mardi 2 avril 2024

Extrême droite Brigitte Macron était un homme : itinéraire d’un fantasme, des complotistes français aux agités trumpistes

par Maxime Macé et Pierre Plottu   publié le 15 mars 2024

Par la voix de la trumpiste Candace Owens, l’extrême droite américaine s’est emparée de la fake news selon laquelle Brigitte Macron serait née homme. Donnant une nouvelle viralité à cette théorie issue d’un média proche d’Alain Soral et popularisée via la chaîne YouTube d’une médium.

Brigitte Macron serait un homme. Ce fantasme complotiste pourrait faire sourire, s’il n’empoisonnait pas la vie de la femme du président de la République et de ses proches, harcelés depuis des années par les sphères conspirationnistes et leurs «enquêteurs» autoinstitués. Au point que le chef de l’Etat a réagi en personne, le 8 mars en marge de la cérémonie consacrant l’entrée du droit à l’IVG dans la Constitution, dénonçant «ces fausses informations et ces scénarios montés avec des fadas, des gens qui finissent par y croire et vous bousculent dans votre intimité». Ces élucubrations sont aussi la matière d’un livre-enquête à paraître le 22 mars aux éditions Studiofact, l’Affaire Madame par la journaliste de l’Obs Emmanuelle Anizon. Elles connaissent ces temps-ci un nouveau souffle, relayées par la puissante alt-right américaine, nouvel avatar de l’extrême droite locale.

Le dossier a en effet attiré l’attention d’une proche de l’ex-président américain, Candace Owens. Ce pilier de la désinformation made in USA entretient une communauté de près de trois millions d’abonnés sur YouTube et de quasi cinq millions sur X (anciennement Twitter). Prétendant dénoncer rien de moins que «le plus grand scandale politique de l’histoire de l’humanité», elle en a parlé sur sa chaîne YouTube le 11 mars. Sa vidéo compte déjà plus d’un million de vues. Dans un tweet, la même annonce que «tout journaliste ou média qui rejette cette possibilité est immédiatement identifiable comme faisant partie de l’establishment»

L’annonce de cette traversée de l’Atlantique a fait l’effet d’une bombe parmi les complotistes français : ce qu’ils appellent «l’affaire Jean-Michel Trogneux» ou le «BrigitteGate» s’est internationalisé. Certains clament même que Donald Trump ou la CIA seraient sur le coup pour faire éclater le «scandale» qui les occupe depuis la fin de l’année 2021, régulièrement alimenté et relancé par les «révélations» de personnalités à la frontière entre le complotisme et l’extrême droite la plus radicale. Un autre nom excite ce petit milieu, celui de l’ancien journaliste de Fox News et trumpiste forcené Tucker Carlson (13 millions d’abonnés sur X). Si lui-même n’en a jamais parlé, des comptes francophones, comme celui du complotiste prorusse Silvano Trotta, assurent qu’il travaillerait sur un documentaire dédié au sujet.

«Puissances sataniques»

Mais de quoi parle-t-on au juste ? De l’idée que Brigitte Macron serait une personne transgenre. Partant de supposées «zones d’ombre» dans la biographie de l’épouse du président, les obsédés de la question ont élaboré quantité de récits bâtis à coups d’arguments bancals, d’extrapolations et de fantasmes. Le fond de l’histoire dit que la première dame serait née homme sous le nom de Jean-Michel Trogneux, puis que cet enfant aurait «remplacé» sa sœur Brigitte, décédée sans que sa mort soit déclarée… Le scénario inclut l’intervention des «services» et de nombreuses complicités pour préserver ce «secret d’Etat». Surtout, ce «mensonge» serait la preuve ultime qu’Emmanuel Macron ment sur tout et à tout le monde. Soumis à cause de ce secret à d’obscurs maîtres chanteurs, le chef de l’Etat œuvrerait pour des «puissances sataniques»etc. Un puits sans fond, mais avec une constante : des médias à la police en passant par la justice, «on» nous manipule.

L’affaire a réellement démarré dans les colonnes d’une lettre mensuelle confidentielle d’extrême droite, Faits & Documents. La publication gravite dans la sphère de l’antisémite Alain Soral ; le média Streetpress a révélé que sa mise en page est assurée par Riwal, la société de Frédéric Chatillon, figure de l’extrême droite radicale et proche de Marine Le Pen.

D’avril 2021 à janvier 2022, F & D consacre pas moins de sept numéros à démontrer que Brigitte Macron serait née homme. La fake news, d’abord, ne sort pas d’un cercle d’initiés aux relents antisémites et antimaçonniques. En décembre 2021, finalement, c’est le passage de l’une des contributrices de «l’enquête», Natacha Rey, sur la chaîne YouTube de la médium complotiste Amandine Roy qui met le feu aux poudres. La vidéo est vue presque 500 000 fois avant que la plateforme américaine ne la retire. La complosphère s’en empare avec délice, la fausse information devient virale. Le buzz gagne les réseaux sociaux, où il est relayé avec gourmandise par les cercles d’extrême droite. Incitant des médias «classiques» comme le service CheckNews de Libération, à l’évoquer pour en démontrer le caractère farfelu.

«Angliciser cette théorie en a démultiplié la viralité»

Contre l’évidence, les mêmes milieux vont pourtant continuer à répandre «l’information». S’en emparent des sites comme les islamophobes Riposte laïque et Résistance républicaine, le blog identitaire Profession Gendarme, la plateforme soralienne Egalité & Réconciliation et ses satellites. Mais aussi des personnalités comme Dieudonné, Hayssam HoballahMyriam Palomba ou Francis Lalanne. Depuis trois ans, la rumeur connaît des résurgences épisodiques. Par exemple à l’été 2023 sur X (ex-Twitter), lorsque le compte complotiste «Zoé Sagan», suivi par 185 000 abonnés et tenu par un certain Aurélien Poirson-Atlan, annonce des «révélations» (qui restent attendues). Désormais, c’est donc l’extrême droite américaine qui s’en empare.

«C’est, à ma connaissance, la première fois qu’une fausse information vient de France pour se répandre aux Etats-Unis, dit à Libé Tristan Mendès France, chercheur spécialisé en complotisme. Cela montre la globalisation de la désinformation. Comme on a pu importer toute la sphère QAnon [théorie fondée sur les «prophéties» d’un mystérieux informateur trumpiste, ndlr] des Etats-Unis vers l’Europe, là on a l’exportation d’un contenu qui marche bien en France et qui commence à viraliser outre-Atlantique.»

Il développe : «Angliciser cette théorie en a démultiplié la viralité. Il ne fait aucun doute qu’elle va être reprise par la sphère QAnon et sa puissance d’irradiation mondiale, car elle colle à son logiciel d’élites pédo-satanique corrompues. Ainsi que par la trumposphère, qui va y voir un moyen de déstabiliser Emmanuel Macron vu comme anti-Trump. De là, il n’y a pas de raison qu’elle ne soit pas reprise par les cercles pro-Poutine internationaux, avec la théâtralisation actuelle de l’opposition entre le président russe et son homologue français.»

Dans son livre, Emmanuelle Anizon souligne que le récit brode sur une trame déjà connue. Michelle Obama a été en son temps victime des mêmes rumeurs fallacieuses. Tout comme la femme du président du gouvernement espagnol, Begoña Gomez, ou encore Jacinda Ardern, ancienne Première ministre néo-zélandaise… De quoi démonter les obsessions de ces sphères complotistes d’extrême droite ? Non, répondent ceux qui y croient : c’est la preuve que leurs adversaires ont un plan, et qu’il est global.


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