samedi 3 février 2024

René Frydman : “L’infertilité reste très liée à l’âge et le progrès médical ne peut pas tout”


 


René Frydman, propos recueillis par Charles Perragin   publié le  

Pour l’auteur de la Tyrannie de la reproduction (Odile Jacob, 2024), le gynécologue-obstétricien René Frydman, les récentes avancées de la médecine ont fait naître l’idée que l’enfant était un droit imprescriptible, édulcorant ainsi les limites biologiques du corps mais aussi les difficultés physiques et psychiques inhérentes aux aides à la procréation.

L’Organisation mondiale de la santé estime qu’aujourd’hui, une personne sur six est infertile. Les Nations unies évoquent un problème sanitaire majeur. Partagez-vous ce constat ?

René FrydmanLes démographes projettent deux milliards d’êtres humains en plus en 2050 ! Je ne sais pas à quel point ce qui se passe est général ou localisé ; l’Afrique, l’Amérique latine ou l’Indonésie semblent peu concernées. Incontestablement en Europe, en Russie ou au Japon, le nombre de naissances par an est en baisse. En France en 2023, il a chuté de 6,6% par rapport à l’année dernière. Et de presque 20% par rapport à 2010. Quels sont les facteurs en jeu ? L’infertilité est incontestablement liée au recul de l’âge de la volonté d’être mère : l’allongement des études, la professionnalisation des femmes, tout cela recule le désir d’enfants, parfois au-delà des frontières du biologique. Après 42 ans, rappelons qu’il est assez exceptionnel de pouvoir enfanter.

“L’infertilité est incontestablement liée au recul de l’âge de la volonté d’être mère” 
René Frydman

 

S’ajoutent aussi des risques liés à l’environnement.

La pollution, les perturbateurs endocriniens ou encore les pesticides jouent un rôle très négatif. Chez l’homme, nous avons quantité d’expériences qui montrent les effets nocifs de ces toxiques, notamment la baisse de certaines caractéristiques du spermogramme comme la diminution du nombre et de la concentration des spermatozoïdes. Il faut aussi ajouter les facteurs liés aux comportements. Je rappelle les dangers du tabac – on sait les conséquences négatives du goudron sur la fonction gamétique –, la mauvaise alimentation – qui est le quotidien de beaucoup de jeunes, et pas seulement –, le rôle positif méconnu du sport, celui négatif du stress, l’importance d’un bon état mental… Il existe aussi des retards de diagnostic sur des maladies mal identifiées, comme certaines formes d’endométrioses. Il existe un cumul de facteurs qu’il nous faut encore étudier.

Et les aides à la procréation sont aussi améliorables.

Oui, c’est l’objet de recherches incessantes mais on a aussi tendance à sous-estimer les effets d’éventuels blocages psychologiques, ce qui signifie que le médecin doit prendre le temps d’écouter ses patients et ne pas être un ordonnancier anonyme. Par exemple, dès le début de l’aventure de la Procréation médicalement assistée (PMA), j’ai bénéficié de la présence de psys dans mon service et j’ai milité pour que cela soit généralisé à tous les centres. L’aventure de la PMA ne va pas sans angoisse : lourdeur du traitement, incertitude de l’issue. Le recours à des séances d’hypnose, de sophrologie ou à toutes autres approches relaxantes, sans être une garantie de réussite, peut grandement aider.

“La pollution, les perturbateurs endocriniens, les pesticides, le tabac, la mauvaise alimentation, le stress, les blocages psychologiques… Il existe un cumul de facteurs qu’il nous faut encore étudier” 
René Frydman

 

Que pourrait apporter un grand plan contre l’infertilité comme annoncé par le président Macron ?

La loi relative à la bioéthique de 2021 prévoit enfin l’idée d’un plan contre l’infertilité – que nous réclamons depuis 2018 – impliquant la mise en place d’une information, de campagnes de prévention associées à un développement de la recherche clinique et scientifique. Une commission, pilotée par Samir Hamamah et Salomé Berlioux, a remis en février 2022 un rapport de 21 mesures souhaitables dont les principales visent à renforcer l’éducation autour de la fertilité, la connaissance de l’horloge biologique. Si l’âge du premier enfant recule, c’est aussi la conséquence de cette croyance que la technique peut tout résoudre. Et ce n’est pas vrai. Certes, l’offre scientifique s’est accrue et même enrichie : congélation d’ovocytes, d’embryon, diagnostic préimplantatoire, insémination post mortem, utérus artificiel [lire notre article], création de néogamètes… Si bien que l’on croit que rien ne peut désormais s’opposer au droit à l’enfant. 

Faisons-nous une confiance déraisonnable aux aides à la procréation ?

A minima, j’observe une façon d’édulcorer les conséquences de ces techniques. On oublie de rappeler que la PMA, c’est tout de même quinze jours au moins de surveillance, plusieurs échographies, des prises de sang régulières pour dosages hormonaux, des interrogations, de l’anxiété, puis, habituellement, une anesthésie générale pour le prélèvement. Une course contre le temps, quand on doit faire tout cela en travaillant. Un bouleversement dans la vie du couple, un retentissement sur la vie sexuelle, des difficultés aussi pour l’homme qui, souvent, se demande comment faire pour aider sa compagne. Un impact réel, enfin, sur la vie professionnelle [lire notre article]. Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas recourir à une PMA si besoin est, mais cela veut dire qu’il faut le faire à bon escient et quand les personnes sont prêtes.

