mardi 2 avril 2024

De quelle GPA parle-t-on en France ?

par Jérôme Courduriès, anthropologue, professeur des universités, université Toulouse Jean-Jaurès  

publié le 21 mars 2024

La première question à se poser est de savoir si on souhaite ou non autoriser la GPA en France ? questionne l’anthropologue Jérôme Courduriès. Et si oui dans quel cadre. Si l’on se réfère aux dispositions adoptées dans les autres pays autorisant la GPA, les réponses juridiques diffèrent mais peuvent nourrir le débat.
 

Une gestation pour autrui éthique est-elle possible ? «Je suis, à titre personnel, favorable à une GPA éthique.» Il aura suffi d’une petite phrase prononcée par le patron des socialistes Boris Vallaud, dans la magazine Têtu début mars, pour relancer le débat au sein du parti. «Ce qui n’est pas éthique, c’est l’absence de cadre législatif et réglementaire. Il y a des GPA qui se produisent dans des conditions de marchandisation du corps, et le meilleur rempart contre cela c’est de légiférer», affirmait le député des Landes. Une position qui ne fait pas l’unanimité.

En 1994, à l’occasion de l’adoption de la première loi de bioéthique, la France a prohibé la gestation pour autrui (GPA) sur son sol. Et, alors que presque tous les autres sujets relevant de la bioéthique ont depuis fait régulièrement l’objet de nouvelles discussions, on nous dit que le sujet de la GPA est clos une fois pour toutes.

Parce qu’elle concerne un domaine où l’état des savoirs, les pratiques juridiques et les techniques médicales évoluent rapidement, et que de nouvelles questions se posent régulièrement à propos des usages du corps humain, le Parlement a prévu que la loi de bioéthique soit révisée périodiquement. Ces révisions ont eu lieu en 2004, 2011 et 2021, et en vingt-sept ans, la loi a connu bien des évolutions sur plusieurs questions.

A titre d’exemple, dans la première version, le don de gamètes a été restreint aux couples hétérosexuels, et on a interdit la divulgation du moindre élément permettant l’identification des personnes donneuses de gamètes. Mais sur ce point comme sur d’autres, l’état de la société française et des connaissances sur le sujet ont conduit le législateur à faire évoluer ces dispositions et deux changements importants ont été adoptés en 2021. La loi autorise désormais les femmes seules et les couples de femmes à recourir à une assistance médicale à la procréation et les personnes de plus de 18 ans conçues grâce à un don de gamètes à accéder, du moins si elles sont disponibles, aux données non identifiantes et à l’identité de la personne qui avait donné ses gamètes.

Même constat à propos du don d’organes par une personne vivante. En 1994, le législateur a restreint le don aux parents, aux enfants et à la fratrie de la personne en attente de greffe. En 2004, les membres de la famille élargie et le conjoint sont devenus éligibles à donner de leur vivant, et, en 2011, la loi a étendu cette possibilité à toute personne ayant un lien affectif étroit avec le malade. Au fur et à mesure que les représentations, les techniques et les pratiques relatives à l’intervention sur le corps humain évoluent et que s’expriment de nouvelles demandes, le pays réfléchit et discute et le Parlement légifère. Sauf, jusqu’ici, en ce qui concerne la GPA.

De plus en plus de personnes sont favorables à la GPA

Pourtant, de nombreux Français, sans doute plusieurs centaines par an (mais aucune étude statistique ne peut le confirmer), recourent à cette technique de procréation médicalement assistée, dans des pays qui l’autorisent. Des demandes s’expriment pour que la France l’encadre sur son sol, et les sondages montrent que depuis plusieurs années une majorité toujours plus importante de personnes y est favorable. Depuis quelque temps, des personnalités politiques de gauche comme de droite se prononcent pour rouvrir le débat à propos d’un encadrement en France. D’autres, au contraire, défendent le statu quo. Et les féministes sont divisées sur la question. Alors que certaines considèrent que, de la même façon qu’elles peuvent décider d’interrompre leur grossesse, les femmes devraient pouvoir, si elles le souhaitent, porter un enfant pour une autre personne, d’autres dénoncent ce qu’elles considèrent être une exploitation inacceptable des corps des femmes.

Sur ce sujet, comme malheureusement sur d’autres, le débat médiatique est de plus en plus difficile et de moins en moins informé. On entend de la GPA qu’elle ne saurait être une pratique éthique, que les parents d’enfants nés d’une GPA sont des esclavagistes, que les enfants eux-mêmes sont traités comme des marchandises, et qu’une femme qui porterait un enfant pour autrui ne pourrait en avoir décidé librement. En effet, il existe des Etats où la législation n’est pas suffisamment protectrice et, en certains lieux, des femmes sont traitées comme des incubateurs vivants. Est-ce toute la réalité ? Non, la réalité vécue de la GPA est infiniment plus diverse, et les recherches en sciences sociales menées sur le sujet depuis une trentaine d’années le montrent. De nombreux parents intentionnels mûrissent longtemps des projets qu’ils veulent respectueux et de nombreuses femmes qui portent des enfants pour autrui déclarent vouloir le faire et le faire librement.

La première question à se poser est bien sûr de savoir si on souhaite ou non autoriser la GPA en France. Elle est importante mais ne peut pas suffire. Car de quelle GPA parle-t-on ? Quelle GPA s’agirait-il d’encadrer ? Trois points principalement cristallisent les polémiques : l’autonomie des femmes et l’indisponibilité de leur corps, l’existence de contreparties à une grossesse pour autrui, et la présence éventuelle d’intermédiaires entre les parents intentionnels et la femme qui porterait leur enfant.

Plusieurs questions sont à examiner sérieusement. Elles sont nombreuses mais quelques-unes peuvent déjà être dégagées. Dans l’hypothèse où elle serait possible en France, comment s’assurerait-on du consentement libre et éclairé de la femme qui porterait un enfant pour une autre personne ou un couple ? Dans quelle mesure cette femme resterait-elle maîtresse de sa grossesse ? Le ferait-elle gratuitement, percevrait-elle une compensation financière ou prendrait-on seulement en charge les frais liés à sa grossesse ? S’il devait y avoir un intermédiaire entre les parents intentionnels et la femme qui porterait leur enfant, s’agirait-il d’une agence privée, d’une association agréée, d’un service médical, d’un service médico-social ou d’une agence publique ? A chacune de ces questions, les pays autorisant la GPA ont apporté des réponses juridiques différentes. Et l’expérience, dans chacun de ces contextes, des femmes qui ont porté un enfant pour autrui et des parents peut alimenter notre réflexion. Si des recherches sont encore à mener, de nombreux travaux en sciences humaines et sociales déjà disponibles peuvent nourrir le débat. Mener sur le sujet une réflexion informée et un débat serein nous honorerait.


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