mardi 2 avril 2024

Le billet de Sabrina Champenois La pilule pour se muscler sans faire de sport, indéniable progrès… et promesse de dérives

par Sabrina Champenois   publié le 25 mars 2024

Un laboratoire américain l’annonce pour dans cinq ans, ce qui constitue un grand espoir pour les personnes atteintes d’atrophie musculaire. Mais on voit d’ici le mésusage qui pourrait en être fait.

La promesse porte pour l’heure le doux nom de SLU-PP-332. «Les souris traitées avec le SLU-PP-332 ont montré une amélioration de leur endurance sur un tapis roulant pour rongeurs, indique un article du magazine américain FortuneLe traitement a également augmenté le nombre de fibres musculaires résistantes à la fatigue chez les animaux, ont constaté les chercheurs.» Mais ne nous emballons pas, «les nouvelles générations que nous avons développées devraient, je l’espère, arriver en clinique un jour dans les cinq prochaines années, précise le pilier du projet, Bahaa Elgendy, docteur en chimie médicinale et professeur agrégé d’anesthésiologie à la faculté de médecine de l’université Washington à Saint-Louis (Missouri). Le passage de l’animal à l’homme prend beaucoup de temps. Nous devons effectuer beaucoup plus d’essais précliniques, ce qui est essentiel pour garantir la sécurité.» Le SLU-PP-332 est in progress depuis une décennie, et fait régulièrement objet de points d’étape très commentés. Et pour cause.

«Vos muscles pensent qu’ils font de l’exercice»

L’avènement potentiel d’un tel médicament a de quoi réjouir. Comme l’a rappelé l’équipe scientifique à l’œuvre lors d’une récente réunion de l’American Chemical Society où elle a présenté ses dernières avancées, les cas de déficience musculaire abondent : simple vieillissement, maladies dégénératives, insuffisance cardiaque, cancers, régimes amaigrissants… Dans de tels cas, gagner du muscle sans faire de sport et sans changer de régime alimentaire aurait tout du miracle.

Le procédé atteste l’ingéniosité humaine. Le SLU-PP-332 relève de la catégorie des «mimétiques de l’exercice», médicaments qui imitent les avantages d’une réelle pratique. Avec les nouveaux composés, il simule «certaines des adaptations qui se produisent dans les muscles lors de l’exercice. Ainsi, vos muscles pensent qu’ils font de l’exercice même si ce n’est pas le cas, explique un autre participant au projet, Thomas Burris, docteur en pharmacie et directeur du département de pharmacodynamie de l’université de Floride. Ils améliorent la santé métabolique, provoquent une perte de poids et de masse grasse, améliorent la sensibilité à l’insuline et l’endurance à l’exercice.» Burris ajoute qu’«idéalement, un médicament imitant l’exercice physique se présenterait sous la forme d’une pilule à prendre une fois par jour».

Convoitise

Mais, gros bémol : on entrevoit aussi illico le mésusage que pourrait susciter la concrétisation de ces recherches. Bahaa Elgendy met certes en garde : «Nous ne disons en aucun cas que les gens ne devraient pas faire d’exercice». Le médicament «devrait aider les personnes qui ne peuvent pas faire d’exercice, et dans d’autres cas, il pourrait compléter les programmes d’exercice pour apporter plus de bénéfices aux patients», insiste le chercheur. Sauf quon ne voit pas comment une telle merveille pourrait, dans une société déjà prompte à gober à gogo (voir le succès de compléments alimentaires), échapper à la convoitise d’au moins deux populations qui n’en ont a priori pas besoin, les rétifs au sport et les addicts au muscle, avec dans tous les cas des enjeux de santé publique.

Pour les premiers, ce serait aller à l’encontre de toutes les recommandations qui prônent l’activité physique pour ses bénéfices métaboliques mais aussi psychologiques – à moins que le médicament puisse aussi produire des endorphines ? Pour les seconds, ce serait alimenter une quête en plein boom, celle de la maîtrise du corps, à ciseler jusque dans ses moindres détails. La fréquentation (masculine comme féminine) des salles de musculation explose, idem le recours aux «prots» (protéines), l’implant de pectoraux n’est plus si rare : pas besoin d’une boule de cristal pour envisager le mégabusiness qui se profilerait pour le futur SLU-PP-332. Les cas de l’Ozempic et du Wegovy, médicaments contre le diabète et l’obésité qui font l’objet de ruptures de stocks à l’échelle mondiale en raison d’un usage détourné lié à leurs propriétés amincissantes, pavent déjà la voie d’un scénario qui commence par une bonne nouvelle et finit par un scandale, au détriment des malades.


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