrans et réseaux sociaux rendent-ils les jeunes plus violents ? Quand il missionne le 7 janvier neuf experts issus de la société civile pour «évaluer les enjeux attachés à l’exposition des enfants aux écrans» et formuler des recommandations, Emmanuel Macron a encore en tête le rôle joué par les réseaux sociaux durant les émeutes qui, fin juin 2023, ont suivi la mort de Nahel Merzouk. Le chef de l’Etat subodore un lien étroit entre l’addiction aux écrans et le déferlement de colère des mineurs. Lui manque encore un diagnostic étayé pour agir. Mais pour le Premier ministre, la cause est déjà entendue. En déplacement le 18 avril à Viry-Châtillon (Essonne), ville marquée par le meurtre de Shemseddine, Gabriel Attal dénonce sans attendre «la violence virtuelle qui ne tarde pas à se déverser dans le réel», appelant à «réguler les écrans» pour «attaquer le mal à la racine».

L’ennui, c’est que rien dans l’épais rapport (129 pages) que la commission d’experts a remis ce mardi 30 avril au président de la République ne vient corroborer l’hypothèse de l’exécutif. Flairant sans doute une possible instrumentalisation politique, les auteurs le précisent noir sur blanc : «En aucun cas, il n’est démontré une imputabilité unique des contenus violents sur les comportements violents, écrivent-ils. En particulier, il n’y a clairement pas de lien avéré entre les jeux vidéo et la violence dans la vie réelle et a fortiori avec les actes graves et la criminalité. Beaucoup d’autres variables sont nettement plus déterminantes.» En clair, même si beaucoup peut leur être reproché, les écrans ont le dos un peu trop large.

Selon les experts, des méta-analyses relèvent bien un petit effet des contenus violents en ligne ou des jeux vidéo, «une augmentation des pensées et comportements agressifs qui peuvent être majorés». Néanmoins l’effet est «limité» et de «court terme». Pour cause, il disparaît «quelques dizaines de minutes tout au plus après l’arrêt du jeu vidéo». Pas de quoi a priori sonner le tocsin.

Explosion des menaces en ligne

Mais les experts s’empressent de nuancer. Si une exposition ponctuelle à des contenus violents en ligne ne suffit pas à expliquer une dérive des comportements en vie réelle, rien ne dit qu’une exposition répétée n’a pas de conséquences plus délétères. «La place prise par les écrans, l’insuffisance des dispositifs d’encadrement et d’accompagnement des usages ainsi que le manque de régulation»exposent les mineurs à des «contenus choquants parfois traumatiques pouvant mettre en cause leur équilibre, leur santé et leur sécurité». Ce peut être le cas des contenus à caractère pornographique : l’âge moyen auquel un enfant y est confronté, y compris accidentellement, serait désormais de 10 ou 11 ans (contre 14 ans en 2017). Mais aussi des scènes de violence pure : selon une enquête de février 2023, 47 % des 11-18 ans ont été exposés à des scènes de maltraitance sur les animaux, 42 % à des scènes de bagarres ou de violence et 26 % à des contenus très violents de type scènes de guerre, de torture ou d’exécution, sur des réseaux sociaux ou par le biais de systèmes de messageries ayant évolué vers des modèles de média sociaux.

Et c’est sans compter l’explosion des menaces en ligne, entre cyberharcèlement, sex-extorsion entre mineurs (12 000 faits recensés en 2023 en France), ou explosion des phénomènes de «grooming» (techniques consistant, pour un adulte malintentionné, à chercher à entrer en contact sous une fausse identité avec un mineur afin de lui faire des propositions sexuelles). «C’est finalement surtout ces confrontations répétées et multiples à la violence à travers les différents médias qui pourrait faire craindre une désensibilisation face à la violence», soulignent les experts, dont la première recommandation à l’Elysée est de «résoudre les risques à la source» en renforçant les obligations des acteurs économiques «qui, pour partie, produisent des services prédateurs, à la conception délétère pour les enfants». Reste à savoir ce que l’Elysée retiendra du rapport. Dans un message publié sur X mercredi, Emmanuel Macron a annoncé «donn[er] un mois au gouvernement pour examiner ses recommandations et les traduire en actions». Mardi, l’entourage du chef de l’Etat indiquait que des annonces devaient être faites «d’ici l’été».


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