“Si l’âge du premier enfant recule, c’est aussi la conséquence de la croyance que la technique peut tout résoudre. Ce n’est pas vrai” 
René Frydman

 

Vous nuancez aussi les dernières prouesses de la maîtrise de la procréation, comme la greffe d’utérus.

Je ne nuance pas. J’évalue les points très positifs sans éviter d’éventuelles questions comme tout médecin qui respecte les règles scientifiques. La greffe d’utérus a permis à une centaine d’enfants de naître dans le monde ces cinq dernières années. Elle est une belle alternative à l’absence d’utérus qui concerne un million de femmes. Mais ce n’est pas une baguette magique. Il ne faut pas oublier les difficultés physique et psychique. Sur cent femmes qui souhaitent en bénéficier, une seule est retenue tant les critères de sélection sont importants. Ensuite, 20% des utérus transplantés ne tiennent pas leur promesse, soit parce qu’aucune grossesse ne s’y développe, soit parce qu’elle est spontanément interrompue. Il y a aussi des complications pour le bébé : la prématurité en dessous de 37 semaines est multipliée par quinze, la grande prématurité par huit. Les résultats vont certainement s’améliorer mais je m’inquiète de trouver déjà des sites internet commerciaux comme vaidam.com qui proposent des greffes, en Indonésie ou au Maroc, dans des cliniques commerciales sans expérience, renforçant encore l’idée que l’enfant est un droit imprescriptible.

Finit-on par oublier la réalité du corps ?

Du moins la réalité biologique de la reproduction. C’est l’horizon de techniques comme l’ectogenèse : réaliser une grossesse complète, en déléguant à une machine la couvade nécessaire à l’embryon et au fœtus. Un procédé repris dans la littérature d’anticipation par Aldous Huxley, auteur du Meilleur des mondes, chef-d’œuvre de la dystopie paru en 1932. Des bébés y sont conçus en laboratoire, élevés et conditionnés dans des flacons au sein d’un centre d’incubation londonien. La sexualité humaine n’est plus qu’un loisir planifié sans lien avec la reproduction. Cela semble loin, irréel, mais le fait est là : l’ectogenèse se fait une place peu à peu dans le monde de la recherche. Bien plus grande qu’on ne le pense. Ce n’est pas encore techniquement possible mais c’est révélateur. Trop souvent, les jeunes croient qu’on trouvera toujours une solution pour régler leurs problèmes. Ils mangent mal ? On changera leur foie. Ils se cassent une jambe ? On leur mettra une prothèse. Même chose pour la parentalité : ce sera quand les couples le voudront, quand ils seront prêts. Mais cela ne se passe pas ainsi.

“La médecine fait certes des progrès permanents, mais il n’existe pas de baguette magique pour régler tous les problèmes de santé” 
René Frydman 

À part dire qu’il ne faut pas oublier l’horloge biologique, que peut-on faire collectivement ?

Il me semble que la prise en charge ne doit pas être que médicale. Il faut une approche plus générale. Cela va de la place des femmes enceintes dans notre société au meilleur accueil des enfants, des moyens pour faciliter les études des jeunes mères à des aides pour mieux gérer métier et parentalité. C’est fondamental. Il est des entreprises qui commencent à faire en sorte que la grossesse ne soit pas vécue comme une mise à l’écart ou un non-retour.

Vous appelez aussi à en finir avec la tyrannie de la reproduction. Pouvez-vous nous expliquer ?

Tâchons de favoriser la procréation quand elle est possible mais le progrès médical ne doit pas servir un acharnement déraisonnable. Une étude de l’Ined datant de 2016 a interrogé 6 507 couples ayant commencé un parcours de fécondation in vitro. Huit ans plus tard, 48% étaient parents grâce à un traitement de l’infertilité, 11% par l’adoption, 12% par conception spontanée et 29% étaient toujours sans enfant. Près d’un tiers des couples a donc dû renoncer. On a une finitude. Je sais que ce n’est pas encore toujours bien vu de ne pas avoir d’enfants, mais ne cédons pas à cette tyrannie de la reproduction qui touche aussi le milieu médical. Il m’a parfois semblé salvateur d’énoncer l’arrêt plutôt que l’acharnement répétitif. Il faut parfois savoir renoncer à la médecine avant qu’elle ne devienne nuisible. J’ai vu trop de gens se détruire pour poursuivre un objectif inatteignable. Combien de fois ai-je eu l’impression, la certitude même, d’entendre un soupir de soulagement en disant « stop » ? Enfin quelqu’un qui ose le dire ! Qui fixe une limite. Même si l’on ne peut jamais totalement pronostiquer l’absolue impossibilité d’une grossesse car il y a des surprises, voire des miracles, sans que la médecine y soit pour quelque chose. Parfois, c’est en préconisant, avec respect et écoute, un changement de route qu’on peut aussi faire le bien.

La Tyrannie de la reproduction, de René Frydman, vient de paraître aux Éditions Odile Jacob. 208 p.

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